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À qui appartient Mars? Colonisation, exploitation, le statut de la planète rouge est censé être fixé mais...

À qui appartient Mars? Le statut de la planète rouge est censé être fixé mais...
Don't settle for the surface of Mars. Use your imagination to conquer the universe.
Andrew Rich via Getty Images
Don't settle for the surface of Mars. Use your imagination to conquer the universe.

SCIENCES - "L’espace extra-atmosphérique, y compris la Lune et les autres corps célestes, ne peut faire l’objet d’appropriation nationale par proclamation de souveraineté, ni par voie d’utilisation ou d’occupation, ni par aucun autre moyen". Cet extrait du Traité de l'espace, entré en vigueur en 1967, en est l'un des principes les plus fondamentaux.

Initialement signé et ratifié par les Etats-Unis, l'URRS et la Grande-Bretagne, ce traité entendait "régir les activités des États en matière d'exploration et d'utilisation de l'espace extra-atmosphérique". L'objectif? Que la conquête spatiale, qui n'en était alors qu'à ses prémisses puisque l'homme n'avait pas encore marché sur la Lune, profite "à tous les peuples" dans un esprit de "coopération".

Alors que la conquête de Mars est attendue comme la prochaine étape de l'exploration spatiale et que des entreprises privées évoquent sa colonisation, son statut semble donc bien encadré. En réalité, la réponse est beaucoup moins tranchée qu'il n'y paraît...

Un consensus pas si évident

Ratifié par une centaine de pays, le Traité de l'espace sert toujours de base au droit international, et a depuis été complété par d'autres textes. Mais un certain flou persiste, car si l'espace et ce qui s'y trouve est considéré comme un "patrimoine commun" à l'humanité, cela veut aussi dire qu'il n'appartient à personne... d'où les risques d'appropriations diverses. D'autant plus que tous les pays n'ont pas ratifié ces textes, et que la conquête spatiale a évolué depuis la Guerre Froide.

Comme le note Le Figaro, "les réglementations ont fleuri, des accords bilatéraux ou multilatéraux entre gouvernements ou entre agences spatiales se sont multipliés", avec "des tonnes de documents" qui rendent les principes du droit international de l'espace bien compliqués... et sujets à interprétation.

Depuis les années 1960, la question de l'appropriation est censée avoir été clarifiée, notamment avec le traité sur la Lune, entré en vigueur en 1984, qui étend le principe suivant à tous les corps célestes - dont Mars - mais aussi aux entreprises et aux particuliers:

"Ni la surface ni le sous-sol de la Lune, ni une partie quelconque de celle-ci ou les ressources naturelles qui s’y trouvent, ne peuvent devenir la propriété d’États, d’organisations internationales intergouvernementales ou non gouvernementales, d’organisations nationales ou d’entités gouvernementales, ou de personnes physiques".

Chercheur à l'IDEST (Institut du droit de l'espace et des télécommunications), Thomas Royal explique au HuffPost que ces dispositions fixent un cadre légal assez clair en ce qui concerne "les activités commerciales ou stratégiques" des Etats. "Là où le consensus est plus difficile à émerger, nuance-t-il, c'est sur la notion de patrimoine commun de l’humanité et sur le régime applicable à l’exploitation des ressources de la Lune et des autres corps célestes", dont Mars.

D'autant plus que le Traité de la Lune n'a été ratifié que par... 16 pays. Hormis les Pays-Bas (ainsi que l'Autriche et la Belgique) dans le cadre de l'Agence spatiale européenne, aucun de ces Etats ne développe de près ou de loin un programme spatial destiné à envoyer des humains sur Mars dans les prochaines décennies, au contraire des Etats-Unis et de quelques autres puissances.

La colonisation, ce n'est pas pour tout de suite

La Nasa fait partie des rares agences spatiales capables d'envoyer l'homme sur Mars dans les prochaines décennies, comme elle l'a montré en décembre dernier en lançant avec succès sa capsule Orion. Mais il faudra attendre au moins les années 2030, notamment à cause des restrictions budgétaires. L'Europe et la Russie, mais aussi la Chine ou encore l'Inde, sont aussi sur les rangs, mais ne seront pas près avant des décennies.

