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Afghanistan : utiliser des mercenaires pour faire la guerre?

La simple utilisation de l'outil militaire américain n'arrêtera pas cette guerre sans fin.
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Le beau-fils du président Trump, Jared Kushner, et son fameux conseiller de l'ombre, Steve Bannon, soutiennent ce tournant radical dans la stratégie américaine.
Ahmad Nadeem / Reuters
Le beau-fils du président Trump, Jared Kushner, et son fameux conseiller de l'ombre, Steve Bannon, soutiennent ce tournant radical dans la stratégie américaine.

Deux sujets semblent dominer les conversations touchant à l'international en ce mois d'août à Washington : bien entendu, le dossier nord-coréen ; et le problème afghan. D'abord parce que le président Trump montre ouvertement son agacement et ses doutes face à cette guerre sans fin ; mais aussi parce qu'une proposition considérée comme scandaleuse a trouvé des appuis à la Maison-Blanche : arrêter d'envoyer des troupes américaines supplémentaires en Afghanistan, chercher à réduire les dépenses que les États-Unis semblent condamner à faire pour une cause qui ne génère plus vraiment l'enthousiasme... et obtenir tout cela grâce à l'emploi de mercenaires. Le beau-fils du président Trump, Jared Kushner, et son fameux conseiller de l'ombre, Steve Bannon, soutiennent ce tournant radical dans la stratégie américaine. Et celui qui est le visage public de cette idée, qui l'a défendu dans les médias américains et face aux représentants des pouvoirs politique et militaire, n'est autre que... Erik D. Prince, le sulfureux fondateur de Blackwater. Son plan ne coûterait « que » 10 milliards de dollars par an (en théorie), soit moins d'un quart des dépenses américaines actuelles... Il permettrait également de réduire la présence militaire américaine à 2000 hommes seulement d'ici moins de deux ans. Bien des arguments ont été mis en avant, par des journalistes et universitaires américains, pour critiquer cette proposition. Certains problèmes, légaux, politiques, sont réels. Pourtant, le plan proposé n'est pas forcément totalement mauvais. Il pourrait même être utile, s'il était quelque peu repensé.

L'emploi de mercenaires : avantages...

Il faut s'émanciper de la caricature du mercenaire que beaucoup ont en tête en Occident. Le temps n'est plus aux chiens de guerre peu recommandables : de véritables « entrepreneurs » de la guerre existent aujourd'hui, qui font leurs preuves sur le terrain, et sont à la tête d'entreprises florissantes en conséquence. Ils sont capables d'employer des combattants expérimentés, qualifiés pour le projet d'E.D. Prince (intégrer 5500 hommes dans les 91 bataillons afghans, pour les encadrer et les conseiller). Les mercenaires seront recrutés au mérite : ils ne seront donc pas forcément tous Américains. Prince a évoqué des recrues pouvant venir de France, d'Australie, d'Allemagne, de Grande-Bretagne... On parle donc d'un encadrement plus important que ce qui pourrait être fourni par une armée régulière, et plus qualifié grâce à son recrutement international. Point important : les soldats ne feraient pas le travail de contre-terrorisme, qui resterait la priorité des 2000 Américains qui se consacrent déjà à cette lutte en Afghanistan.

Cette force aérienne privée ferait le travail nécessaire le temps que l'aviation afghane devienne opérationnelle.

La proposition de M. Prince offre aussi des moyens aériens qui font cruellement défaut, en ce moment, à Kaboul. Elle évoque une aviation privée, composée entre autres d'hélicoptères d'attaque et de drones, capables de soutenir les troupes au sol et de collecter de l'information. Cette force aérienne privée ferait le travail nécessaire le temps que l'aviation afghane devienne opérationnelle.

...et limites

Malgré tout, la proposition d'Erik D. Prince n'est pas sans failles, loin de là. Son idée d'un vice-roi en Afghanistan comme il y en avait un dans l'Inde coloniale est insultante pour une nation qui se souvient des guerres anglo-afghanes. Elle représente aussi une vision idéologique et romancée du passé, et notamment de la Compagnie des Indes, qui ne prend pas en compte les atteintes aux droits de l'Homme de ce type de néo-impérialisme, tout simplement inacceptable aujourd'hui. En tout cas si on veut mener une politique contre-terroriste sérieuse. Cela rejoint une critique légitime déjà faite aux mercenaires actifs en Irak (dont ceux de Blackwater) : une attitude trop souvent agressive et arrogante face aux civils, et un clair désintérêt et manque de respect pour la culture locale. Ce type de néo-impérialisme a été du pain béni pour les rebelles en Irak, et aurait le même effet désastreux en Afghanistan.

Et surtout, tout simplement : l'Afghanistan est un pays souverain, l'idée d'un vice-roi nie cet élément essentiel pour la crédibilité du gouvernement de Kaboul. Et si cet État souverain refuse des mercenaires (ce qui semble le cas en ce moment), il faudra trouver un compromis avec lui, ou accepter sa décision. Une proposition renouvelée, offrant de vraies garanties sur la question des droits de l'Homme et confirmant l'autorité du président afghan Ashraf Ghani plutôt que d'un quelconque « vice-roi » américain, pourrait néanmoins être digne d'intérêt.

Le vrai problème de Washington : la diplomatie

En fait, le problème n'est pas entre soldats américains et « mercenaires ». Il est dans le rapport américain à l'Afghanistan, et surtout à son environnement régional.

On l'a expliqué dans d'autres articles : limiter le problème afghan à l'accusation d'une responsabilité d'abord extérieure, et uniquement dans son environnement régional, même pris au sens large (Pakistan, Iran, et dernièrement Russie) est simpliste. Cela ne signifie pas que l'environnement régional soit innocent : un État a comme priorité de défendre ses intérêts propres, et peut faire des erreurs d'appréciation. Quoi qu'on en pense, c'est le sens des politiques afghanes de Moscou, de Téhéran, d'Islamabad... mais aussi de Washington.

Accuser des États de la région est une façon commode, pour les Américains comme pour le gouvernement de Kaboul, de masquer leurs erreurs et leurs fautes. Avant d'accuser le Pakistan ou l'Iran, il serait bon de lutter enfin réellement contre la corruption, et s'assurer que la somme colossale dépensée pour stabiliser l'Afghanistan ne soit pas en partie « perdue » par des dépenses absurdes ; ou par des détournements de fonds enrichissant une partie des élites locales.

La simple utilisation de l'outil militaire américain n'arrêtera pas cette guerre sans fin.

Le fait d'utiliser des mercenaires ou des soldats est moins important que de travailler, enfin, avec l'environnement régional afghan. Et il se trouve, justement, que la Chine, la Russie (qui représente les intérêts des pays d'Asie Centrale), l'Iran et le Pakistan, ont sensiblement la même vision d'un processus de paix en Afghanistan. La simple utilisation de l'outil militaire américain n'arrêtera pas cette guerre sans fin. Par contre, combiner des capacités militaires (armée régulière et/ou mercenaires) et une diplomatie intelligente, conciliatrice avec Téhéran, Moscou, Islamabad, pourrait changer la donne.

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