Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Québec, qui a fermé ses portes en 2021.

L'anxiété se cache sous plusieurs visages, en voici quatre...

À l'occasion de la journée Bell cause pour la cause, nous vous présentons quatre portraits de personnes vivant avec des troubles anxieux.

Au Québec, environ 760 000 personnes vivent avec un trouble d'anxiété généralisée, soit 9,4% de la population, selon des chiffres datant de 2012. C'est un peu plus que la moyenne canadienne (8,5%). Les femmes en souffrent presque deux fois plus que les hommes. À l'occasion de la journée Bell cause pour la cause, qui vise notamment à démystifier les problèmes de santé mentale, le HuffPost Québec s'est entretenu avec quatre personnes vivant avec un ou plusieurs troubles anxieux, qui tiennent à faire connaître leur histoire, pour en inciter d'autres à parler de ce qu'ils vivent. Voici donc quatre visages de l'anxiété.

L'histoire n'est pas encore terminée

Courtoisie

MAUDE PICHÉ

  • 26 ans
  • Secrétaire de direction au Collège Saint-Joseph-de-Hull
  • Trouble d'anxiété généralisée
  • A également été diagnostiquée par le passé d'un trouble panique, d'un trouble obsessionnel-compulsif et de deux dépressions majeures

L'anxiété a toujours su se tailler une place dans la vie de Maude, dès l'âge de cinq ans.

«De la maternelle à la quatrième année, chaque matin, je vomissais avant d'aller à l'école. Mon père me conduisait à l'école, j'avais toujours mon bol et ma serviette dans l'auto... Ça brisait le coeur de mes parents.»

À 11 ans, elle n'arrivait pas à dormir chez des amies, comme les autres filles de son âge. Ses parents devaient venir la chercher pendant la nuit.

Maude a vu des spécialistes, mais ils avaient de la difficulté à poser un diagnostic. Une anxiété de séparation, peut-être.

Une chose est sûre, l'anxiété s'aggravait en périodes de changements, qu'ils soient positifs ou négatifs.

À 15 ans, lorsque Maude étudiait à l'école secondaire, elle s'est mise à faire de l'anxiété de performance. «Je voulais toujours avoir de meilleures notes, j'étais très studieuse, j'avais beaucoup tendance à me comparer. Et cela a mené à un trouble obsessionnel compulsif, de tout noter, pour ne rien oublier. Mon agenda ressemblait à un roman... mais pas le genre de roman dont tu es fière.»

À 17 ans, alors que Maude était très enjouée à l'idée de commencer le cégep, l'anxiété a repris ses droits.

«En plein milieu d'un cours, ma tête a commencé à tourner, j'avais de la difficulté à respirer, des picotements dans les mains... C'était ma première attaque de panique, et j'étais persuadée que j'allais mourir.»

Cette année-là, elle pouvait faire jusqu'à trois attaques de paniques par jour.

Quelques mois plus tard, son grand-père est décédé, un deuil qui l'a menée vers sa première dépression.

«J'étais déjà fragile, et là... tout s'est brisé en moi. Je pesais à peine 100 livres, et ça me prenait toute mon énergie pour me lever. J'ai arrêté les études et le travail».

Elle s'est décidée à aller passer une nuit à l'urgence, pour pouvoir être ensuite suivie par un psychiatre. Et elle a commencé à prendre de la médication.

Mais en 2017, alors qu'elle allait vraiment mieux, elle a entrepris un sevrage, avec l'accord de son médecin.

«Ça s'est avéré la pire erreur de toute ma vie, résume la jeune femme. Je me suis vue dépérir tranquillement. C'est très sournois: avant que tu t'en rendes compte, il est trop tard.»

Maude a souffert d'une dépression majeure; elle a dû être hospitalisée pendant trois semaines.

«C'était rendu au point ou j'avais des idées suicidaires, je voyais tout en noir. L'anxiété a mené à la dépression, et la dépression mène à l'anxiété: c'est une roue qui tourne.»

Les médecins ont fini par trouver le bon dosage de médicaments, et elle sortie de l'hôpital, prête à réintroduire une routine.

Aujourd'hui, elle trouve important de parler de sa condition, pour montrer à ceux qui vivent dans la noirceur qu'il y a de l'espoir.

«Après deux dépressions majeures, je suis encore là. Je sais que quand tu le vis, tu as l'impression que tu ne t'en sortiras jamais, mais il ne faut jamais perdre espoir.»