Contacté par le HuffPost, Francis Rocard estime de toute façon qu'aller sur Mars "ne veut pas dire s'octroyer la propriété du territoire" ni le coloniser. L'astrophysicien, responsable du programme d'exploration du système solaire au CNES (l'agence spatiale française) met en avant l'aspect symbolique: "Poser un drapeau n'est pas une déclaration de territoire, explique-t-il, on reste dans un cadre d'exploration scientifique". Même si on se doute que les Etats-Unis ne manqueraient pas de planter leur drapeau pour signifier qu'ils sont les premiers arrivés... comme l'espère Buzz Aldrin:

Francis Rocard illustre son propos avec la Lune, sur laquelle la Chine envisage de marcher à son tour d'ici 2030. "Les Etats-Unis ne contestent pas le patrimoine commun" qu'est l'astre lunaire, explique-t-il, mais "il y a une velléité américaine de faire des 'sites Apollo' un sanctuaire", pour éviter que des taïkonautes chinois n'altèrent certains sites où sont restés des objets commémoratifs, des sondes ou encore des étages de fusée américains. Une question de symbole, là aussi.

En 1980, la L5 Society avait fait échouer la ratification du Traité de la Lune au Sénat américain. Cette association de lobbyistes de la colonisation spatiale, qui promouvait la construction d'habitats spatiaux en orbite autour de notre satellite, estimait que de telles restrictions empêcheraient la colonisation de l'espace par l'homme, notamment avec des visées commerciales. Car Mars suscite aussi l'intérêt des entreprises.

Quand les entreprises s'en mêlent

Certaines firmes ou entrepreneurs ont l'intention d'accélérer les choses, dans l'espoir de doubler les agences spatiales gouvernementales. C'est le cas de Mars One, fondation qui affirme pouvoir envoyer dès 2026 une première équipe de volontaires pour coloniser la planète rouge sans retour possible, après un voyage de sept mois. Plus de 200 000 personnes se sont portées candidates pour faire partie de ce projet, dont la faisabilité et le financement suscitent de plus en plus de doutes.

De son côté, Francis Rocard estime qu'une colonisation humaine de Mars dans un futur proche est peu probable. Quant à Mars One, le scientifique affirme qu'il "n'y croit pas" et qu'il s'agit de "bluff". Lancé en 2012, ce projet visant à établir une colonie de peuplement sur la planète rouge en y envoyant des astronautes amateurs, peine à trouver des financements. La société de production Endemol, qui devait y contribuer grâce à une émission de télé-réalité, a d'ailleurs récemment jeté l'éponge.

Un visuel de Mars One

Autre projet médiatique et pour le moins spectaculaire, celui d'Elon Musk, entrepreneur d'origine sud-africaine qui a répété en janvier dernier son intention d'envoyer des hommes sur Mars autour de 2025. Le milliardaire d'origine sud-africaine a notamment cofondé Paypal, le constructeur de voitures électriques Tesla et SpaceX, l'un des deux prestataires privés chargés de ravitailler la Station spatiale internationale pour le compte de la Nasa.

Elon Musk espère envoyer une dizaine de personnes puis, à terme, établir une colonie permanente de quelque 80.000 personnes sur Mars. Même s'il paraît davantage crédible que Mars One, ce projet est qualifié de peu "raisonnable", voire de "rêve", souligne 20minutes. Dans un article publié sur son site, le quotidien a demandé son avis à Marco Caceres. "La seule chose qu'il dit vraiment, c'est: 'Je suis capable d'y arriver plus vite que la Nasa'", nuance cet analyste chez Teal Group, société de conseil dans l'aéronautique et de la défense.

Francis Rocard juge la colonisation à court terme peu probable. "Soit vous restez un mois, soit 500 jours", souligne-t-il, ce qui s'explique par la position de Mars et la longueur du voyage retour et par le manque de ressources sur place, récemment pointé du doigt dans une étude sur Mars One. Si ces projets ont peu de chances d'aboutir dans les délais annoncés, Thomas Royal estime quand même qu'ils "posent la question de l’adaptation du cadre légal" et "peuvent constituer un risque juridique pour les Etats", censés contrôler les activités spatiales publiques comme privées.

Dérives et attrape-gogos

En attendant d'y poser les pieds, d'autres ont aussi cherché à s'approprier indirectement des parcelles de Mars et gagner de l'argent. "Le Traité de l'espace de 1967 stipule qu'aucun gouvernement ne peut posséder de propriété extraterrestre" mais "omet de mentionner les individus et les entreprises", peut-on lire sur le site de la Lunar Embassy, autoproclamée "seule compagnie au monde à posséder une base légale et un copyright pour vendre des parcelles de Lune et d'autres propriétés extraterrestres à travers le système solaire".

