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Les médecins me donnent encore 30 jours à vivre. Chaque billet est potentiellement mon dernier.

Avouez que le titre de ce texte, suivi de cette introduction cinglante et définitive, sont d'une efficacité morbide redoutable, d'un romantisme glacial, venant interrompre avec fracas la douceur d'un été qui s'installe. Observez comment je viens, en quelques mots, de faire accélérer légèrement votre rythme cardiaque, ramollir vos jambes, pendre votre sourire. Quand je vous disais que c'est efficace.

Il est tentant pour moi de maintenir pour quelques lignes encore cette tension tragique que je viens d'installer, garantie annoncée d'un succès viral sans précédent, d'autant plus qu'il m'est arrivé de partager ici, avec impudeur, ma santé fragile. Mais j'ai le complexe de l'imposteur, et je me dois, tout de suite, de vous dire que tout cela n'est pas vrai. Je vais très bien, je ne suis condamné à rien, sinon à m'endurer. Observez désormais comme votre coeur s'accélère de nouveau, non plus de la douloureuse empathie, mais de la colère du dupé. Mon succès éditorial s'arrête ici.

Le blogue d'un condamné est en réalité le Blog d'un condamné, parce qu'en Europe, we say blog. L'homme a 58 ans, semble être Belge, et a ouvert il y a 27 jours le journal funeste qui fera le récit de son déclin fatal. Un texte par jour, d'abord simplement titré Jour 1, Jour 2, Jour 3, puis d'un fatidique décompte: J-13, J-12, J-11, etc.

Le blogue est très sobre, sans artifice. Fond blanc, semblable aux murs d'un hôpital, textes courts, mots simples, mais formules fortes. Je lis ce blogue depuis le début, à chaque fois saisi des symptômes physiques décrits plus tôt.

En me demandant si nous étions nombreux à être les témoins numériques et impuissants de cette agonie, j'ai fait quelques recherches. Et oui, nous sommes très nombreux, et vous êtes peut-être, vous aussi, un des lecteurs de ce râle déchirant.

Ce matin, le titre est J-3, et la formule est insoutenable: "(...) J'ai mal, je pleure. J'ai mal. Je me sens partir. (...) Ceux qui s'opposent à l'euthanasie ne se sont jamais pissés dessus". C'est pénible, et on ne sait plus si on souhaite que le calvaire s'arrête pour lui, ou pour nous.

Pourtant, au cours de mes recherches, je suis tombé sur quelques articles mettant en doute l'authenticité de cette histoire. Des observateurs pragmatiques ont analysé l'ensemble de l'oeuvre et ont avancé des arguments suffisants pour remettre en cause cette mort en direct. Curieuse maladie à échéance de 30 jours, compte Twitter habilement bâti et assurant le relai d'influenceurs, et cette efficacité des titres, des formules, du décompte...

Mon ami Gareau dit que l'authenticité n'existe pas, que c'est un leurre, que seule compte l'émotion. Réelle ou fabriquée, la chair de poule qui a gagné mes avant-bras à la découverte de ce blogue, comme celle que je vous ai transmise au début de ce texte, a bien existé. Seul compte le récit dit-il, et sa capacité à nous émouvoir. C'est le propre du roman, du cinéma ou de la chanson, et il serait fortuit de s'en indigner.

Un homme est-il en train de mourir sous nos yeux en Belgique? Si oui, paix à son âme, et pardon pour ce texte.

Si non, bien joué, et sans rancune. Après tout, Brel filait peut-être le parfait amour au temps de Ne me quitte pas... Resteront toutefois quelques questions: celle bien sûr du bon goût, celle du pourquoi, mais surtout celle de la nature complexe et parfois décevante du monde qui s'offre désormais à nous.

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