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Alep, Mossoul, deux villes, deux guerres

La bataille de Mossoul se finira au corps-à-corps dans des tunnels, celle d'Alep, sous les bombes.
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À chaque fois qu'on remplace le chaos par le vide, un nouveau chaos revient l'occuper. Sans paix politique, la guerre, jamais, n'est gagnée. Or, à Mossoul comme à Alep, il manque un projet politique.

La comparaison: l'histoire comme auteur

Mossoul et Alep, connaissent la marche de l'Histoire, tragique et sanglante. Sont-elles les filles jumelles du chaos ou plutôt les sœurs du vide? Le destin les a liées dans un agenda qui rejoue les grands échos de l'Histoire du Moyen-Orient.

Ces deux grandes villes sunnites font face à un pouvoir central chiite ou alaouite. Une insurrection sous domination religieuse a pris les armes contre des autorités locales. Cette histoire pourrait se passer à une autre époque. À ceci près que ces autorités sont soutenues par des coalitions internationales qui pèsent sur le jeu régional et national.

Présentées comme des guerres de reconquête territoriale, il s'agit d'abord de lutte contre-insurrectionnelle. Les populations ne sont pas acquises à leurs «libérateurs». Pire, favorables aux djihadistes, certaines zones urbaines sont de véritables bourbiers à guérilla. La question que tout le monde se pose est donc la suivante: «Pourquoi dénoncer Moscou à Alep alors que la coalition internationale occidentale risque de se comporter de la même manière à Mossoul?»

Alep est entrée depuis longtemps dans une phase de combats rapprochés avec des lignes de front urbaines qui séparent la ville alors que la bataille de Mossoul vient juste de commencer.

Non seulement le siège de Mossoul éteint celui d'Alep chez les médias, mais les inévitables pertes civiles mettront à mal, une fois de plus, le concept de guerre propre. À court terme, le procès dans l'opinion fait à Damas et Moscou pour crime de guerre risquera de paraître injustifié et affaiblira encore la posture de la politique étrangère occidentale au Moyen-Orient.

La réalité de la guerre, c'est d'abord des considérations stratégiques et topographiques. Alep est entrée depuis longtemps dans une phase de combats rapprochés avec des lignes de front urbaines qui séparent la ville alors que la bataille de Mossoul vient juste de commencer.

Enjeu pour les vainqueurs: le récit des victimes

La guerre se décide et se gagne autant dans les forces engagées sur le terrain et le rapport qu'elles entretiennent que dans la capacité pour chaque acteur d'imposer sa vision du conflit. En recherche de puissance politique peut-être plus que militaire, il s'agit de faire valoir les raisons de son engagement et de donner à voir les interprétations les plus nombreuses possible de ses réussites. D'un côté, on raconte un régime dur, inamovible, contre une rébellion aux mille visages, majoritairement djihadiste et islamiste, de l'autre on raconte un régime laïc, en réalité quasi-ethnique et confessionnal, contre des groupes terroristes mêlant tribus locales et soutiens des populations qui ne sont pas systématiquement opprimées. On songe au fait qu'un tiers des jeunes de Mossoul a rejoint volontairement Daech.

Si les villes sont plus ou moins encerclées, dans les deux cas, elles conservent une partie importante de population civile et des extrémistes djihadistes sunnites. Malgré les huit couloirs humanitaires d'Alep, malgré les camps de réfugiés de Mossoul, toute la population n'a pas fui, ne souhaite pas fuir ou ne peut pas fuir.

Dans ces guerres civiles en miroir, Irak, Syrie, la bataille pour le récit dominant s'affiche permanente. Ainsi, quand la poussière sera retombée, dans les deux cas, il se peut, si on lui laisse la parole, que ce soit la victime qui décidera du vainqueur final. Très concrètement, après les victoires, le sort réservé aux sunnites paraît être la composante politique incontournable d'une véritable reconstruction.

