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Il est urgent de rappeler qu'une victime, homme ou femme, de viol ou d'agression sexuelle n'a pas à se sentir coupable.
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Dans cette société où la culture du viol est régulièrement entretenue, il est urgent de rappeler qu'une victime, homme ou femme, n'a pas à se sentir coupable. Quelque soit la situation. Combien de fois ai-je pu entendre cela.. «J'ai rien dit, j'ai rien vu, je n'ai pas entendu...» J'ai donc décidé d'écrire un texte, en mêlant trois situations, trois voix de femmes,symbolisée par une typographie différente,trois témoignages sous forme de monologue avec la même issue fatidique, le même constat, ces voix qui se superposent, les récits qui s'entremêlent pour dire: «Après tout, c'est de ma faute».

C'est la nuit, c'est toujours la nuit, j'entends l'avant-dernière marche de l'escalier qui craque, toujours cet escalier qui grince, toujours. Je sens sa présence, sa respiration sourde qui découpe l'obscurité, qui se glisse sous la porte en silence (est-ce que tu dors), encore quelques secondes où le temps se fige et l'Ombre s'infiltre, se penche sur moi (est-ce que tu dors mon petit ange), je ne réponds pas, je ferme les yeux et

je presse le pas en marchant dans la rue, mes pieds battent la cadence sur le macadam, en rythme sur la musique que crache mon Ipod. Je vis chaque parole, je joue chaque situation, je suis la femme pressée qui rentre de soirée, je suis l'ombre de mon ombre, je suis la femme qui a dans les bottes des montagnes de questions qui ne me quittent pas à 4h du matin, je suis Debbie en travers les néons, Marlène et ses soldats, je suis

en train de l'attendre, comme d'habitude. Il est tard, et je ne dors pas. Je sais qu'il a ses copains, son boulot, le sport, je le sais, il a besoin de sa liberté, je le sais, mais sa présence me manque. L'appartement est vide, sans lui, sans son rire, sans son sourire narquois. Le petit s'est endormi sans poser de problèmes, je savoure le silence de la nuit et je guette son retour par la fenêtre de la cuisine, il finira bien par rentrer alors j'attends que

ses doigts courent sur ma peau, dessinent des histoires sans morale à la fin, serpentent le long de mon corps (est-ce que tu as froid), ses mains caressent mon visage, se posent sur ma bouche (pourquoi tu trembles), ses bras sont une toile, je respire son odeur qui pénètre ma peau, l'Ombre s'allonge contre moi, m'enveloppe de sa chaleur animale (tu m'as manqué ma)

('dame, madame), je continue de marcher, je ne me retourne pas, je monte le son dans le casque, (eh je vous parle), le son de la voix s'atténue au milieu des murs de poussière, au fond de la cabane du pêcheur, je ne m'arrête pas, non je ne fume pas je n'ai pas le temps non un café en pleine nuit ne me tente pas non je n'ai pas de numéro à te passer oui j'ai un copain, c'est comme une litanie que je me répète en boucle dans ma tête tandis que (revenez revenez) je

vois sa voiture qui se gare sur le parking, enfin, je vois sa démarche conquérante, c'est ce qui me plaît chez lui, dans quelques secondes il va entrer, il va claquer la porte de la chambre, en espérant qu'il ne réveille pas le petit, il va me prendre dans ses bras, (pardon pour le retard mon amour je n'ai pas vu l'heure), il aurait pu m'écrire quand même mais je ne

dis rien, je ne dis jamais rien, je la laisse susurrer à mes oreilles combien (tu es jolie) combien (tu es belle) combien (tu es jeune), je ne dis rien, je ne dis jamais rien et je garde les yeux fermés, j'attends que le soleil se lève pendant que l'Ombre s'étend sur mon corps et que sa main se posesur mon épaule (je peux vous parler deux minutes), je vois ses lèvres qui remuent mais je n'entends pas le son de sa voix, (oh je vous parle), il a l'air perdu, enveloppé dans ses vapeurs d'alcool, je le regarde faire des gestes, tandis que mon casque me hurle que je suis venu te dire que je m'en vais comme disait si bien Verlaine au vent mauvais (JE TE PARLE PUTAIN) je vois sa main qui se pose autour de mes hanches (tu n'aurais pas grossi dis donc un petit régime ne pourrait pas te faire de mal), puis ses mains qui descendent et s'accrochent à mes fesses (enfin bon tant que tu gardes ce cul moi ça me va), dans un éclat de rire, je ne réponds pas, j'ai l'habitude, je sens ses doigts fébriles, la respiration saccadée, je sens les murs de ma chambre qui se referment sur moi, sa voix me paralyse (est-ce que tu aimes) je sens le serpent se glisser dans mes mains, dans ma bouche, je sens que j'étouffe (est-ce que tu aimes), je sens le poids de son corps quim'entraîne dans un coin de la rue non éclairée par les lampadaires, je me débats, je crie, quelques fenêtres s'allument, rien ne bouge, le ciel devient rouge. Sa bouche se plaque sur la mienne, son haleine me prend à la gorge, (ne bouge pas ne crie pas), tandis que mon esprit se perd de l'autre côté du fleuve (ne bouge pas ne crie pas), l'aigle noir prend son envol dans mes oreilles, il se colle contre mon corps qui n'a pas envie de lui ce soir, je n'ai pas envie de sa virilité qu'il aime tant incarner (détends toi mon amour), j'ai juste envie de dormir, je suis fatiguée (j'ai toujours rêvé de le faire dans la cuisine), je n'ai pas envie (s'il te plaît), je n'ai pas (s'il te plaît), je n'ai (ALLEZ JE SUIS TON MEC QUOI) tandis qu'il me retourne contre la table, sa main caresse tendrement mes cheveux ( tu es une gentille petite fille), sa sueur suinte coule le long des murs, j'ai l'impression de me noyer dedans (regarde moi), je garde les yeux fermés toujours, (regarde moi), je garde les yeux fermés, (regarde moi voyons), non, je garde et je ne regarde pas, l'Ombre s'éloigne etje vois le jour qui se lève, je me traîne dans la rue, les collants déchirés, les images, les figures se bousculent, les odeurs, les sensations tandis que la musique résonne que ce n'est pas ma faute, moi Lolita, c'est pas ma faute à moi, et je ne la crois pas, alors je me redresse après qu'il se soit retiré, je ne dis rien, je vais m'enfermer dans la salle de bain (faudra remettre ça c'était cool non), je me regarde dans le miroir (t'as aimé chérie), je ne dis rien, je ne dis jamais rien, après tout c'est de ma faute et je vois que les larmes coulent silencieusement de mes paupières closes, le silence est revenu dans la chambre mais l'odeur de l'Ombre est incrusté sur ma peau, le serpent danse dans ma mémoire, tandis que ma mère rentre (bien dormi mon petit ange il est l'heure d'aller à l'école).

Article original publié sur artistecomptantpourrien.wordpress.com

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