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La princesse du steamé

Imaginez-vous donc que mon fils de 12 ans a pleuré toutes les larmes de son corps car sa petite blonde a cassé sans lui dire pourquoi.
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Imaginez-vous donc que mon fils de 12 ans a pleuré toutes les larmes de son corps car sa petite blonde a cassé sans lui dire pourquoi.

Ça ne faisait pas 8 ans qu'ils étaient ensemble là, non. À peine deux mois. Pas d'hypothèque commune, pas de compte conjoint, pas de chien à se déchirer et encore moins d'enfants à se partager une fin de semaine sur deux. Rien de tout ça. Bon, ok, quelques souvenirs ici et là... mais rien pour pleurer sa vie, car c'est ce qu'il a fait quand je lui ai demandé:

«Pis, avec ta blonde? C'est pour quand le mariage?»

Il a flanché.

Je vous avoue m'être dit:

«Ben voyons? Pourquoi tu pleures? Ça faisait juste deux mois pis t'as juste 12 ans. Une de perdue, dix de retrouvées! Y a rien là!»

Eh bien oui, y a de quoi là. Y a de quoi là, parce que dans son petit cœur d'enfant, il venait de découvrir un sentiment de rejet.

De plus, ce rejet lui avait aussi appris qu'on pouvait aimer quelqu'un différemment de toutes les autres personnes. Elle, il l'aimait différemment. Quand elle lui a annoncé, elle sautait sur son trampoline et lui était dans la cour voisine. Il l'a appris lorsqu'elle est apparue au-dessus du buisson séparant les deux cours. Même en étant par terre, c'est lui qui a fait le plus grand saut des deux.

Je l'ai finalement écouté, consolé, et me suis rappelé ceci.

Été 1987. J'ai 11 ans. C'était un été chaud et humide comme nous en avons rarement eu depuis. Pensez à l'une de ces journées où le linge te colle sur le corps et qu'il est difficile de respirer. Ce genre de journée. Je m'en souviens car cet été-là, je l'ai passé en majeure partie au camping où séjournait ma tante Louise, Louise L'Heureux. Elle avait rencontré, quelques mois plus tôt, son nouveau chum et propriétaire du camping, un dénommé Louis Guay. Louise et Louis. J'ai ri lors des présentations, mais pas autant qu'à l'idée qu'ils aient un enfant au nom composé L'Heureux-Guay. Là, j'ai carrément craqué.

Rassurez-vous, ils n'ont pas eu d'enfants. Bénis soient-ils au nom de la méchanceté que peut procurer les cours d'école.

Dès la fin de l'année scolaire, j'y allais pour passer une journée et demie. J'y suis resté tout l'été. À mon arrivée, ne connaissant personne d'autre que ma tante, je passais le plus clair de mon temps à me promener sur l'immense site et à rôder près de la piscine. L'énorme envie de faire des longueurs toute la journée et quelques bombes pour impressionner les jeunes et jolies adolescentes en maillot une pièce y était.

Un léger détail y était encore plus: je ne savais pas nager.

Je me souviens que c'est un facteur qui m'avait forcé à y faire saucette. Le facteur Humidex. Il devait avoisiner les 42 degrés, à l'ombre. C'était suffocant. À 5 pieds 8 et 1 440 onces, je crois que c'était dangereux que je sue autant. Je suais tellement que l'eau me ruisselait sur tout le corps à un point tel qu'une famille de colibris pataugeaient à mes pieds venant de découvrir un oasis en plein désert. J'exagère à peine.

Je m'aventurais évidemment toujours à l'eau par les escaliers, mais avec l'attitude du gars qui en avait assez de toujours plonger tête première dans le creux. Remarquez que les gens autour de la piscine n'étaient pas dupes. Ils savaient bien que je n'aurais pas plongé. Quelle raison venait avant l'autre entre le fait que j'avais encore mes lunettes style fonds de bouteilles années 1980 dans le visage, ou que j'avais l'obligation de porter des flotteurs jaune serin aux bras, dû à ma tante qui avait coché «Non» à la question:

«Est-ce que l'enfant sait nager?»

Je ne faisais donc que me saucer la partie inférieure aux flotteurs. Il fallait vraiment que la température soit insupportable. Non mais, il y a des limites à ce que la honte puisse endurer, surtout qu'elle était déjà très occupée avec le p'tit monsieur pas d'cou incapable de sortir de sa chaise longue qui venait de défoncer à 10 pieds de moi. Au moins, pendant ce temps, j'avais l'impression que j'avais une pause de tous les regards sur moi.

Je sortis, amplement rafraîchi des pieds aux flotteurs. L'odeur d'huile à patates frites avait déjà commencé à faire surface sur tout le camping et avait eu raison de mon appétit. Je réussis même, à travers mes lunettes salies d'eau séchée au soleil, à apercevoir qu'il y avait déjà foule devant le casse-croûte et entrevoir ce qui s'y cachait derrière. Mon cœur a fait mille tours. C'était la plus belle sensation de chaleur intérieure que j'avais vue de mes yeux vus. Il faisait maintenant froid et chaud en même temps. Elle était là, deux moutarde-chou dans les mains et un sourire qui donnait une meilleure raison de porter des lunettes soleil que le soleil lui-même.

