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Avoir ses règles quand on n’est pas une femme

«Je suis un "menstruateur" trans non binaire, dont l’utérus saigne tous les mois mais qui s’identifie en dehors des catégories fixes homme-femme.»
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Avoir ses règles quand on n’est pas une femme
Cass Bliss
Avoir ses règles quand on n’est pas une femme

Vous êtes-vous un jour retrouvé dans des toilettes publiques sans savoir où jeter votre tampon usagé ou une serviette hygiénique?

Moi, oui, presque chaque jour où j'ai mes règles. Pourquoi? Parce que j'utilise les toilettes pour hommes.

Je suis un "menstruateur" trans non binaire, dont l'utérus saigne tous les mois mais qui s'identifie en dehors des catégories fixes homme-femme. Tous les mois, je suis confronté aux mêmes difficultés créées par un monde refusant de reconnaître que les femmes ne sont pas les seules à avoir leurs règles.

Avec l'aimable autorisation de Cass Bliss
Cass Bliss
Avec l'aimable autorisation de Cass Bliss

J'ai compris que j'étais non binaire quand j'étais enfant. Si je n'avais pas le vocabulaire pour mettre des mots sur qui j'étais, je me souviens très bien que je courais torse nu dehors, à l'âge de 5 ans, en pensant que je n'étais pas tout à fait une fille ni tout à fait un garçon. J'ai adoré l'expression "garçon manqué" la toute première fois qu'on l'a utilisé pour me décrire et je me suis accroché à cette étiquette comme à un gilet de sauvetage jusqu'à l'âge de 14 ans, l'âge où il n'était plus "adorable" de refuser d'être une fille.

Parmi les moments difficiles liés à mon développement, celui de mes premières règles a été une véritable transition pour moi. J'ai vu dans mes sous-vêtements tachés un drapeau de reddition ensanglanté que j'étais obligé de brandir alors que je laissais derrière moi la liberté de l'androgynie de l'enfance. Lorsque mes seins ont poussé et que mes hanches se sont élargies, j'ai commencé à ressentir une gêne qui allait bien au-delà de la gêne habituelle qu'éprouvent les adolescents. Si je peux, désormais, qualifier ces angoisses croissantes de "dysphorie de genre" (terme utilisé pour décrire l'expérience que certaines personnes trans vivent parce que leur corps ne correspond pas à leur genre), j'étais convaincu, à l'époque, que quelque chose ne tournait pas rond chez moi puisque je refusais de devenir une femme.

Aujourd'hui, j'ai 25 ans et je suis plutôt bien dans ma peau, autant que peut l'être quelqu'un qui ne s'identifie pas comme femme mais qui a tout de même deux bouts de muscle et de graisse qui pendent sur la poitrine et le sentiment dérangeant d'être observé en permanence pour savoir à quelle catégorie j'appartiens. Je ne suis jamais sorti de cette phase de garçon manqué, mais je n'ai jamais eu envie de devenir un vrai garçon. Je ne suis ni l'un ni l'autre et ça me va. Mon corps idéal, c'est celui qui renverse l'idée du genre et brouille cette fausse ligne qui existe entre homme et femme. Je suis heureux de vivre entre les deux.

"Si j'utilise les toilettes pour hommes, je prie de ne pas avoir déjà des fuites en y entrant et de trouver le meilleur moyen de me protéger pendant que je m'occupe discrètement de mes règles."
Cass Bliss
"Si j'utilise les toilettes pour hommes, je prie de ne pas avoir déjà des fuites en y entrant et de trouver le meilleur moyen de me protéger pendant que je m'occupe discrètement de mes règles."

Mais que fait-on quand on est non binaire et que, chaque mois, les règles nous rappellent instantanément que, quoi qu'on fasse, le monde nous verra toujours comme une femme parce qu'on a nos règles? Les messages genrés que je vois régulièrement me font aussi mal que des milliers de piercing en métal qui me transperceraient la peau: les rayons d'hygiène féminine, le manque de poubelles dans les toilettes pour hommes, les publicités édulcorées avec des femmes blanches et minces qui préservent leur féminité grâce à d'adorables serviettes blanches et du "sang" couleur pervenche.