À Alep, les rebelles présentent de nombreux groupes et factions tandis que leurs adversaires sont au nombre de trois. À Mossoul, c'est le contraire. La coalition occidentale compte jusqu'à 60 membres face à un adversaire unique, Daech.

Le vainqueur d'Alep aura moins de difficulté à faire valoir ses droits que le vainqueur de Mossoul. La course au premier entrant est déjà lancée sur la ville symbole du califat qui était la vitrine de la gouvernance de Daech. La Golden Division et ses 60 HUMVEE rugissants n'attendent ni les Kurdes ni les Turques. Malgré un an de coordination pour organiser l'attaque de Mossoul sur le terrain la désorganisation et l'improvisation restent palpables. Pendant ce temps à Alep, Damas, Moscou et Téhéran coordonnent mieux leur action.

Il y a donc comme une opposition symétrique entre Alep et Mossoul dans l'inventaire des belligérants sous l'étendant de leur coalition respective et dans leur cohésion organisationnelle et politique. À Alep, les rebelles présentent de nombreux groupes et factions tandis que leurs adversaires sont au nombre de trois. À Mossoul, c'est le contraire. La coalition occidentale compte jusqu'à 60 membres face à un adversaire unique, Daech. Pensons la structuration des conflits sous cet angle.

Mossoul est donc bien la fausse sœur d'Alep. Si les rebelles syriens ont lancé une importante contre-offensive sous forme de baroud d'honneur depuis l'ouest d'Alep afin de briser le siège et ouvrir une voie de ravitaillement, Daech de son côté a contre attaqué sur au moins quatre points Kirkouk, Routba, Dibis et au Sinjar. L'envoi des inghimasi a autant pour but de faire diversion que de maintenir les voies d'accès par l'ouest.

Deux clés pour deux portes différentes

Cependant, sur la même balance symbolique et stratégique, Alep et Mossoul ne font pas le même poids. Tout le monde a en tête les accords de Sykes-Picot du 16 mai 1916. Un siècle après, il s'agit de réécrire des frontières alors que le terrain révèle des leaders: à Alep, les Russes et les Iraniens organisent l'action autant que les Kurdes et les Irakiens à Mossoul.

Alep est donc bien à la stratégie de Poutine ce que Mossoul est à la stratégie d'Obama. Le premier est en passe de gagner son bras de fer avec les Occidentaux en les forçant à choisir entre Bachard el-Assad et les djihadistes. Le second souhaite partir en laissant un Irak sur la voie du redressement, façon «the job is done». Mais la fête de la victoire sera courte.

La bataille de Mossoul se finira au corps-à-corps dans des tunnels, celle d'Alep, sous les bombes.

Car il faudra bien qu'une force arabe reprenne Raqqa. Ashton Carter était encore à Erbil pour améliorer la coordination de l'assaut sur Mossoul et Raqqa - cible N°1 des Français. Ce qui explique l'attaque récente sur Tal Afar puisque... Mossoul n'était pas véritablement encerclée.

Le projet de Damas, lui, ne change pas. Avec Alep, il s'agit de restaurer l'autorité centrale du gouvernement et d'éviter une partition. Tout en misant sur la désunion des rebelles. Qui peut croire, enfin, que Damas, Téhéran et Moscou resteront les spectatrices de la chute de Raqqa?

Alep, Stalingrad à la syrienne, rendra sa dimension nationale et économique à Damas. Mossoul s'annonce une longue bataille dont les pires dangers sont peut-être ceux de son dénouement et de sa suite. Les désaccords internes ne permettent pas de savoir qui la dirigera demain, si ce n'est une inévitable catastrophe humanitaire.

Alep et Mossoul ont deux fausses promesses à faire, deux portes qui, en l'état actuel, ouvrent sur un mur. Raqqa et l'Irak. Mais une certitude commune demeure: la bataille de Mossoul se finira au corps-à-corps dans des tunnels, celle d'Alep, sous les bombes.

Ce billet de blogue a initialement été publié sur le Huffington Post France.

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