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Alexandre Dumas est illustré en homme noir sur Google, et c'est rare

Métis, l'auteur du «Comte de Monte-Cristo» a pourtant longtemps été représenté sous les traits d'une personne blanche.

Il y a 176 ans, jour pour jour, paraissait dans Le Journal des débats, la première partie du célèbre roman d’Alexandre Dumas, Le Comte de Monte-Cristo. À cette occasion, Google dédie au romancier une série d’illustrations sur la page d’accueil du moteur de recherche, ce vendredi 28 août.

La première d’entre elles est un portrait de l’écrivain. Assis à son bureau, il tient dans sa main une plume. Il est reconnaissable par sa coiffure et le costume qu’il porte, avec lequel il a souvent été dessiné. Comme le souligne l’internaute ci-dessous, l’auteur de ce Doodle, Matt Cruickshank, a pensé à le représenter sous les traits d’un homme noir.

Alexandre Dumas est né le 24 juillet 1802, à Villers-Cotterêts, d’une mère blanche et d’un père métis, Thomas Alexandre Davy-Dymas de la Pailleterie, fils d’une esclave et d’un propriétaire de Saint-Domingue. Métis, l’écrivain se décrit dans ses Mémoires comme un “nègre” avec des “chèvres crépus” et un “accent légèrement créole”.

Une histoire occultée

Pourtant, la plupart des représentations qui ont été faites de lui en attestent peu. Il est principalement dépeint comme n’importe quel homme blanc. Un coup d’oeil aux images proposées par Google peut en témoigner. Son interprétation par Gérard Depardieu dans le film “L’autre Dumas”, aussi.

Sorti en salles en 2010, le long-métrage de Safy Nebbou n’avait suscité la colère que de quelques personnes à l’époque. D’après l’actrice Sonia Rolland, interrogée par Le Parisien, une telle pratique “occulte son histoire. [Alexandre Dumas] est grimé. On lui met des bouclettes sur une tête de Gaulois.”

Elle ajoutait: “En plein débat sur l’identité nationale, ça semble ne choquer personne, à part quelques Noirs ou métis. On préfère fermer les yeux sur toute une partie de notre histoire parce qu’il est trop risqué de monter un film avec un acteur noir ou métis?”

Comme le souligne l’ancienne Miss France, le film fait ici l’impasse sur un aspect de la vie du romancier, le racisme dont il aurait été victime. En 2002, raconte cet article de Rue89, lors du transfert des cendres de Dumas au Panthéon, Jacques Chirac avait rappelé qu’il avait dû “affronter les regards d’une société française” qui “lui fera grief de tout: son teint bistre, ses cheveux crépus, à quoi trop de caricaturistes de l’époque voudront le réduire”.

Un problème récurrent au cinéma...

Ce phénomène dont souffre Alexandre Dumas, c’est ce qu’on appelle le “whitewashing”. Il consiste à représenter une personne non-blanche sous les traits d’une personne caucasienne. La littérature et ses personnages en pâtissent souvent à l’écran.

Mickaël Youn dans “Iznogoud”, Mickey Rooney et son interprétation de M. Yunioshi dans “Diamants sur canapé”, ou encore Carey Mulligan dans “Drive”. La pratique ne date pas d’hier. Il y a une vingtaine d’années, on a proposé à l’actrice américaine Julia Roberts de jouer le rôle d’Harriet Tubman, célèbre militante noire américaine en faveur de l’abolition de l’esclavage. “L’histoire est ancienne, personne ne le remarquera”, avait alors estimé le président des studios Focus Features.

Ceci pose problème. Comme le souligne la journaliste Naya Ali dans une vidéo sur sa chaîne YouTube, cette pratique participe à une réécriture biaisée de l’histoire par l’industrie du cinéma. Elle prend l’exemple d’Elizabeth Taylor dans le rôle de Cléopâtre, alors que des chercheurs ont confirmé en 2009 le métissage de l’ancienne reine d’Égypte.

... et dans la littérature jeunesse

Dans le sens inverse, c’est beaucoup plus rare. Pire, quand ça arrive, les actrices et acteurs de couleur font souvent face à un déferlement de haine raciste à leur encontre. Quand la chanteuse Halle Bailey annonce avoir été choisie pour incarner Ariel dans la version en prises de vues réelles de “La Petite Sirène”, le hashtag #NotMyAriel [en français, “Pas ma Ariel”] est créé dans la foulée sur les réseaux sociaux.

En 2015, la violence à l’encontre de la comédienne britannique Noma Dumezweni, qui joue Hermione dans la pièce de théâtre “Harry Potter and the Cursed Child”, est telle qu’elle pousse J.K. Rowling à intervenir. La couleur de peau de la sorcière n’a jamais été abordée dans le livre. Ses yeux marrons, ses cheveux frisés et son intelligence, si.

Au sein même du milieu de l’édition, le whitewashing sévit, notamment en littérature jeunesse. Comme le souligne cet article de la Young Adult Library Services Association, trois cas de figure se présentent quand un livre narre le récit d’un protagoniste de couleur. Soit la couverture est illustrée avec un personnage caucasien. Soit, il est difficile de discerner son identité raciale. Si ce n’est pas une de ces deux possibilités, seule la silhouette du personnage est dessinée.

Limiter les conséquences

Des initiatives voient le jour pour tenter de limiter les conséquences du whitewashing. Grâce au hashtag #ColorMyShelf, des écrivains et des lecteurs du monde entier partagent par exemple des recommandations de lectures dans lesquelles des protagonistes noirs ne sont pas «invisibilisés».

Sur le petit écran, l’actrice afro-américaine Kerry Washington interprète dans la série “Little Fires Everywhere” Mia Warren, une mère au foyer dont la description dans le livre dont Amazon s’inspire n’indique à aucun moment qu’elle est noire, ou blanche.

Alors que des travaux de recherches visant à réexaminer le rapport d’Alexandre Dumas à la colonisation française sous son prisme d’ancien descendant d’esclave ont été publiés en 2011 à l’étranger, la BBC mettait en scène trois ans plus tard un acteur métis pour jouer l’un des rôles phares de son adaptation des “Trois Mousquetaires”.

Le casting de Porthos n’est pas seulement un hommage à la généalogie d’Alexandre Dumas. Il remet aussi en question le mythe selon lequel l’Europe était entièrement blanche avant l’immigration massive au XXe siècle, d’après le Guardian. Un point auquel contribue aussi le Doodle de ce jour.

Ce texte a été publié originalement sur le HuffPost France.

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