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Aide médicale à mourir: le droit à l’égalité des personnes en situation de handicap en jeu

Le projet de loi C‑7 modifiera la loi actuelle en créant une voie séparée pour les personnes qui ne sont pas mourantes et ont peut-être encore des dizaines d’années à vivre, à condition qu’elles souffrent d’une maladie invalidante.
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L’adoption d’une loi lourde de conséquences progresse rapidement au Parlement, mais passe sous le radar d’une majorité de Canadiens et de Canadiennes, leur esprit étant occupé ailleurs.

Le projet de loi C‑7 modifiera la loi actuelle sur l’aide médicale à mourir (AMM) en créant une voie séparée pour les personnes qui ne sont pas mourantes et ont peut-être encore des dizaines d’années à vivre, à condition qu’elles souffrent d’une maladie invalidante.

La loi proposée les autorisera à se prévaloir de cette disposition si leur souffrance est intolérable, à faire une croix sur les années qui pourraient leur rester et à recruter un médecin disposé à provoquer leur décès.

Je vis depuis 67 ans avec une maladie dégénérative et je suis choquée par la facilité avec laquelle une norme en matière des droits de la personne peut être renversée lorsqu’on ne veille pas au grain.

“Pourquoi rendre l’aide médicale à mourir plus accessible uniquement pour les personnes dont le corps est altéré, souffrant ou en déclin?”

Le projet de loi C‑7 amène la question: POURQUOI NOUS?

Pourquoi seulement nous?

Pourquoi rendre l’aide médicale à mourir plus accessible uniquement pour les personnes dont le corps est altéré, souffrant ou en déclin? Pourquoi pas à tous les individus qui vivotent en marge de la société, à tous ceux qui recourent, pour en finir, à l’overdose, aux hauteurs d’un pont ou à une carabine au fond des bois? À quiconque juge que sa qualité de vie a piqué une plonge?

La réponse nous vient à tous spontanément, assurée, forte et claire. Cela ne nous ressemble pas. Nous composerons plutôt le 911, nous vous ferons descendre du parapet et, oui, nous vous contentionnerons dans les moments de crise, au diable l’autonomie. Nous irons au cœur du problème qui vous a conduit si loin et nous vous ramènerons vers une existence tolérable.

À moins, bien entendu, que votre souffrance ne soit liée à une maladie ou à un handicap. Alors, et seulement alors, aurez-vous accès à une voie spéciale conduisant à la mort assistée. À la mort sur demande, essentiellement.

L’universalité est la fondation même de nos engagements en matière de soins de santé. Comment expliquer alors que le projet de loi C‑7 s’écarte si radicalement de ce principe? Pourquoi abaisser les exigences de l’AMM seulement pour un groupe dont on sait déjà qu’il encourt un risque de suicide excédant largement celui qu’encourt la population non handicapée, mais pas pour d’autres individus qui souffrent et meurent avant leur temps?

Qu’est-ce qui rend cette orientation acceptable lorsqu’il s’agit de handicap?

Comment peut-on être si aveuglément confiants que le projet de loi‑7 ne causera aucun tort aux communautés de personnes handicapées? Honnêtement, je l’ignore. Tandis que nous affûtons nos arguments en prévision des contestations juridiques qui suivront si la loi est adoptée, voici un échantillon des réponses qu’on nous sert.

Certains affirment que la souffrance qui accompagne une maladie invalidante n’est pareille à aucune autre, qu’elle est plus cruelle, d’une certaine façon, que la douleur insupportable d’une personne non handicapée qui recourt à la mort prématurée par suicide. Aucune preuve n’appuie cependant ce stéréotype capacitiste.

D’autres avancent que la souffrance liée au handicap nous prive de toute espérance, comme ce fut le cas, prétendent-ils, pour Jean Truchon, un homme atteint de paralysie cérébrale dont la cause entendue par une seule et unique juge de la Cour supérieure du Québec a pavé la voie vers le projet de loi C‑7. Mais les privations imposées par la vie en établissement, qui ont anéanti chez lui toute envie de vivre, ne sont pas une conséquence inévitable du handicap. Ni d’ailleurs les restrictions pandémiques qui ont limité les heures passées avec ses proches dans les semaines ayant précédé sa décision.

N’avons-nous rien appris du pénible combat d’Archie Rolland et de son cri du cœur avant d’obtenir l’aide à mourir: « Ce n’est pas la SLA qui me tue »? N’avons-nous pas entendu les propos lucides de Scott Jones, qui tous les jours lutte contre son envie de se suicider, non pas à cause de sa paraplégie, mais parce que la société, écrit-il, «[l]’invalide, [l]’isole et [le] met en cage »?

D’autres encore affirment que la souffrance attribuable aux maladies invalidantes relève exclusivement du domaine médical. Or la quête angoissée de Sean Tagert, qui a reçu l’AMM en août dernier, nous enseigne tout autre chose. Ce dernier s’est battu jusqu’à la toute fin contre son transfert vers un établissement situé à quatre heures de route de son domicile, où il prenait soin de son fils de 11 ans. Quelques jours avant son décès, il a qualifié de « sentence de mort » les refus, par la bureaucratie, de lui accorder l’aide à domicile dont il avait besoin.

Enfin, certains se rabattent sur le mantra de leur choix. « Ce n’est pas tout le monde qui veut vivre “de cette manière” », disent-ils. Personne ne veut subir les indignités qui accompagnent la pauvreté non plus. Personne ne veut vivre sous la menace de la violence raciste, sexiste ou coloniale. Ni connaître la faim, la prison, l’abjection ou l’isolement.

Vous, qui êtes nos législateurs, accepteriez-vous de créer d’autres raccourcis afin que ceux et celles qui vivent dans de telles conditions puissent accéder à l’aide à mourir, ou vous porteriez-vous à la défense de leurs droits fondamentaux?

Vous défendriez bien sûr leurs droits fondamentaux.

Dans ce cas, je vous demande respectueusement de faire de même pour les personnes en situation de handicap, puisque c’est notre droit à l’égalité que le projet de loi C‑7 met aujourd’hui en jeu.

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