
Dominique Marier a 48 ans. D’âge «physique», s’amuse-t-elle, «mais d’âge mental c’est autre chose.» Cela fait 10 ans que cette comédienne aux 32 ans de carrière incarne une figure d’ordinaire associée à l’enfance: celle du clown, un être «naïf et en constante découverte».
En 2004, après des études en théâtre et quelque temps passé sur des scènes dites classiques, elle a même co-fondé la compagnie Toxique Trottoir qui se spécialise en performances de rue, aux côtés de Marie-Hélène Côté et Muriel de Zangroniz.
Même si elle n’arbore pas le traditionnel nez rouge du personnage, Dominique se plaît à incarner deux archétypes du clown: le clown blanc (le boss, l’autoritaire) ainsi que le «smart red», le gaffeur. À noter qu’il existe également le clown rouge (le bêta, le stupide).

«Le clown agit toujours comme si c’est la première fois que quelque chose lui arrive, peu importe le nombre de fois où les comédiens ont joué la représentation. Il va beaucoup donner au public, aux partenaires. Et souvent, il demeure longtemps dans un état d’ouverture», explique l’artiste.
Des messages simples
Aller rencontrer les gens dans la rue, prendre l’assaut de places publiques, de façon impromptue, c’est l’autre particularité du clown. Avec Aquaphonie, un nouveau spectacle qui fait actuellement le tour du Québec, Dominique va chercher les gens sur les trottoirs, dans les parcs, sur les quais.
“«On aborde avec eux des sujets engagés, sociaux - les femmes, le rapport à l’amour, le racisme - sous couvert de l’humour, sans jamais être moralisateurs. Le clown permet ainsi de passer des messages forts mais simples, et pas seulement réservés aux enfants».”
- Dominique Marier
Dans Aquaphonie, par exemple, les clowns cherchent de l’eau mais les choses dégénèrent vite. L’eau est gaspillée par les clowns, et le message pro-environnemental qui s’en dégage souligne en filigrane l’importance de l’eau.
Plus proche des gens
Dans la performance de rue, la grande différence c’est qu’il n’y a pas de quatrième mur, cette convention théâtrale qui veut que les comédiens fassent fi du public, alors simple observateur.
«On vit une vraie proximité avec le public. C’est plus interactif, plus participatif. Il n’y a pas de bulle dorée qui nous protège, c’est vraiment une autre façon de jouer, qui laisse une grande part à l’improvisation.»
Résultat? En plus de lui permettre d’aller chercher un public moins habitué au théâtre ou qui ne peut pas se permettre de se payer le coût élevé d’un billet, cette approche de proximité interpelle davantage les gens.
«L’art de la rue est très démocratique. On lance des idées, puis on fait germer une réflexion ou on allume une lumière chez les gens. Souvent, ils viennent nous voir après les performances pour discuter.»
Émotions fortes
Avec l’art, vient également un aspect thérapeutique, ajoute Dominique.
«Pour le public, c’est un moment d’échappement, les gens sortent de leur réalité, ils reçoivent un message, une émotion. Parfois, la lecture qu’ils font de la représentation peut totalement nous échapper, ils peuvent y voir d’autres choses. Mais quelque part, on garde cette responsabilité de laisser des traces et des messages.»

Elle se souvient d’ailleurs d’une anecdote très émouvante qui a marqué sa carrière de clown alors qu’elle donnait un spectacle autour de l’amour de soi et de l’égo au Cap-de-la-Madeleine.
Les clowns s’y amusaient «à faire des massages à l’égo», soit pour remonter l’estime de soi des gens, soit au contraire pour la faire dégonfler.
«Une jeune adolescente de 13 ans et son père, Robert, ont participé. Les clowns, tout autour de Robert, criaient: je t’aime, je t’aime, je t’aime. À un moment donné, le papa s’est retourné vers sa fille et lui a dit je t’aime. À la fin du spectacle, sa fille est venue nous voir et nous a dit que c’était la première fois qu’il lui disait qu’il l’aimait. On a tous eu des frissons, les larmes aux yeux, et on s’est dit: “wow, on peut vraiment provoquer des choses, toucher des gens”.»
Rester vrai, rester jeune
Humainement, mais aussi comme comédienne, sa passion lui offre «un bel état de liberté.»
“«Je découvre toujours quelque chose, j’aime faire rire les gens, mais c’est pas juste un gag, on travaille aussi avec la sincérité, l’honnêteté du personnage. Cela te garde en état d’éveil trippant.»”
- Dominique Marier
Même s’il y a des techniques de jeux propres au clown, notamment dans la gestuelle, le personnage se met le plus souvent dans une position plus passive de réceptivité. Le clown réagit alors à ce qu’il voit, ce qui fait que chaque représentation est différente.
«En tant que comédienne clown, c’est un vrai plaisir de jouer avec ce déséquilibre-là, cette part d’imprévu qui nous garde en alerte. Pour moi, c’est un bonheur de communiquer, de donner, de voir le plaisir dans les yeux des gens. Il n’y a rien de narcissique là-dedans, on ne fait pas ça pour la gloire. On retrouve aussi une fraîcheur dans ce public moins averti, les gens ont un autre esprit critique que ceux plus habitués à la performance théâtrale.»
Et c’est ça, conclut-elle, qui lui permet de rester jeune!