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À la frontière nord-coréenne

Comment perçoit-on le monde extérieur en Corée du Nord? Le monde apparait simplifié, et consiste principalement de deux ennemis qui doivent être exterminés: les États-Unis d'abord, la Corée du Sud ensuite
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La scène n'est pas banale. Du côté sud de la frontière entre les deux Corées, nous nous trouvons dans le «Village de la liberté» avec Shina, notre guide.

L'endroit est devenu au fil du temps une halte touristique achalandée, où s'érige même un parc d'attractions. Du côté de la Corée du Nord, on aperçoit au travers des binoculaires ce que le Sud surnomme avec mépris le «Faux village». Rien de plus qu'un «plateau de tournage d'un million de dollars», selon Shina.

Une frontière, deux villages si différents, mais dont l'objectif est le même : montrer à l'autre une image de prospérité, de bonheur, et de richesse. Vestige unique de la guerre froide, le lieu observe la confrontation physique des idéologies communistes et capitalistes, de la démocratie et de la dictature, au sein d'un seul et même peuple.

D'immenses haut-parleurs placés des deux côtés de la frontière se renvoient des messages de propagande. Messages inaudibles, d'ailleurs, parce que simultanés. On se parle, mais on ne s'entend pas.

Et soudain, la voix mécanique qui jaillit du haut-parleur du côté sud se tue, un instant, pour laisser place à un air bien connu... Le Gangnam Style. Et voilà que les touristes attroupés autour des binoculaires se mettent à danser en riant. Ajoutez les cris des enfants tournant dans les manèges du parc et disons que la tension est dure à observer.

Et pourtant, la gravité du drame qui se vit ici est bien réelle, et s'imposera pour le reste de notre visite à la frontière nord-coréenne.

Deux jeunes garçons observent les terres de la Corée du Nord depuis la Zone Démilitéralisée (DMZ).

Depuis l'armistice de 1953, une zone frontalière démilitarisée (DMZ) doit en principe assurer la fin des hostilités et servir de rempart contre toute agression militaire. Cette visite des installations frontalières, à quelques kilomètres au nord de Séoul, nous l'avons fait accompagné de PTC, une agence touristique qui prône la réunification des Corées sous le slogan We hope for one Korea.

La journée débute avec la rencontre d'une ancienne militaire de la marine nord-coréenne et déserteuse, dont l'histoire bouleversante permet de mieux comprendre la société nord-coréenne, la tension entre les Corées et le régime de Pyongyang. Pour des raisons de sécurité, appelons-la Kim. L'intérêt du groupe envers Kim a provoqué une longue session de questions-réponses.

Pourquoi s'est-elle d'abord enrôlée dans l'armée? L'État l'a choisi, comme il choisit le métier de chacun des citoyens, explique-t-elle. Ce qui l'a le plus marqué à son arrivée à Séoul? L'accessibilité à l'eau potable, rien de moins. Comment perçoit-on le monde extérieur en Corée du Nord? Le monde apparait simplifié, et consiste principalement de deux ennemis qui doivent être exterminés: les États-Unis d'abord, la Corée du Sud ensuite. L'endoctrinement est total, et commence dès l'enfance. Prend-elle au sérieux les menaces de Kim Jong Un? Non, ce n'est que du chantage. Mais quelqu'un devra un jour intervenir, le seul moyen de freiner le régime, croit-elle.

Un homme pointe vers elle sa caméra, mais est rapidement rabroué par les guides. Les membres de la famille de Kim ne savent pas qu'elle se trouve en Corée du Sud, cette nouvelle «les tuerait», affirme Shina. L'on comprend que ce n'est pas seulement au sens figuré.

La frontière avec la Corée du Nord est un lieu de recueillement pour les visiteurs coréens, toujours affectés par les conséquences de la guerre de 1950.

À l'extérieur, nous nous regroupons autour de binoculaires. De l'autre côté d'un petit plan d'eau se trouve l'interdite, la mystérieuse, la dangereuse Corée du Nord. À travers les jumelles, on aperçoit des gens travailler dans les champs, ou encore de petites maisons blanches ancrées dans les montagnes.

À côté de nous, un homme crie à répétitions un mot que je ne connais pas, les yeux plongés sur ces gens accroupis dans les champs. «Abeoji veut dit père», nous explique Shina visiblement émue. «La guerre de 1950 a causé la mort de millions de personnes. Le mur lui a divisé des milliers de familles.»

Le tour guidé nous mènera à visiter divers points d'intérêt au cours de la journée, dont le 3e tunnel, l'un des quatre tunnels conduisant du nord en direction de Séoul, découvert sous la zone DMZ à divers temps depuis les années 1970, preuve de l'ambition guerrière de la Corée du Nord. Une longue marche souterraine qui donne froid dans le dos.

Mais ce qui m'a le plus frappé, c'est la visite du poste douanier Dorasan, une station de train moderne... et complètement inoccupée. Même si Pyongyang se situe à environ 200 km de la frontière, aucun train ne relie les capitales coréennes depuis 2008. Le service de transport de marchandises entre le sud et nord n'aura duré qu'un an avant qu'il ne soit interdit par le gouvernement nord-coréen. Mis à part les touristes qui investissent les lieux pour prendre en photo l'enseigne dirigeant les voyageurs vers Pyongyang, la station Dorasan n'est aujourd'hui rien de plus qu'une gare fantôme.

«Nous attendons sa réouverture, lorsque la réunification aura eu lieu», nous dit Shina.

Sur les fils barbelés érigés à l'extérieur, des centaines de rubans colorés expriment ce sentiment d'espoir.

Des centaines de rubans portant des messages de paix et d'espoir décorent les barbelés à la frontière nord-coréenne.

Sur la route qui nous ramène à Séoul, les affiches rouges indiquant que des mines se trouvent à proximité nous rappellent une fois de plus qu'une guerre a ici fait plus de 6 millions de morts et blessés. Mais il ne fait plus de doute que ce ne sont pas les bombes qui effraient Shina, mais bien ce mur qui se dresse toujours à la frontière et en divise les familles.

C'est bien ce que l'on retient d'un voyage à la frontière coréenne, de Séoul et de la Corée en générale, cette aspiration inaltérable de réformer ce pays déchiré.

Quelques jours après notre visite, la Corée du Sud élisait le Président démocrate Moon Jae-In, qui a fait campagne en proposant un meilleur dialogue avec Pyongyang. Mais face à la détermination parallèle du Nord et de Kim Jun Un de reconquérir le sud de la péninsule par les armes, peut-on espérer un dénouement heureux? La réunification des Corées semble ici être un événement incessamment inévitable.

Espérons pour le peuple coréen, qui a déjà beaucoup souffert, qu'elle aura lieu avec la plume et non avec le fusil.

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