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60 000 immigrants par année: dresser la table pour encore plus?

Si autrefois l'immigrant était vu comme un «voleur de jobs», de nos jours il est de plus en plus perçu comme un «remplaçant»
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La ministre de l'Immigration, Mme Kathleen Weil, a rendu publique le 7 mars 2016, la politique du gouvernement québécois en matière d'immigration. Dans l'un des documents déposés (Politique québécoise en matière d'immigration, de participation et d'inclusion. Ensemble, nous sommes le Québec), on peut y lire que «selon les perspectives démographiques, en supposant le maintien d'un niveau d'immigration de 50 000 admissions permanentes par année, la taille de la population en âge de travailler connaîtrait un recul marqué entre 2016 et 2031, entraînant une rareté de main-d'œuvre» (p. 6).

Pour contrer cette fâcheuse éventualité, le gouvernement prétend, dans le même document, qu'«à partir d'un niveau de 60 000 personnes immigrantes admises annuellement, le Québec éviterait un recul de sa population en âge de travailler en dessous de son niveau de 2011» (p. 6). Par conséquent, il faudrait impérativement, selon le gouvernement québécois actuel, ajouter 10 000 immigrants de plus par année.

Les dernières projections démographiques de l'Institut de la statistique du Québec (ISQ) permettent un examen de l'apport annuel de ces 10 000 immigrants supplémentaires. Reconnaissons d'emblée au TABLEAU 1 (colonne A) que l'arrivée de 60 000 nouveaux immigrants par année conduirait à une population de 20-64 ans plus importante en 2031 qu'en 2011 (5 120 000, au lieu de 5 022 000).

Cependant, il s'agirait d'une faible croissance de moins de 100 000 personnes en 20 ans, pour une hausse inférieure à 2% par rapport aux effectifs recensés en 2011. Faible augmentation qui, advenant le gel de l'immigration internationale, contraste néanmoins avec un éventuel recul de 73 000 personnes (-1,5%), réduisant ainsi les 20-64 ans estimés pour 2031 à moins de 5 millions d'habitants.

Par-delà ces données générales sur la population en âge de travailler, le gouvernement se préoccupe des effets du vieillissement sur la population active. On craint plus particulièrement un manque de travailleurs advenant que le nombre de jeunes qui entrent sur le marché du travail ne suffît pas à remplacer ceux qui prennent leur retraite. Qu'en serait-il si nous supposions, pour simplifier, que l'entrée sur le marché du travail a généralement lieu entre 20 et 29 ans, et que les départs à la retraite se font majoritairement - compte tenu de l'augmentation de l'espérance de vie et de l'encouragement à travailler plus longtemps - entre 60 et 69 ans ?

Remplacer les retraités par des jeunes

Dans quelle mesure les jeunes dans la vingtaine pourraient-ils «remplacer» les sexagénaires qui prendront leur retraite? En soustrayant le nombre de jeunes (colonne B) du nombre de sexagénaires (colonne C), nous obtenons, à diverses dates entre 2011 et 2031, le nombre de jeunes en «surplus» ou en «déficit».

Peu importe que le Québec accueille 50 000 ou 60 000 immigrants, nos calculs dérivés des perspectives de l'ISQ conduisent aux mêmes ordres de grandeur (colonne D). On remarque en effet des «surplus» en 2011 et 2016, suivis de «déficits» en 2021, 2026 et 2031. Même avec 60 000 nouveaux immigrants par année, les «déficits» seraient à peine moindres que ceux prévus par le scénario faisant entrer 50 000 immigrants par année. Par exemple, en 2026, le déficit de 25 600 personnes prévu avec 60 000 immigrants retranche moins de 2 000 personnes à celui estimé avec 50 000 nouveaux arrivants (-27 500).

Un examen des perspectives de l'ISQ année par année indique que le déficit commencerait dès 2018 (voir les sous-totaux du TABLEAU 1). Le déficit cumulé en 2031 serait de 229 500 personnes, au lieu de 252 400 avec le maintien d'un objectif de 50 000 immigrants par année. Ainsi, l'ajout de 10 000 immigrants annuellement, ne réduirait le déficit appréhendé de main-d'œuvre que de 9%.

