« Mourir, cela n'est rien ! Mais vieillir ! Oh, vieillir !... » chantait Jacques Brel. En allant voir Amour, je savais que j'allais vivre une expérience puissante. D'abord, parce que j'aime passionnément le cinéma de ce réalisateur autrichien, et parce que la fin de la vie est un thème qui m'obsède. J'ai l'âge de ces deux personnages, Georges (Jean-Louis Trintignant) et Anne (Emmanuelle Riva). C'est un couple d'octogénaires, des gens cultivés, professeurs de musique à la retraite. Leur fille (Isabelle Huppert), également musicienne, vit à l'étranger avec sa famille. Un jour, Anne est victime d'une petite attaque cérébrale. Lorsqu'elle sort de l'hôpital et revient chez elle, elle est paralysée d'un côté. C'est le drame de ce huis clos qui nous saisit comme si nous étions présents.
À l'origine du film
Michael Haneke dit : « J'ai eu, dans ma famille, à vivre des événements pas très gais qui m'ont poussé à me demander comment gérer la souffrance de quelqu'un qu'on aime. » C'est à ce moment-là qu'il a commencé à écrire son film. Il avait en tête Jean-Louis Trintignant pour jouer le rôle principal, lui et personne d'autre. Quant au personnage d'Anne, il cherchait une femme qui soit à la hauteur du talent de l'acteur, pour en faire un vrai couple.
Vivre dans le regard de l'autre
La grande force de Michael Haneke, c'est le choix des acteurs. Dans La pianiste, Isabelle Huppert et Benoît Magimel ; dans Amour, Jean-Louis Trintignant et Emmanuelle Riva, leurs voix feutrées, le ton rêche d'Anne, la douceur et l'humour tendre de Georges. En souvenir d'Hiroshima, mon amour, Michael Haneke ne pouvait pas se tromper avec Emmanuelle Riva, elle est parfaite.
Amour
Ce qui fait de ce film un chef d'œuvre, c'est que le moindre détail de la vie quotidienne nous est donné en temps réel. Que ce soit la maladresse des gestes, la démarche claudicante de Georges, par la mise en scène, tout est rigoureusement observé. Car il y a autant de compassion dans le jeu des acteurs qu'il y a d'humanité chez Michael Haneke.
C'est vrai, et ça fait mal. Jusqu'au paroxysme, le cinéaste traque la vérité. Il est brutal car il nous oblige à affronter nos démons. J'étouffe quand je regarde Emmanuelle Riva se débattre sur son lit de souffrance, son impuissance terrible de ne plus avoir de mots, comme dans les rêves lorsqu'on crie mais que rien ne sort. La tendresse de Georges, mais aussi sa fureur lorsqu'Anne refuse de boire, refusant en fait si intimement de vivre que l'on est dévasté. Trintignant ne voulait pas faire ce film : « C'est trop triste de jouer la fin de la vie quand, comme moi, on est si proche de sa propre mort. » C'est la productrice, Margaret Ménégoz (des productions du Losange), qui a poussé l'acteur à accepter ce rôle : « Vous verrez, a-t-elle dit, vous serez mieux après. » L'acteur se relève quand le rideau tombe.
La colère de l'entourage
Isabelle Huppert est criante de vérité lorsqu'elle s'indigne devant son père : « Il y a sûrement quelque chose à faire ! » Elle est si vivante, si loin de la maladie insupportable à respirer, de l'odeur de la fin inéluctable. Il faut agir, pense-t-elle... Mais il n'y a pas de projet ni d'avenir dans la vieillesse, seulement la descente, le silence, et l'écran noir.
La vie est ailleurs, comme avec ce pigeon entré deux fois par la fenêtre ouverte du couloir, se faisant piéger par inadvertance.
Il n'y a rien d'innocent dans le cinéma de Michael Haneke, au contraire, il nous condamne à regarder tout ce qui nous dérange, dans la dégradation du corps et dans le silence des mots. Glacial et sublime.