Dirigée par le fantasque Dennis Hope, cette soi-disant "Ambassade lunaire" se base sur de vieilles lois américaines, remontant à la conquête de l'Ouest, et assure que toute zone non habitée peut être revendiquée par n'importe qui. En dehors de la Lune, elle vend aussi des parcelles sur Mercure, Vénus, Io, l'un des satellites de Jupiter, et donc Mars, dont vous pouvez vous offrir une acre (un peu plus de 4 km2) pour la modique somme de 19,99 dollars.

"Titre de propriété" pour une parcelle de Mars

En 2009, l'Institut international du droit de l'espace avait mis en garde contre la multiplication de ce genre de revendications et des ventes de parcelles de corps céleste à des particuliers. L'institution appelait alors à la mise en place d'un "régime légal spécifique pour l'exploitation de ces ressources dans le cadre des Nations unies, sur la base du droit de l'espace international actuel, dans un but de clarté".

"Quelle est donc la valeur juridique de ces documents? Aucune", nuance cependant le CNES, l'Agence spatiale française, sur son site: "La vieille loi américaine dénichée par la Lunar Embassy ne fait pas le poids face à un traité international. Impossible donc de protester auprès de la NASA parce qu’un véhicule d’exploration a laissé des traces de chenilles sur le bout de terrain lunaire que vous venez d’acheter".

Selon Francis Rocard, ces "titres de propriété" sont "complètement bidons" et reviennent à "faire de l'argent avec des gogos". Imaginés par plusieurs firmes et hommes d'affaires depuis le début des années 1990, les projets d'hôtels spatiaux sont quant à eux restés lettre morte. Et les avancées du tourisme spatial ont été sensiblement ralenties depuis le crash du Virgin Galactic de Richard Branson en 2014.

L'exploitation des ressources en question

De nombreuses œuvres de fiction ont imaginé à quoi pourrait bien ressembler la vie sur Mars une fois colonisée. Dans le recueil de nouvelles "La Voie martienne" d'Isaac Asimov ou dans le film "Ghosts of Mars", on retrouve le thème de la terraformation d'une planète rouge rendue habitable (et donc exploitable) par l'être humain. Dans "Total Recall", adaptation cinématographique d'une nouvelle de Philip K. Dick, Mars fait même office de mine d'extraction géante, sous la coupe du tyran Vilos Cohaagen.

Dans la réalité, le sol martien recèle effectivement des minerais et métaux qui pourraient servir à d'éventuels colons, comme du lithium, du cobalt, de l'or ou encore du nickel, utile par exemple pour produire de l'acier. Mais a priori, ces ressources ne justifieraient pas à elles seules la durée et le coût du voyage vers la planète rouge. Comme le résume Thomas Royal, "tant que l’exploitation des ressources des corps célestes ne sera pas économiquement viable, la question du régime juridique applicable ne se posera pas".

Francis Rocard estime aussi que cette problématique future concerne avant tout la Lune (où l'on compte sur la présence de métaux rares comme le titane, de terres rares ainsi que d'hélium 3) et éventuellement les astéroïdes. "Personne n'empêche personne de les exploiter mais encore faut-il trouver l'objet rare", selon Francis Rocard, mais "personne n'envisage sérieusement" d'exploiter Mars dans un futur proche.

Lorsque cela arrivera, d'autres problèmes surgiront. Comme le note le CNES, on en a déjà un aperçu avec le "flou juridique" autour des "bouts" d'espace tombés ou ramenés sur la Terre. "Par exemple, les échantillons lunaires ramenés par la mission Apollo 11 ont été déclarés bien national par la Nasa, explique l'Agence spatiale française. Elle est seule à pouvoir décider de les prêter ou non aux communautés scientifiques des autres pays", ce qui pourrait entraîner quelques disputes.

"L’article 11 de l’accord sur la Lune appelle à la mise en place d’un régime international sur l’exploitation des ressources naturelles afin de garantir un accès équitable entre tous les Etats parties au traité", rappelle Thomas Royal. Mais là encore, faute de ratification par les principaux Etats engagés dans la conquête spatiale, le problème n'est pas réglé. De son côté, Francis Rocard dresse un parallèle avec le traité de l'Antarctique (1959), qui proclame la "liberté de la recherche scientifique" et l'utilisation de l'Antarctique "à des fins pacifiques".

Des protocoles ultérieurs ont depuis fait du "continent blanc" une "réserve naturelle consacrée à la paix et à la science". Mais ces règles sont contestées, notamment par la Russie. Et le Traité expirera en 2041. En sera-t-il de même pour les traités de l'espace?

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