Cette situation provient d'une fécondité insuffisante qui dure depuis 45 ans; notre pyramide des âges étant déformée, ce constat ne devrait étonner personne. D'ailleurs, le pire est devant nous: au cours des prochains lustres, il n'y aura manifestement pas assez de jeunes au Québec pour occuper les emplois «laissés vacants» par les très nombreux retraités. Si le gouvernement du Québec maintient sa vision de l'immigration en termes de main-d'œuvre, il sera tenté de l'augmenter encore et encore. Jacques Henripin a déjà calculé qu'avec une fécondité de 1,6 enfant, il faudrait 71 000 immigrants par année au cours des années 2031-2041 pour éviter la décroissance globale de la population du Québec, et 81 000 dans la décennie suivante (p. 45). Précisons que les calculs d'Henripin ne conduisaient qu'à 52 000 immigrants par année pour la décennie 2021-2031 !

Si autrefois l'immigrant était vu comme un «voleur de jobs», de nos jours il est de plus en plus perçu comme un «remplaçant»; dans les deux cas, on suppose implicitement que le nombre d'emplois est déterminé. On voudrait faire de l'immigration «un succédané aux naissances qui se raréfient», comme disait Henripin (p. 59), et que nous n'avons toujours pas en assez grand nombre pour assurer le remplacement des générations. Nous voudrions que les immigrants occupent certains types d'emplois dont nous ne voulons plus, qu'ils s'implantent, malgré une politique de régionalisation inefficace, dans des régions exsangues, plutôt qu'à Montréal, là où l'effet domino sur le fait français est important.

Une sélection à géométrie variable

La comparaison des sexagénaires avec les jeunes dans la vingtaine au TABLEAU 1, malgré son utilité, reste un exercice trop simple. Car il va sans dire que des immigrants de 30 ans et plus peuvent occuper des emplois laissés vacants par des retraités. Ils peuvent aussi créer leurs propres emplois, et en créer pour d'autres, qu'ils soient immigrants ou natifs. Sans compter que certains immigrants ne s'établissent pas ici pour travailler.

En outre, la dynamique économique des pays d'immigration engendre des besoins de diverses natures, dont ceux de main-d'œuvre notamment. Si tel n'était pas le cas, les «surplus» de la période 2011-2017 apparaissant au TABLEAU 1 - presque autant avec 50 000 immigrants qu'avec 60 000 -, pourraient être confondus avec le chômage, ce qui n'est évidemment pas le cas pour la très grande majorité.

Dans sa nouvelle politique d'immigration, le gouvernement fait état de 12 consensus importants. Or, le tout premier souligne «l'importance d'un meilleur arrimage entre les besoins des employeurs et la sélection des personnes immigrantes» (p. ix). Pour ce faire, il est précisé que la sélection «doit être arrimée aux besoins du marché du travail [notamment] aux niveaux professionnel, technique et des métiers spécialisés» (p. 8).

Mieux sélectionner est difficilement compatible avec des objectifs d'immigration déjà élevés et en hausse, surtout que le gouvernement veut faire en sorte «que les personnes immigrantes puissent réaliser leurs démarches avec célérité» (p. 27). Il y a plus de 6 ans, Gérard Pinsonneault, jadis professionnel en immigration au gouvernement du Québec, voyait dans un «projet [...] de modification réglementaire [touchant] la sélection des immigrants, [...] un empressement marqué à faire du volume».

À notre avis, la ministre Kathleen Weil, donne implicitement raison à son ancien employé. En effet, après avoir constaté que des «personnes immigrantes peuvent éprouver d'importantes difficultés de participation au marché du travail», elle propose entre autres solutions, «un ajustement continu des outils et des critères utilisés pour sélectionner les candidates et candidats disposant des talents, savoirs et compétences nécessaires» (p. 8).

Il s'agissait donc d'y penser: une sélection des immigrants à géométrie variable, afin de dresser la table pour accueillir de plus en plus d'immigrants, sans examiner notre «capacité de payer» leur pleine intégration économique, sociale, culturelle et linguistique.

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Mai 2017

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