La représentation des règles dans les médias n'a jamais correspondu à la réalité, mais c'est encore plus vrai lorsque vous êtes une personne trans qui cherche simplement quelque chose qui ne vous crie pas à la figure: "Vous êtes une F-E-M-M-E".

Quand je vais acheter des serviettes hygiéniques, des tampons ou même une cup, je suis assailli par le codage traditionnel féminin: la couleur rose ou violette, ou les petites fleurs. Je me faufile dans le rayon hygiène féminine des supermarchés et j'essaie de choisir tout ce qui n'aggravera pas la dysphorie par rapport à mes règles. Si vous pensiez qu'avoir des crampes et des sautes d'humeur était pénible, essayez de ressentir tout cela en ayant littéralement un panneau au-dessus de votre tête qui dit à tous que vous n'êtes pas à votre place.

Une fois les produits en main, je dois trouver un moyen de me changer. Avant le début de ma transition, quand je n'arrivais pas à trouver des toilettes non genrées, j'utilisais simplement les toilettes pour femmes pendant mes règles car je m'y sentais plus en sécurité, au cas où j'aurais fait tomber ma cup menstruelle ou si quelqu'un reconnaissait le son du déballage d'un tampon ou d'une serviette hygiénique. Sans oublier que les toilettes pour femmes sont équipées de poubelles et de stalles individuelles où vous pouvez gérer votre sang menstruel sans crainte de vous faire jeter.

Mais que fait-on quand on est non binaire et que, chaque mois, les règles nous rappellent instantanément que, quoi qu'on fasse, le monde nous verra toujours comme une femme parce qu'on a nos règles?

A présent que mon apparence penche plus vers le masculin, je me fais souvent sortir des toilettes pour femmes par des mamans avec leurs petites filles, comme si j'étais intrinsèquement dangereux ou qu'être trans était une maladie contagieuse. Et si j'utilise les toilettes pour hommes, je prie pour ne pas avoir déjà des fuites en y entrant et pour trouver le meilleur moyen de me protéger pendant que je m'occupe discrètement de mes règles.

La dysphorie représente aussi un énorme problème pour les menstruateurs trans, en particulier lorsque leur corps subit des changements physiques et hormonaux importants associés aux cycles menstruels. Mes pires expériences avec la dysphorie ont toujours eu lieu pendant mes règles. Pas à cause du saignement, mais parce que ma poitrine gonfle considérablement. Pour les femmes cisgenres qui ont leurs règles, la sensibilité et le gonflement de la poitrine peuvent être inconfortables, mais restent une part invisible des règles. Pour les menstruateurs trans, les effets sont un peu plus complexes.

Comme je suis menu et que je faisais autrefois du 85C, le gonflement de ma poitrine est tel qu'il m'est très difficile de bander cette partie de mon corps. Le bandage est fréquent chez les menstruateurs trans et non binaires. Cela permet d'aplatir leur poitrine s'ils n'ont pas subi d'opération. Personnellement, je bande mes seins parce que la vue de ma poitrine me donne l'image de quelqu'un que je ne suis pas. Mes seins ressemblent à des excroissances incongrues qui n'appartiennent pas à mon corps, comme de grosses verrues disgracieuses. Jusqu'à ce que je puisse me les faire enlever, le seul moyen pour me sentir à l'aise consiste à les compresser et les aplatir le plus possible. J'utilise donc ce qu'on appelle un "binder", un croisement entre un débardeur et un soutien-gorge de sport.

Les binders que je porte normalement sont trop serrés pour contenir une poitrine gonflée. Je dois donc généralement revenir à une taille plus grande ou à un soutien-gorge de sport. Ma poitrine est nettement moins aplatie et on risque plus de me prendre pour une femme. Gérer mes règles est déjà assez difficile sans qu'on remette mon genre en question à cause des effets secondaires et physiques de la menstruation.