À mesure que la file nous séparant rapetissait, ma nervosité grandissait jusqu'à l'envie de partir, car je devais lui parler. À deux pas du «rack à napkins», j'en pris une que j'utilisai pour finalement empirer encore plus la saleté de mes lunettes. Trop tard pour utiliser de la bave pour les améliorer. La beauté de la princesse du roteux, identifiée au prénom de Demi sur son chandail, se confirmait de plus en plus. Elle avait le même prénom que l'actrice Demi Moore dans mon film préféré. J'y voyais là un signe évident, du moins, pour moi.

Je comprenais maintenant Claude Dubois car moi aussi «j'avais pas encore 16 ans, j'étais amoureux.» J'avais entendu ces paroles des milliers de fois dans l'auto de mes parents, mais sans jamais vraiment les écouter.

«Salut! T'as des beaux flotteurs. Qu'est-ce que je te sers?»

Moi : «.........Quoi?»

«Tes flotteurs jaunes sur les bras, ils sont voyants», me rappela de façon destructrice ma princesse du steamé, de sa douce voix.

J'ai connu la sensation d'un cœur qui explose à ce moment. Ça n'aura duré que quelques minutes, seulement le temps de la contempler. Mon rêve de devenir le roi du fast-food à ses côtés venait de s'envoler, emmenant avec lui ma dignité. Après les avoir retirés, ils avaient eu le temps de laisser leurs marques blanchâtres, signes d'une première exposition au soleil.

«Une Orange Crush, s'il te plaît.»

L'appétit m'avait coupé par orgueil. J'aurais voulu que cela se passe autrement, mais je n'étais pas prêt. Pouvons-nous l'être vraiment?

Je l'ai saluée sans la regarder, je veux croire qu'elle m'a souri. Son ton me le laissait supposer lorsqu'elle m'a souhaité: « Bonne baignade!» Je me suis senti comme une tortue à qui l'on aurait souhaité: «Bonne course».

L'ado qui, jusque-là, ne s'en faisait que pour l'amour des jeux et de la nourriture, venait de découvrir une nouvelle émotion. Je t'en ai voulu, Demi, de m'avoir injecté cette hormone sans que je ne te l'aie demandé.

Pourtant tout y était pour que la foudre opère entre nous deux. Un courant humide. Un élément conducteur dans sa question «Qu'est-ce que je te sers?», et une tension palpable comme le mou de mes flotteurs lorsqu'elle a tendu son bras pour me remettre ma liqueur. Suis-je seul à l'avoir ressentie? Je t'en ai voulu durant le reste de la journée, je t'en voudrais durant le reste de la saison. Je t'en ai voulu de ne pas comprendre ce que je venais de vivre. Je t'en ai voulu de m'avoir fait découvrir cette émotion pour la première fois, cette émotion qui ne voulait plus s'en aller. Une colonie de papillons venaient d'éclore de leurs cocons et s'étaient installés dans mon estomac. J'étais tellement mieux lorsqu'ils n'étaient que chenilles. Je t'en ai voulu de devoir te revoir chaque jour, de devoir me demander si j'allais rester ici plus longtemps, plus longtemps que maintenant. Je t'en ai voulu de ne plus pouvoir apprécier l'odeur des patates frites comme avant.

Le reste de l'après-midi fut assez tranquille. De retour à la roulotte, je me suis endormi à l'air climatisé pour quelques heures. À mon réveil, j'arrivais encore presque à la voir et à entendre sa voix.

«Salut! Tu dois être Patrick?»

ELLE ÉTAIT VRAIMENT LÀ... et moi en bedaine, les yeux collés et la vision floue.

«Oui, oui», dis-je en tâtonnant le divan à la recherche de mes lunettes.

«Je suis la fille de Louis. Toi, le neveu de Louise, c'est ça?»

«Oui, oui.» (Je ne suis pas très verbomoteur quand je me réveille.)

«À bientôt! Je dois quitter, mon chum m'attend! Bye!», dit-elle, cigarette à la main en enfourchant le scooter de celui que j'aurais juré être Chabot, de La guerre des tuques.

«Salut! À bientôt! »

Sentant mon cœur se rapiécer.

Ça n'aura duré que quelques heures. J'étais déjà guéri d'elle. C'est parti comme c'est venu. Elle était la fille de Louis mais, surtout, elle fumait. Mon traumatisme lors des transports en auto l'hiver avec mes deux parents qui boucanaient, les fenêtres fermées, était visiblement encore présent.

Avec le temps, je me suis rendu compte du côté simpliste de la situation, mais comment pouvait-il en être autrement? L'adulte que nous sommes se questionne encore lors de la découverte de sensations intérieures inconnues et agit souvent en fonction de celles-ci.

Puis-je m'en vouloir et rire de moi, l'adolescent inexpérimenté que j'étais? Ma réaction n'était pas insensée, pas plus que celle de mon fils. On appelle ça être vivant.

On ne peut pas toujours tout expliquer.

Comme, par exemple, appeler sa fille Demi. Demi Guay? Vraiment?

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