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La caméra émancipée de Bettina Hoffmann

La caméra émancipée de Bettina Hoffmann
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Bettina Hoffmann est une artiste dont la préoccupation principale, d'une exposition à l'autre, a toujours été de capter le mouvement et d'explorer ce que celui-ci peut bien apporter à la construction narrative d'une construction filmique. Aussi a-t-elle, au cours des dernières années, surtout été reconnue et appréciée pour des travaux vidéographiques de courte durée, montrant personnages et lieux de rencontre en scènes figées, embrassés par une caméra mobile.

Elle poursuit cette quête et nous en rapporte les résultats dans l'exposition Drain, à la galerie Oboro. Ce sont ainsi quatre œuvres vidéographiques qui se déploient en projections sur les murs de la galerie et une œuvre photographique que l'on peut voir à l'entrée. De tout cela, Swing (2011) est sans doute la plus proche de ce à quoi Bettina Hoffmann nous avait habitués. On y retrouve des personnages figés, dans une scène qui semble former un apex dont on ne sait pas et dont on ne peut pas, du reste, décoder le sens ni le contenu. En cela, elle rappelle des œuvres précédentes alors que la caméra butinait autour d'une scène à plusieurs personnages aux gestes interrompus, montrant le tout, champ et contrechamp inclus, dans un étalage visuel qui nous laissait sur notre faim, à tenter de découvrir ce qu'il peut bien en être de ces gens, de ce qui les réunit là et de ce qui les suspend là. Mais, cette fois, l'écran est double et le mouvement des caméras n'est pas le même. En chacune des plages animées, elle oscille, se balance, exhibant chaque fois un peu plus de ce qui s'y passe. Une bande sonore accompagne le tout, ce qui n'est pas nouveau chez Bettina Hoffmann; sauf que, cette fois, on y entend des paroles des protagonistes. Elles sont répétées, entrelacées et chaque phrase finit, en son temps, par prendre le pas sur les autres et être enfin plus intelligible. On comprend qu'il y est question d'un différend, assez important pour qu'un des personnages se défende de s'être montré cruel.

C'est nettement avec Drain (2012) que l'on peut mesurer une progression certaine dans l'exploration esthétique de l'artiste. En cette œuvre, ce ne sont pas les mouvements de caméra qui apparaissent irréguliers, peu conformes à ce que le cinéma nous a accoutumés à voir. Dans Drain, c'est plutôt l'angle de la caméra qui désoriente l'expérience de visionnement. On en vient à comprendre que ce n'est pas seulement le mouvement de la caméra qui aide à la construction d'une vraisemblance fictionnelle et narrative, mais aussi son angle. On est ici devant une contreplongée totale, à 90 degrés, où les protagonistes se dressent au-dessus de nous. En cette courte projection, trois femmes se débattent entre elles jusqu'à se faire tomber. Leurs mouvements et empoignades se déroulent au ralenti et se muent du coup en une sorte de chorégraphie étudiée. Se chamaillent-elles ou dansent-elles? C'est à ne plus savoir. Mais il y a certes là une étude du mouvement, de tout ce que l'action de toucher peut amener comme relations. À les voir ainsi se débattre, on en vient à renoncer à accoler un sens précis, qui nous semblerait trop restrictif, à leurs embrassades. On se concentre plutôt sur ce que toucher veut dire, sur tout ce que cela peut bien pouvoir nous amener de chaleur et de contact. Sur la nécessaire proximité humaine qui nous fait entrer en relation corporelle avec les autres. Car toucher est nécessaire au fait d'être et au fait d'être au sein des autres.

Myopia, de 2011, nous déroute tout autant. Dans une salle fermée, cette projection nous montre une scène dont on ne peut que deviner le déroulement. La caméra, comme pour Swing, est à hauteur de ceinture et coupe donc la tête des êtres qui s'y manifestent. Elle bouge aussi et suit en quelque sorte l'action, toujours dans une sorte de balayage qui trahit la volonté d'un tout-montrer, d'une omnivision, d'un quadrillage le plus total possible des espaces. Mais voilà, la mise au point est imparfaite et tout nous apparaît flou, choses et personnages aux lignes imprécises, comme peu démarqués les uns des autres.

Bettina Hoffmann, du coup, nous expose à une nouvelle vision des choses, grâce à une mise en opération de la caméra, différente des conventions auxquelles on a été habitués. Elle nous rappelle finalement que les règles et les processus que nous nous sommes donnés pour la représentation cinématographique ne sont finalement que des modalités créées par nous.

Bettina Hoffmann, Drain, galerie Oboro, 4001, rue Berri, local 301, Montréal, jusqu'au 22 février.

On peut visionner les œuvres depuis le site de l'artiste. Mais rien ne vaut l'expérience de les voir en pleine grandeur.

- Drain et Exit :

On peut télécharger le dépliant ici.

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