Cass pose avec une seringue de testostérone.
Cass Bliss
Cass pose avec une seringue de testostérone.

A ce stade, certaines personnes m'encourageraient à subir une hystérectomie, comme s'il suffisait d'aller chez un médecin et de commander la procédure sur un menu. Apparemment, il est plus facile de demander à une communauté entière de subir une intervention chirurgicale majeure que d'arrêter de genrer les règles pour avoir ses menstruations en paix.

D'autres se demandent pourquoi je ne prends pas de la testostérone, comme le font beaucoup d'hommes trans et certaines personnes non binaires. Mais même si quelqu'un qui voulait l'hormone pouvait l'obtenir gratuitement, la testostérone ne garantit pas l'arrêt complet du cycle menstruel. Il n'y a tout simplement pas assez de recherches sur l'impact de la testostérone et sur le fait qu'elle cause ou non un arrêt du cycle, selon le type ou la marque utilisée, le nombre d'injections et le dosage prescrit.

En tant que personne non binaire, je préfère prendre de faibles doses de testostérone même si cela signifie que mes règles ont moins de chance de disparaître. Quand j'étais sous testostérone entre octobre 2017 et mars 2018, j'ai eu mes règles presque tous les mois et il m'est arrivé une fois de les avoir deux fois en quatre semaines. Non seulement la testostérone n'a pas arrêté mes règles, mais l'hormone a aggravé mes symptômes. Mes règles, qui étaient autrefois régulières et duraient trois ou quatre jours avec un flux léger et constant, arrivaient désormais de manière imprévisible. J'avais de fortes crampes et un flux abondant et continu pendant presque sept jours.

Si j'avais continué mes injections hebdomadaires (j'ai arrêté à cause de problèmes avec mon assurance maladie), mes règles auraient peut-être cessé. Mais il existe énormément de cas où les règles continuent malgré un traitement de testostérone de plusieurs années, surtout si les doses sont faibles, comme pour moi. Et puis, toutes les personnes non binaires ou trans ne veulent pas forcément prendre de la testostérone. Même si elles le voulaient, toutes ne le pourraient pas.

Cass pose pour la campagne #BleedingWhileTrans lancée en 2017.
Cass Bliss
Cass pose pour la campagne #BleedingWhileTrans lancée en 2017.

L'activisme autour des règles a commencé à prendre de l'ampleur quand NPR, la radio publique américaine, a qualifié 2015 d'Année des règles en raison de l'augmentation exponentielle des gros titres sur le tabou menstruel, depuis la lutte contre la taxe sur les tampons jusqu'au droit de saigner en public. Mais comme tout mouvement médiatisé, il est devenu évident que les voix les plus marginalisées ont été exclues du débat. Pour un mouvement qui se base sur le désir d'être libéré du jugement, de la stigmatisation et du contrôle corporel, il n'est pas logique que nous ne prenions pas en compte les difficultés supplémentaires liés à #BleedingWhileTrans, un hashtag que j'ai créé en 2017 pour exiger plus de visibilité pour ma communauté.

Bien qu'il soit plus facile de convaincre le public d'accepter une version édulcorée de la lutte pour l'équité menstruelle (tout comme il est plus facile pour les entreprises de faire de la publicité pour les serviettes hygiéniques avec des femmes blanches et minces et de jolies serviettes), nous ne pourrons pas nous débarrasser de ce tabou sur les règles si nous ne le faisons pas pour tous les menstruateurs. Ceux d'entre nous qui ont leurs règles sans s'identifier en tant que femme méritent la même sécurité, le même accès et le même confort que toutes les autres. Tout ce que je veux, c'est pouvoir entrer dans un magasin et acheter des tampons sans jugement, changer mes serviettes sans me soucier de ma propre sécurité dans des toilettes publiques et participer à un débat qui a un impact profond sur le corps avec lequel je suis né, indépendamment du fait que je sois ou non une femme.

Ce blog, publié à l'origine sur le HuffPost américain, a été traduit par Karine Degliame-O'Keeffe pour Fast for Word.

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