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Bilan: l'élection de Trump est un désastre et Obama était meilleur président, vraiment?

Sans vouloir infirmer cette évaluation, il faut comprendre dans quel contexte elle a lieu et la nuancer sans pour autant trouver des qualités à Trump et à ses alliés.
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Carlos Barria / Reuters

La chose est entendue, tous les médias, à quelques exceptions près, sont d'accord et il n'y a pas de raison d'en douter: l'élection de Trump est un désastre et Obama était un bien meilleur président que le créateur de chaos partout dans le monde. Sans vouloir infirmer cette évaluation, il convient de comprendre dans quel contexte elle a lieu et il faut la nuancer sans pour autant trouver des qualités à Trump et à ses alliés dans la casse généralisée.

Dans une récente interview, la romancière indienne Arundhati Roy explique qu'à trop se focaliser sur la personne de Trump, on oublie le contexte qui l'a produit et notamment le fait que l'administration Obama a conduit à l'émergence du roi du chaos. Cette interprétation qui existe chez certains auteurs est une mise en cause du système médiatique dans son ensemble, car elle dépasse le cadre manichéen habituel.

Pour l'immense majorité des médias, surtout audiovisuels, et encore plus sur les réseaux sociaux (qu'en anglais on appelle «médias sociaux») il ne saurait y avoir que des oppositions entre bons et méchants. Aux États-Unis, dans les médias, cette opposition recoupe celle entre les méchants républicains et les bons démocrates. En France, les médias dominants qui se vivent comme «le cercle de la raison» (Minc) dénoncent «la montée des populismes» et englobent dans ce vocable de «populistes» tous ceux qui ne sont pas néolibéraux.

Se focaliser sur deux hommes et leur personnalité, aussi tentant et simplificateur que cela puisse paraître, est trompeur.

Pourtant les choses sont bien plus complexes et les oppositions sont souvent loin d'être manichéennes, mais entre divers types de «méchants». L'administration Obama a obtenu deux grands succès en politique étrangère: l'accord sur le nucléaire iranien et le rétablissement des relations avec Cuba. Elle a aussi signé l'Accord de Paris sur la lutte contre le réchauffement climatique. Ces réalisations sont toutes soit cassées, soit en grand danger depuis l'élection de Trump. Trump a une passion anti-Obama, sans doute renforcée depuis l'humiliation publique que l'ancien président lui avait fait subir en 2011 lors d'un diner des correspondants de presse.

L'opposition de Trump à Obama a, comme le notent de très nombreux analystes, des connotations racistes. Souvent la comparaison médiatique s'arrête là, mais se focaliser sur deux hommes et leur personnalité, aussi tentant et simplificateur que cela puisse paraître, est trompeur.

L'administration Obama a soutenu Israël et l'Arabie saoudite en dépit de son manque de sympathie pour les dirigeants de ces pays. Trump suit la ligne Obama en Afghanistan contrairement à ce qu'il avait annoncé durant sa campagne et sur la Syrie l'administration Obama avait soutenu et financé des groupes djihadistes pour faire tomber le régime Assad, une politique qui, par moments, semble aussi être celle de Trump.

Trump aggrave un système qui existait déjà sous Obama, qui assurait lui-même la continuité avec les années Bush

Sur le plan intérieur, Trump veut détruire le système d'assurance santé appelé Obamacare qui, pourtant, était une copie du programme du républicain Romney dans l'État du Massachusetts. Ce système d'assurance santé fait la part belle aux assurances privées et n'est en rien comparable à un système européen ou socialiste. Là encore, Trump apparaît en président bien pire qu'Obama qui pourtant lui aussi s'était entouré d'anciens de Goldman Sachs. Obama avait dès 2009 rassuré les banques américaines en leur disant que son administration les protégeait des fourches qui pourraient être brandies contre elles par une population en colère.

Obama n'a pas lutté contre la dérive oligarchique qui affecte la société américaine, mais l'a accompagnée. Trump a continué sur cette lancée ploutocratique en offrant un énorme cadeau fiscal aux plus fortunés par sa réforme des impôts de décembre 2017. On peut penser, avec Stiglitz, que la réforme de Trump est une catastrophe ploutocratique sans pour autant considérer qu'il y a une opposition manichéenne avec ce que faisait l'administration Obama. Trump aggrave un système qui existait déjà sous Obama qui assurait lui-même la continuité avec les années Bush.

Dans un livre publié en 2014, National Security and Double Government, Michael Glennon, professeur à l'Université Tufts, analyse les formes de ce qu'il appelle le «double gouvernement» c'est-à-dire les forces qui prennent les décisions effectives aux États-Unis et que l'on nomme parfois État profond. Il montre les grandes continuités entre les administrations Bush et Obama, continuités qui se lisent au niveau des personnels dans des postes à responsabilité, notamment au sein de ce que le président Eisenhower avait dénoncé comme étant le complexe militaro-industriel. Glennon explique comment Obama avait été mis au pas sur la guerre en Afghanistan par ce complexe et pourquoi l'Administration Obama n'a pas été progressiste du tout sur le respect des libertés individuelles ou les expulsions d'étrangers.

Trump est donc à la fois ce dirigeant politique «grotesque et grossier», comme le dénonçait récemment François Heisbourg dans Le Monde, mais il continue en grande partie l'héritage d'Obama et de Bush sur un certain nombre de plans, dont notamment la «sécurité nationale». Cet homme grossier est un désastre, mais, comme le dit Arundhati Roy, il est le produit d'une évolution historique et d'un contexte. Des hommes (et quelques femmes) plus policés, propres sur eux, qui savent parler et utiliser un vocabulaire étendu ont préparé cette catastrophe et l'accompagnent aujourd'hui.

Nomi Prins, l'auteure d'un livre sur le pouvoir de la finance, Collusion: How Central Bankers Rigged the World, pouvoir qui perdure quels que soient les présidents ou partis nominalement au pouvoir, explique dans une interview comment tous ces gens aux belles manières ont fait des cadeaux aux banques pendant que les contribuables payaient et que les inégalités et la misère augmentaient.

La civilité n'est donc pas centrale dans les évaluations de politiques. Trump est un individu grossier et un casseur qui est bien pire qu'Obama, un intellectuel fort intelligent. Tous deux n'ont cependant qu'une petite parcelle de pouvoir dans ce qui est quand même un «deep state» (État profond). Trump s'est saisi de l'expression de façon perverse, mais cet État profond ou État de sécurité nationale existe bel et bien comme l'assure Edgar Snowden, le lanceur d'alerte qui en a fait partie et en a dévoilé un pan. («There's definitely a deep state. Trust me, I've been there»).

La dérive du monde occidental vers des oligarchies ploutocratiques ne date pas de l'élection de l'odieux personnage. Cette dérive constitue le terreau des mouvements extrémistes. Les casseurs costumés qui agissent loin des regards médiatiques sont aussi dangereux que les braillards égocentriques.

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