Maude Piché a un tatouage représentant un point-virgule sur son épaule, qui signifie que malgré tout ce qu'elle a traversé, son histoire n'est pas terminée, en l'honneur du projet Semicolon.
Courtoisie
Maude Piché a un tatouage représentant un point-virgule sur son épaule, qui signifie que malgré tout ce qu'elle a traversé, son histoire n'est pas terminée, en l'honneur du projet Semicolon.

Maude s'est d'ailleurs fait tatouer un point-virgule sur l'épaule, en l'honneur du projet Semicolon. Un signe de ponctuation qui signifie que l'histoire n'est pas encore terminée.

«Ce n'est plus l'anxiété qui dicte ma vie»

Courtoisie

MARTIN BINETTE

  • 43 ans
  • Chef de pratique en assurances collectives et fondateur du blogue Entre les deux oreilles
  • Trouble de l'anxiété généralisée et trouble de l'humeur

Martin avait 19 ans lorsqu'il a fait une attaque de panique pour la première fois.

«J'avais des palpitations, des douleurs à la poitrine, je pensais que je faisais une crise de coeur, se rappelle-t-il. Je n'avais aucune idée de ce que c'était, à l'époque, on n'en parlait pas du tout.»

Ce fut la première d'une longue série. Martin faisait des crises d'anxiété tous les jours, jusqu'à ne plus sortir de chez lui. Il a commencé à être suivi par un médecin, puis par un psychiatre. En 2002, il a eu un petit garçon. Puis, comme il allait mieux, il a arrêté de prendre ses médicaments. Et en 2004, c'est une rupture qui a déclenché une nouvelle «tempête», comme il les appelle. Il avait des idées suicidaires, il avait même un plan. C'est son meilleur ami qui, sans le savoir, l'a empêché de passer à l'acte.

«Il m'a appelé, je lui ai dit que j'étais occupé, mais il a insisté pour passer me chercher, raconte-t-il. Il m'a fait sortir de chez moi. Et c'est ce soir-là que j'ai rencontré la femme de vie, celle qui allait devenir la mère de ma fille.»

En 2014, il a de nouveau arrêté de prendre sa médication, puisqu'il allait mieux. Et c'est le suicide du célèbre acteur Robin Williams, en août 2014, qui lui a fait réaliser qu'il devait arrêter de se cacher.

«C'était mon acteur préféré... Et tout de suite, j'ai fait le lien avec moi. Quand j'étais avec les gens, je portais un masque... Toute ma vie j'ai fait ça, je me suis caché derrière un rôle, mais à l'intérieur, je vivais beaucoup d'anxiété, de peur, désespoir, de colère, que je gardais en dedans. Ça m'a tellement bouleversé, j'ai fait un coming out sur Facebook

Et il reçut une multitude de réponses, de gens qu'il connaissait et d'autres qu'il ne connaissait pas du tout, de gens qui vivaient avec un trouble de l'anxiété comme lui ou qui le félicitaient de sa sortie.

«Et ça m'a donné la pièce du puzzle qu'il me manquait. Je dois accepter que mon corps fonctionne comme ça: j'ai une maladie mentale qui nécessite un suivi régulier et de la médication. Il faut que je sois attentif aux signes, que j'aie un mode de vie sain qui m'empêche que l'anxiété gruge ma vie.»

Martin est devenu conférencier, blogueur, et même porte-parole pour l'Alliance canadienne de la santé mentale. Il a rattrapé le temps perdu, et accepte maintenant de faire des choses qu'il avait toujours évitées avant... comme avoir un permis de conduire et prendre l'avion!

«Je ne refuse plus rien, ce n'est plus l'anxiété qui dicte ma vie», résume-t-il.

Il lui arrive encore de ressentir les premiers signes d'une attaque de panique, mais il sait maintenant comment faire pour les éviter.

«Je suis comme un ninja, je les vois venir, maintenant, dit-il à la blague. Je dis à mon corps qu'il n'est pas en danger. En général, ça dure 6 secondes.»

«J'étais comme dans un trou profond»

Courtoisie

AMANDA BEAULIEU

  • 21 ans
  • Étudiante
  • Trouble d'anxiété généralisée et trouble panique

Amanda a commencé à subir des attaques de panique en quatrième secondaire. La première fois, elle était convaincue qu'elle allait mourir.

«La plus grosse m'a envoyée à l'hôpital. C'était ingérable, j'avais perdu le contrôle. J'étais comme dans un trou profond, sans solution.»

L'anxiété a toujours fait partie de sa vie. «J'ai aussi un trouble de l'attention avec hyperactivité (TDAH), alors on se demande si l'un découle de l'autre. Dans mon cerveau, ça roule à 100 miles à l'heure.»

