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Bruxelles, le jour d'après: «Papa, ne prends pas le métro»

«Papa, j'ai peur, je ne veux pas prendre le métro, en plus y'a un terroriste qui va se faire exploser aujourd'hui, les journaux l'ont dit.»
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8h10, je sors de chez moi, sur le pas de la porte, mon fils est encore là. Il n'est pas parti à l'école.

«Papa, j'ai peur, je ne veux pas prendre le métro, en plus y'a un terroriste qui va se faire exploser aujourd'hui, les journaux l'ont dit.»

J'enrage en me demandant pourquoi la presse a senti le besoin de faire fuiter ce genre d'informations inutiles, mais bon...

Et là, je me rends compte que nous sommes le jour d'après. Il y a eu les vacances juste après l'attentat et la vie ne reprend réellement qu'aujourd'hui.

«Papa, ne prends pas le métro».

Il a peut-être raison. Je le laisse à la maison en pensant à toutes les autres victimes collatérales de l'attentat.

Celles et ceux qui sont effrayés à l'idée de prendre le métro, qui ont peur, qui ont besoin de soutien psychologique pour faire face à une angoisse qui risque de devenir permanente.

Je dois aller au boulot, mais en tant que vrai Bruxellois, je sais comment tenir ma promesse. Je sais comment éviter le métro. Je prends un tram, puis l'autre, puis je traverse le parc, puis je remonte la chaussée et là je prends le troisième tram. Ça m'a pris une heure, mais j'y suis arrivé, je suis au fin fond de Schaerbeek. Et je suis à l'heure pour mon rendez-vous.

Sur la route, j'ai juste eu le temps de jeter un coup d'oeil sur un journal posé sur un siège, dans le tram.

«La police va faire des contrôles aléatoires...». Aléatoires... Je sais très bien ce que ça veut dire, je les ai bien connus ces contrôles aléatoires. Et si on leur donnait leur vrai nom: ça sera des contrôles «Aléa-Beur».

En même temps, je me dis que c'est de bonne guerre. Ce ne sont pas des Chinois qui se sont fait exploser, finalement, emportant avec eux ce qui restait de cohésion sociale dans cette ville.

On va devoir vivre avec la peur: la peur d'un attentat, bien entendu, mais aussi la peur que mon fils ne se fasse contrôler pour rien, qu'il se rebelle, qu'il se fasse embarquer, qu'il se fasse «ficher»...

Je croyais que cette vie-là était finie, je croyais que je l'avais enterrée avec l'âge. Non, ça recommence, ça revient...

Il va y en avoir des contrôles «aléatoires», et d'un contrôle à l'autre une frustration grandissante qui amplifiera le «eux» et «nous» pour le transformer en «eux» contre «nous».

Et là, nous aurons perdu...

J'essuie une larme puis je croise un vieux copain du quartier. On se regarde, on ne se sourit pas, mais on se comprend. Son regard semble apaisant, il semble me dire:

«Ismaël, tu ne vas pas avoir peur de vivre à cause de ces connards. Rappelle-toi, Ismaël, ce sont les mêmes connards qui nous frappaient pour qu'on cache leur drogue parce qu'on était mineur et qu'on ne risquait pas la prison, ce sont les mêmes qui voulaient nous apprendre à haïr, les mêmes qui volaient, agressaient, violentaient et qui aujourd'hui font pire sous le vernis d'une religion dont ils n'ont cure. Et pourtant, Ismaël, regarde, nous sommes toujours là. Nous leur avons survécu. Nous leur survivrons encore».

Il a raison. Il va falloir se battre, il va falloir arrêter d'avoir peur. Ça va être dur...

La semaine dernière, j'étais sur les traces d'Averroès et de Maïmonide entouré par l'avenir de ce pays. C'est à eux que je pense, c'est eux que je vois dans le regard de cet ami perdu. Je pense à Emad, Moussa, Youssef, Yousra, Aya, Soraya, Marwa... à Natacha, Déborah, Pascale, Raphaël, Timothy, Johanna, Lola, Yasha...

Il va falloir les protéger de ceux qui nous frappaient avant... parce qu'ils sont revenus frapper aujourd'hui, et encore plus fort.

Et pour les protéger, il va falloir arrêter d'avoir peur.

Et pour arrêter d'avoir peur, il va falloir regarder le mal en face.

Il va falloir prendre le métro.

Nous sommes le jour d'après....

Je rentre chez moi et je suis dans le métro...

...à Maelbeek!

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