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Ancien combattant, je souffre de stress post-traumatique

Quand on a les symptômes, c’est pour la vie. On ne peut plus oublier ce qu’on a vécu, on ne peut qu’apprendre à vivre avec.
Laurent Émond (droite).
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Laurent Émond (droite).

Les propos de ce témoignage ont été recueillis par le HuffPost Québec et retranscrits à la première personne.

J’ai pris ma retraite des Forces armées canadiennes il y a deux ans et demi après une carrière de 35 ans. J’essaie de m’occuper, je fais des travaux dans ma famille, j’ai deux chats. J’essaie de ne pas rester à rien faire et penser aux mauvaises choses.

Je vis maintenant à Mont-Joli dans le Bas-St-Laurent. La ville compte 7000 habitants. C’est tranquille, un beau petit coin de pays. J’ai 56 ans. Quand je me suis enrôlé dans l’armée, j’en avais 18. Je n’aimais pas l’école, je cherchais une façon de rendre ma vie importante, florissante, d’aider les autres.

J’ai effectué ma première mission en 1992 en Allemagne, sous le drapeau de l’OTAN. On s’entraînait au cas où il y aurait un conflit en Europe centrale. Quand la guerre a éclaté en ex-Yougoslavie, ils cherchaient des unités canadiennes pour prendre position en tant que Casques bleus. J’avais 29 ans.

Laurent Émond
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Laurent Émond

Après un mois de manoeuvre en Croatie, on m’a demandé d’aller à Sarajevo afin de protéger l’aéroport. Il y avait un pont aérien qu’il fallait maintenir pour la réception de médication. Les belligérants voulaient prendre l’aéroport pour contrôler le pays. Nous devions protéger la population, il fallait que les avions apportent des vivres.

“À Sarajevo, on voyait des gens en souffrance au bord de la rue, des corps, des victimes de la guerre. Il y avait des snipers sur les toits qui tiraient sur les gens.”

Beaucoup de chums ont été blessés, on a perdu des frères d’armes. On vivait sous les bombes quotidiennement. Ça a aussi été une grosse initiation au combat, notre «baptême de feu» si l’on peut dire.

De retour à la maison, les problèmes ont commencé, mais on ne savait pas ce qu’était le stress post-traumatique à l’époque. J’avais beaucoup de symptômes, mais je ne savais pas ce que c’était.

Les symptômes sont différents pour chaque individu. Pour ma part, il m’est difficile de vivre dans le quotidien. Même faire les choses les plus simples, comme laver le linge ou faire chauffer un bol de soupe, me sont difficiles. C’est la vie normale, mais elle n’est plus normale. Comme si on vivait dans un autre monde.

“Beaucoup de choses de la vie civile rappellent la vie militaire, par exemple je ne peux plus entendre tous les bruits qui ressemblent à des coups de feu.”

Je ne peux pas aller dans les grandes foules non plus, comme les matchs de hockey. Alors on s’isole. Sans le vouloir, je suis devenu un peu agressif verbalement avec les gens, je me suis mis à pleurer sans raison, à ne plus dormir, à ne plus aimer la vie qui m’entoure, je manque de concentration.

Laurent Émond
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Laurent Émond

J’essaie de trouver des raisons pour essayer d’aimer la vie, mais le problème c’est les idées noires. Tu ne vois plus d’autres solutions que de partir. Tu ne penses même plus aux gens qui t’aiment. C’est comme de vivre dans un cocon, ça tourbillonne dans votre tête, on ne voit pas l’impact que ça a sur les personnes qui nous entourent, sur nos enfants, nos conjointes.

Pour la vie de couple, c’est très difficile. Ça dégringole de jour en jour, le conjoint ne comprend pas ce que l’on a. On a une attitude négative, pas viable, le conjoint ne comprend pas la personne qui est malade, et la personne malade ne se comprend pas elle-même. Ma conjointe et moi, on s’est séparés pendant deux ans.

L’autre chose aussi, c’est qu’on ne veut pas démontrer notre faiblesse. La génération des années 1980, nous n’étions pas épaulée comme celle d’aujourd’hui.

“Aller consulter en 1998-1999 ce n’était pas bien vu. Si on allait voir un psy, notre carrière était mise de côté, c’était fini les promotions, fini les cours professionnels.”

Les gens évitent d’aller à l’hôpital, les problèmes s’accumulent et c’est pour ça qu’il y a beaucoup de suicides dans les Forces armées.

Laurent Émond
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Laurent Émond

Ce n’est qu’à ma première tentative de suicide, le jour de mes 50 ans, que j’ai constaté l’aide et les options autour de moi. J’ai fait trois tentatives de suicide. Avec l’aide des psychiatres, j’ai appris à comprendre au quotidien ce que j’avais, pourquoi je faisais telle ou telle chose. Ma vie s’est beaucoup améliorée grâce à ça.

C’est sur Facebook que j’ai découvert le Réseau de Transition des Vétérans. Le programme dure 10 journées, trois phases au total.

Le premier jour est extrêmement difficile, car il faut décider si l’on embarque ou pas. Tu ne peux pas y aller à moitié. Tu sais qu’il va falloir se vider, réparer ses blessures, apprendre à vivre avec.

“Je n’étais pas encore certain de vouloir embarquer avec six individus que tu regardes dans les yeux et avec qui tu vides ton coeur. Puis, je l’ai fait.”

La phase 2 est plutôt une recherche de solutions, apprendre à vivre avec nos problèmes, voir qu’il y a toujours de l’aide autour de nous. C’est un organisme qui m’a donné beaucoup de confiance en moi que je n’avais pas ainsi que les outils pour absorber et gérer les souffrances. On se sent épaulés, jamais jugés.

Ensuite, quand on parle à nos conjoints, quand on leur explique comment on a travaillé, ou pourquoi on agit comme ça, ça les aide aussi à nous comprendre.

Laurent Émond et son fils Alex Cromer-Émond.
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Laurent Émond et son fils Alex Cromer-Émond.

Beaucoup d’inquiétudes surgissent lors de la phase 3, on est comme des oiseaux qui doivent voler pour la première fois seuls hors du nid.

Aux jeunes recrues, je conseillerais de verbaliser les problèmes qu’ils rencontrent au cours de leurs missions, les choses qui les ont affectées, de ne pas se dire «c’est pas grave». S’ils voient un ami se faire tuer, il faut aller consulter tout de suite, aller en parler.

“Avec mon témoignage, j’espère venir en aide aux gens. J’ai surtout envie de leur dire une chose: aller chercher de l’aide ce n’est pas être faible.”

C’est tout de suite qu’il faut s’attaquer aux pensées négatives et aux idées noires, pour pouvoir régler ce qui ne va pas. Plus on attend, plus il peut devenir difficile d’aller chercher de l’aide.

Le programme du Réseau de Transition des Vétérans (RTV) dure 10 jours complet répartis sur 5 semaines.

Le programme du RTV est entièrement gratuit pour tous les vétérans et les vétéranes grâce aux dons reçus de donateurs et du gouvernement.

La section Perspectives propose des textes personnels qui reflètent l’opinion de leurs auteurs et pas nécessairement celle du HuffPost Québec.

Propos recueillis par Céline Gobert.

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