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Blocus ferroviaires: 30 ans plus tard, la crise d'Oka hante les esprits

La crise actuelle des blocus ferroviaires vient rouvrir de vieilles blessures.

Alors que la crise des blocus ferroviaires s’étire, paralysant le pays depuis près de deux semaines, de plus en plus de voix brandissent le spectre de la crise d’Oka. À quelques mois du 30e anniversaire de cette période sombre pour les relations avec les Autochtones, les gouvernements ont-ils retenu la leçon?

«C’est sûr que les autorités politiques sont traumatisées, à raison, par 1990 et veulent éviter de revivre ça», explique Éric Cardinal, chargé de cours à l’Université de Montréal et vice-président de l’entreprise de consultation autochtone Acosys.

Comme les autres experts consultés par le HuffPost Québec, M. Cardinal estime que c’est le souvenir de la crise d’Oka qui a retenu le gouvernement de démanteler les blocus ferroviaires par la force, jusqu’à présent.

«Aujourd’hui on est beaucoup plus conscient de l’héritage colonial. On comprend que les Autochtones, ce sont des peuples. Lorsqu’on est en relation avec des peuples différents, faire usage d’armes à feu, c’est un peu comme une déclaration de guerre», explique Pierre Trudel, chercheur associé à la Chaire de recherche du Canada en études québécoises et canadiennes de l’UQAM et expert de la crise d’Oka.

«Le gouvernement a appris qu’il ne fallait pas chercher la bagarre avec nous», résume Kenneth Deer, secrétaire de la Nation Mohawk de Kahnawake et membre du comité de relations externes Haudenosaunee.

Et si la Gendarmerie royale du Canada est intervenue en Colombie-Britannique pour démanteler la barricade des Wet’suwet’en, Éric Cardinal estime que les autorités seront plus frileuses à l’idée de s’en prendre aux campements à Kahnawake et à Tyendinaga, en Ontario.

«Dès que ça touche des territoires mohawks, je pense qu’on devient beaucoup plus prudents», avance M. Cardinal, puisque c’était la nation au coeur de la crise d’Oka.

La crise d’Oka pour les nuls

À l’été 1990, le projet du maire d’Oka, Jean Ouellette, d’agrandir le golf municipal en empiétant sur un cimetière mohawk et de développer des condos de luxe sur des terres ancestrales revendiquées par les Mohawks plonge la province dans une crise qui durera 78 jours.

Cette photo devenue emblématique de la Crise d'Oka montre le soldat Patrick Cloutier et le Warrior ojibwé Brad Laroque, alias "Freddy Kruger", dans un face à face tendu sur la pinède de Kanesatake, le 1er septembre 1990. (Shaney Komulainen/La Presse canadienne)
La Presse canadienne/Shaney Komulainen
Cette photo devenue emblématique de la Crise d'Oka montre le soldat Patrick Cloutier et le Warrior ojibwé Brad Laroque, alias "Freddy Kruger", dans un face à face tendu sur la pinède de Kanesatake, le 1er septembre 1990. (Shaney Komulainen/La Presse canadienne)

Afin d’empêcher le projet d’aller de l’avant, un groupe de militants de la réserve de Kanesatake, surnommé les Warriors (Guerriers), érige une barricade pour bloquer l’accès à la pinède qui se trouve sur les terres ancestrales.

Le 11 juillet 1990, à la demande du maire, la Sûreté du Québec (SQ) intervient pour démanteler la barricade, afin de faire respecter une injonction de la Cour supérieure. Des coups de feu sont échangés et le caporal Marcel Lemay est tué. De l’autre côté du Saint-Laurent, à Kahnawake, un groupe bloque le pont Mercier en solidarité avec Kanesatake. C’est le début de la crise d’Oka.

Le siège durera 78 jours. Des Autochtones de partout au pays rejoindront la barricade, transformant le conflit en une crise nationale.

Terres ancestrales

Tous s’entendent pour dire que la crise d’Oka a sensibilisé la population aux droits ancestraux et aux revendications territoriales des peuples autochtones.