Amanda faisait de l'anxiété de performance. Depuis le primaire, elle étudiait dans des classes d'adaptation scolaire. Mais en deuxième secondaire, on lui avait donné la chance d'étudier au régulier, et elle voulait réussir.

Pour gérer son anxiété, elle a commencé à s'automutiler.

«Je me coupais les bras, avec un petit objet en métal. Sur le moment, le cerveau se concentre sur le geste et on oublie la douleur liée à l'anxiété. Mais après, la douleur recommence...»

Après sa visite à l'hôpital, elle a commencé un suivi en psychothérapie et à prendre de la médication. Aujourd'hui, elle va beaucoup mieux, assure-t-elle.

Elle a terminé son secondaire, et étudie maintenant pour devenir éducatrice de service de garde en milieu scolaire.

«J'ai des petites rechutes de temps en temps... Mais je vais bien! J'ai appris à gérer mon anxiété à l'école. Et je conduis, maintenant, ce qui aurait été une épreuve impossible à surmonter, avant!»

Un combat de tous les jours

Courtoisie

SARAH DESJARDINS

  • 27 ans
  • Parajuriste au gouvernement du Québec
  • Trouble d'anxiété généralisée

Après le décès de sa mère, en 2009, Sarah a accumulé beaucoup d'émotions à l'intérieur de son corps et de sa tête. Et en 2013, alors qu'elle terminait son cégep, l'anxiété l'a rattrapée.

«La première fois que j'ai fait une crise de panique, je pensais que j'allais mourir d'une crise cardiaque!» se rappelle-t-elle.

«Et ç'a dégénéré. J'avais peur tout le temps. J'ai eu de la difficulté à fonctionner, je faisais des crises de panique même en dormant. Je n'étais pas bien dans ma peau... en fait, je n'étais bien nulle part, alors je m'isolais.»

Sarah a commencé à consulter alors qu'elle commençait sa carrière, en 2015, auprès d'étudiants en psychologie de l'UQAM, puis au programme d'aide aux employés (PAE) fourni par son employeur,

Les crises se manifestent surtout quand elle sent qu'elle n'a pas le contrôle.

La jeune femme affirme avoir déjà eu des idées suicidaires, mais précise qu'aujourd'hui, elle va mieux. Elle a maintenant un bébé de 15 mois, après avoir eu une grossesse difficile.

«J'ai eu une grossesse à risque, j'ai eu peur de perdre mon bébé. J'ai dû retourner consulter au PAE.»

Si elle est à l'aise de parler de sa condition avec sa famille et ses amis, elle a encore peur que cela nuise à sa carrière.

«Je travaille dans la fonction publique, c'est un peu encore la vieille école», explique-t-elle.

L'anxiété est un combat de tous les jours, ajoute Sarah, qui affirme avoir déjà perdu des opportunités professionnelles pour cette raison. «J'ai des rechutes de temps en temps, quand j'arrête d'être suivie. Je ne prends pas de médication pour l'instant, mais j'y pense.»

Sa plus grande difficulté? «Apprendre à bien gérer mes émotions et à les extérioriser, qu'elles soient bonnes ou mauvaises! Je travaille là-dessus, en ce moment.»

La santé mentale, encore taboue?

Oui... et non, répond instinctivement Bruno Collard, lorsqu'on lui pose la question. Le directeur clinique de Revivre, un organisme qui vient en aide à des personnes vivant avec des troubles anxieux, la dépression ou le trouble bipolaire, croit que la journée Bell cause pour la cause a aidé à «lever le stigmat», notamment grâce aux personnalités publiques qui se sont affichées et ont parlé de leur trouble de santé mentale de façon normale.

«Mais la dépression et le trouble bipolaire souffrent encore d'un stigmat important, constate-t-il. Ça va mieux, c'est sûr, mais ce n'est pas encore suffisant.»

Le plus gros défi, actuellement? «L'accès à des services et des soins de qualité», affirme M. Collard.

Parce que si on n'a pas les moyens de payer 100 à 110$ de l'heure pour voir un psychologue au privé, on peut attendre entre six mois et un an avant d'en voir un dans le réseau public.

«Et ça prend plus de ressources dans les écoles et dans les organismes communautaires, comme nous», ajoute Bruno Collard.

L'organisme Revivre offre notamment des ateliers de groupe d'autogestion, pour les personnes atteintes de problèmes de santé mentale.

Close
Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Canada, qui ont fermé en 2021. Si vous avez des questions ou des préoccupations, veuillez consulter notre FAQ ou contacter support@huffpost.com.