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L'Amour, ce n'est pas pour tout le monde

Chaque fois que mes amis hétérosexuels cisgenres me demandent si j’ai un copain, ils ne comprennent pas que je n’ai pas accès à leur privilège d’aimer ou plus précisément d’être aimé.
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Malte Mueller via Getty Images

L'Amour, cette grande épopée lyrique que les Hommes poursuivent avec fougue et hargne extraordinaires me semble aujourd'hui surtout un privilège qui n'est pas accessible à tout le monde, et par là j'entends les personnes queer racisées en particulier.

Chaque fois que mes amis hétérosexuels cisgenres me demandent si j'ai un copain, ou si j'ai déjà été dans une relation amoureuse et quand ils s'étonnent de la réponse négative, ils ne comprennent pas que je n'ai pas accès à leur privilège d'aimer ou plus précisément d'être aimé.

Je ne demande pas des affluents de larmes en avançant ceci, ni compassion ou pitié condescendante quelconque. J'ai réussi à décortiquer les raisons pour lesquelles je ressens un pincement à la poitrine quand on estime de facto que ma vie amoureuse puisse même être existante.

Nous sommes ce que nous voyons

Je ne peux pas repenser à ma tendre enfance, ces moments heureux pendant lesquels je me construisais si vite et si solidement, sans évoquer les séries de dessins animés Walt Disney, cruels canaux de propagande patriarcale qui remplissaient notre vidéothèque.

Quelle belle histoire que celle de John et Pocahontas?

Mon identité de genre était déjà très féminine à cet âge-là. Je ne pouvais absolument pas m'identifier à Aladin ou John, et rien que l'idée me secoue profondément.

Durant cette jeunesse, j'attendais avec impatience toute la semaine le vendredi soir, pour me blottir dans le canapé du salon près de ma mère, souper terminé, dents brossées et pyjama enfilé, prêt pour la diffusion hebdomadaire de notre télénovela préférée, Marimar.

Qu'elle était radieuse Marimar et qu'il était si beau son Sergio !

Je rêvassai de cet homme qui m'offrirait des fleurs, me courtiserait, viendrait me chercher sur son cheval comme Philippe et Sergio l'avaient fait.

Cet Amour était une oeuvre exquise, issu d'un colis parfait et homogène du patriarcat et refroidi dans un moule hétérosexuel et cisgenre.

En repensant à ces années et aux images qui m'étaient présentées, je ne peux que penser à l'édification d'une conception tout aussi rigide que conventionnelle de l'Amour. Cet Amour était une oeuvre exquise, issu d'un colis parfait et homogène du patriarcat et refroidi dans un moule hétérosexuel et cisgenre. Je sortais de la puberté, front haut, buste droit, ventre rentré, hanche décalée et jambes à l'air, attendant impatiemment et de pied ferme mon prince. Quand est-il arrivé selon vous ?

Hétéronormativité relationnelle dominante

Bon, en effet, il n'est jamais arrivé.

Et il est là le problème. C'est que les autres petits garçons, qui se reconnaissaient en John,

Philippe et Sergio, les voilà, au sortir de la puberté, large sourire, moustache naissante, muscles timides, tous attentifs au moindre signe qui les guiderait vers leurs Pocahontas, Aurore et Marimar.

Et j'attendais là, pendant des années, comme un enfant qui attendrait un bus qui aurait surement eu un grand retard ou qui, pour être tout à fait honnête, qui n'arriverait jamais.

Internaliser, s'adapter et perpétuer

Éventuellement, elles se rencontrent et elles se complètent.

La jeune fille qui voulait être dans les bras de Marimar rencontre la jeune fille qui s'impatientait d'étreindre Aurore, et leur Amour différent, mais tout aussi valide se construit, se développe, se concrétise autour d'un voyage tout inclus dans une ile des Caraïbes, l'achat d'une coquette villa banlieusarde, deux enfants, un labrador, une trottinette jaune laissée paresseusement sur la pelouse du jardin. C'est ce couple qui est montré de plus en plus souvent, mais toujours rarement. Cette fleur qui a réussi à s'échapper du moule hétérosexuel, mais qui s'est laissée non pas polir, mais défigurer par un capitalisme hétéronormatif écrasant.

Cette fleur qui a réussi à s'échapper du moule hétérosexuel, mais qui s'est laissée non pas polir, mais défigurer par un capitalisme hétéronormatif écrasant.

Elle s'appelle Émilie, blonde, fine, diplômée en finance, elle est cadre dans une banque. Sa conjointe s'appelle Sophie, encore plus blonde et plus fine ; elle est diplômée en administration et travaille dans l'urbanisme pour le gouvernement.

Leur fils, Mathieu, 9 ans, joue au foot 2 fois par semaine et collectionne des figurines de héros Avengers.

Dissonance cognitive et rejet

«Moi, le mariage gai, je ne suis pas pour», me racontait un de mes anciens amants. La vingtaine, musulman de famille et de conviction, aussi fièrement africain que foncièrement têtu, il me faisait l'amour passionnément, en refusant à chaque ébat de m'embrasser.

«J'embrasserai uniquement ma future femme quand je l'aurai épousé. Et de toute façon, tu sais, coucher avec des garçons, j'arrêterai ça forcément un jour.»

La dernière fois que nous avions discuté, il préparait ses fiançailles.

Mes amants se sont succédé dans mes draps, de plus en plus nombreux, mais jamais très diversifiés. Une vie dans l'ombre qui atteint son apogée la nuit tombée, sur une application mobile de rencontre, cacher derrière le profil d'un torse ou une photo d'un membre que l'on n'aurait peut-être pas aimé voir aussi vite.

La culture du hook up, vie de tous les jours de ces prisonniers de l'obscurité de leur placard, où ils se tordent à rallier des désirs contradictoires, culmine dans l'expression d'une certaine frustration dans l'orgasme secret.

Certains citeront le chapitre 18, verset 22 du livre des Lévitiques par coeur, très longuement sans jamais étudier l'Amour qu'éprouva David pour Jonathan.

Et nous alors?

Homosexuels, hétérosexuels, transgenres, cisgenres, non binaires, je vous écouterai, sans me lasser je l'espère, chanter, danser et pleurer l'Amour, que vous le viviez ou non. Je vous écouterai, respectueusement, mais réservé. Car dans mon respect pour vos histoires et parcours personnels, je me distancerai d'un concept sublime, que je me force à apprendre à déconstruire, puisque d'évidence certaine, il ne s'applique pas à mon orientation sexuelle et surtout pas à mon identité genre.

Comment supposer que je connaisse l'Amour, que j'y ai accès, si aucune structure sociale, culturelle ou médiatique de masse ne met en scène la représentation lyrique et heureuse de l'Amour d'un jeune garçon noir à l'identité de genre fluide avec un prince deux-esprits d'une Première Nation?

Selon mon analyse, bien que légèrement passionnelle, je ne peux plus concevoir que ce produit qu'on nous a tant vendu puisse être dans le rayon que je consulte minutieusement.

Ma vérité qui n'est que mienne pourrait ne s'appliquer qu'à moi et ce sera sans aigreur ni envie aucunes que je m'éveillerais de voir mes frères et soeurs racisés homosexuels, non binaires et trans trouver cet Amour, que je les encouragerais et soutiendrais sans relâche, dans ce monde où l'Amour, qui ne pourra très surement jamais m'être accessible, pourra être remplacé par l'Amitié ou par les Amitiés qui allègent et réchauffent un coeur qui ne se veut plus être seul un 14 février.

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