«Avant Oka, la plupart des gens ne savaient même pas que Kahnawake et Kanesatake existaient. C’est si près de Montréal, mais ils ne savaient rien de nous», se souvient Kenneth Deer. «Après, les gens ont beaucoup appris sur les peuples autochtones, sur leurs droits, sur les Mohawks...»

Mais force est d’admettre qu’il reste du travail à faire.

«Après la crise d’Oka, la Commission royale sur les peuples autochtones a fait des recommandations, tout comme la Commission de vérité et réconciliation et l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones assassinées et disparues. Ces recommandations doivent être suivies par le gouvernement, pas juste mises sur des tablettes», déplore Kenneth Deer.

La question des territoires ancestraux non cédés, des régions du Canada qui ne sont couvertes par aucun traité avec les Premières Nations, est au coeur de la crise actuelle. Et avec elle, celle des gouvernements traditionnels autochtones, comme les chefs héréditaires Wet’suwet’en.

Pourtant, l’une des recommandations récurrentes dans les rapports est d’«accorder de l’attention à ces gouvernements que le Canada ignore depuis plus d’un siècle», souligne M. Deer.

«Les conseils de bande sont une création du gouvernement canadien, rappelle-t-il. Ils ont été créés pour détruire notre culture, notre langage, notre histoire et les droits inhérents que nous avons sur le territoire et sur la terre depuis des temps immémoriaux.»

Kenneth Deer
Concordia University
Kenneth Deer

«Je suis surpris qu’il n’y ait pas encore eu de démarche de dialogue avec les chefs héréditaires Wet’suwet’en», admet Éric Cardinal. «Les chefs héréditaires Wet’suwet’en sont légitimes. C’est un mode de gouvernance qui a été reconnu par la Cour suprême.»

Pour MM. Cardinal et Deer, la sortie de crise passe donc impérativement par le retrait des policiers de la GRC du territoire ancestral des Wet’suwet’en.

«Quand les chefs de Wet’suwet’en seront satisfaits, nos barricades seront démantelées», assure Kenneth Deer, soulignant au passage la patience dont ont fait preuve les citoyens affectés par les blocus ferroviaires jusqu’à maintenant.

«S’il y a une chose qu’on a appris avec Oka, c’est que ça prend du temps», résume M. Trudel. Le chercheur doute toutefois que la crise puisse perdurer aussi longtemps que celle de 1990, puisque les conséquences économiques des blocus sont plus importantes et que «le point de saturation» risque d’être atteint plus rapidement.

«Le gouvernement Trudeau sera comme le gouvernement [provincial] de Robert Bourassa», croit M. Trudel. «S’il voit qu’il risque de perdre le pouvoir, il va agir.»

La question environnementale

S’il existe des plusieurs similitudes entre la crise d’Oka et la crise actuelle, toutes les personnes interviewées ont souligné qu’une nouvelle réalité pourrait changer la donne cette fois-ci: la crise climatique.

À travers le pays, les militants autochtones ont reçu des appuis de groupes opposés à l’exploitation des hydrocarbures. Cette semaine, lors de deux manifestations à Montréal en solidarité avec les Wet’suwet’en, la question climatique était sur toutes les lèvres.

Voyez nos images de la manifestation de lundi à Montréal dans la galerie ci-dessous:

Solidarité avec les Wet'suwet'en: manifestation au centre-ville de Montréal

Solidarité avec les Wet'suwet'en: manifestation au centre-ville de Montréal

Lors de son passage à Montréal, en septembre dernier, Greta Thunberg avait par ailleurs demandé à ce que des représentants des Premières Nations ouvrent la marche. «Un symbole fort», selon Pierre Trudel.

Kenneth Deer abonde dans le même sens. «Ce n’est pas seulement à propos des droits des Wet’suwet’en. C’est aussi à propos des changements climatiques.»

Il ne s’inquiète pas outre mesure de voir la question climatique éclipser les revendications territoriales des Wet’suwet’en.

«Bien sûr, il doit y avoir une balance entre les droits de Mère Nature et les droits des peuples. Mais dans ce cas-ci, la question de la souveraineté territoriale et celle de l’environnement ne font qu’un», conclut le Mohawk.

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