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Crise au Barreau: le CA va t-il ignorer ses membres alors que le bateau coule?

Le bateau coule au Barreau, ses membres ont sonné l'alerte hier soir de manière non équivoque. Un conseil d'administration qui ne reculerait pas sur sa décision, ou ne démissionnerait pas, me ferait penser à un capitaine qui refuserait d'admettre que la bataille est finie et qui s'obstinerait à naviguer dans la direction qu'il souhaitait alors que tous les occupants désertent le navire.
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J'ai assisté hier soir à un moment historique. Je trouve dommage que les médias n'aient pas pu diffuser cette première assemblée extraordinaire en 100 ans, car le public aurait pu prendre conscience de l'ampleur de cette saga qui secoue la réputation de mon ordre professionnel. À la fin de la soirée, le sourire de ceux qui défendaient Me Lu Chan Khuong et la face d'enterrement des conseillers du conseil d'administration en disaient long. N'ayons pas peur des mots, le CA du Barreau a pris toute une dégelée et n'a pas su répondre à l'armée de critiques à son endroit. Je n'ai pas calculé le nombre de fois où le mot honte a été prononcé, mais il le fût plus d'une fois.

Il y avait d'un côté les ténors du Barreau tels que Julius Grey, Jean-Pierre Ménard, Julie Latour, Anne-France Goldwater, l'ancienne ministre de la Justice Linda Goupil et plusieurs autres qui ont tous sans exception demandé au CA de faire cesser les injustices à l'égard de la bâtonnière et de respecter son élection à la tête du Barreau. De l'autre côté, les représentants du CA attaqués de toutes parts, eux, semblaient vouloir répondre le moins possible aux questions qui leur étaient posées.

Aucun intervenant n'a véritablement parlé en faveur du CA si ce n'est du bout des lèvres en demandant aux avocats présents d'attendre d'avoir plus d'information avant de se prononcer. Et une fois que le vote a été en faveur de la réintégration et d'une enquête sur le coulage d'informations sur la bâtonnière, deux avocats ont fait valoir que ce vote ne valait rien juridiquement.

Il fallait la présence de 100 avocats pour avoir le quorum de cette assemblée extraordinaire. Il y en a eu plus de 900. Je crois que l'on peut dire que c'était représentatif des 25 000 membres de l'ordre professionnel qui étaient tous invités.

68,5% des membres présents ont demandé la réintégration immédiate de la bâtonnière. À entendre les débats, je présume que si la résolution avait été « Nous demandons la tenue d'une nouvelle élection générale du conseil d'administration et de la bâtonnière », le pourcentage aurait considérablement augmenté.

L'ancienne ministre de la Justice Linda Goupil ainsi que plusieurs avocats présents ont vivement recommandé la démission du C.A. et de la bâtonnière, permettant ainsi la tenue d'une élection générale pour sortir de cette crise qui fait mal à notre profession. La bâtonnière s'est aussitôt dite prête à démissionner et à repartir en élections à condition que le CA en fasse autant. Le représentant du conseil d'administration a répondu que ce n'était pas une option envisagée, qu'il attendait le verdict des tribunaux.

Je peux comprendre que le public puisse mettre l'accent sur le fait que la bâtonnière est sérieusement soupçonnée d'avoir volé des jeans et que ses explications ne sont pas suffisantes, mais pour la grande majorité des avocats présents hier soir, la protection du public ne passe pas par la réputation sans taches d'une bâtonnière, mais par le respect de la règle de droit, de la démocratie et de la confidentialité du processus de déjudiciarisation.

Voici quelques-unes des déclarations chaleureusement applaudies par la grande majorité des membres présents.

  • « Le C.A. du Barreau a traité la bâtonnière comme une employée alors qu'il s'agit d'une élue. » - Me Marc-André Cloutier
  • « Je ne me reconnais pas dans les agissements de mon Barreau, qui s'est adonné à une entreprise de destruction de réputation. » - Me Jean-Pierre Ménard
  • « Me Lu Chan Khuong a suffisamment été pénalisée comme ça. Avec la déjudiciarisation on lui a enlevé le droit d'être acquittée, et je peux vous dire de mon expérience qu'elle aurait sûrement été acquittée en cinq minutes. (...) Cette histoire ridicule est clairement un règlement de comptes.» - Anne-France Goldwater.
  • « J'ai mal à mon Barreau. » - Me X. (X = désolée, je n'ai pas pris le nom en notes)
  • « Le CA n'a démontré aucun leadership. Il a besoin d'aide. Qu'ils aillent chercher de l'aide ! » - Me X
  • « Je suis une ancienne bâtonnière. ... Le CA de notre ordre ne respecte pas les règles les plus élémentaires de droit. » - Me Julie Latour
  • « On ne doit pas demander pas à nos dirigeants d'être plus blancs que blancs. La question ici est de respecter des éléments fondamentaux de droit : on ne condamne pas quelqu'un sans procès. » - Me Julius Grey.
  • « En 40 ans de carrière, je n'ai jamais vu ça. Mon ordre professionnel contrevient à plusieurs lois. On est en train de massacrer notre image. » - Me X

Certaines interventions ont aussi mis en lumière le fait que les réformes proposées par la bâtonnière, et pour lesquelles elle a été élue par 63% des membres ce printemps, semblaient être systématiquement bloquées par le vote des administrateurs avant la suspension de la bâtonnière. Puisque les débats sont confidentiels, nous avons seulement eu comme exemple le fait que la bâtonnière avait proposé de baisser son salaire faramineux de 380 000 $. Sans dévoiler le résultat du vote du conseil d'administration sur cette question, la bâtonnière a dit que son salaire était toujours le même.

Personnellement, je préfère une bâtonnière soupçonnée d'avoir commis un (ou même deux !) vol (s) à l'étalage qui a le courage de demander la baisse de son salaire outrageusement élevé, et qui est prête à faire des réformes pour lesquelles elle a été élue, que des dirigeants qui ne respectent pas la démocratie de leur organisation. Le conseil d'administration peut bien répéter mille fois que la bâtonnière a été arrêtée pour vol, il demeure qu'elle n'a pas été condamnée et que cette situation ne la rend pas inapte à exercer ses fonctions. Mais je serais prête, comme la bâtonnière l'est aussi, à ce que l'on soumette cette dernière question aux membres dans le cadre d'une élection générale.

Si j'étais membre de ce conseil, je me trouverais rapidement des « engagements familiaux » m'obligeant à démissionner afin de ne pas subir la honte de continuer à exercer mes fonctions en ayant un doute sur ma légitimité. Et si je restais, ce serait dans un objectif de réintégrer la présidente élue et de collaborer le plus possible avec elle.

Le bateau coule au Barreau, les membres ont sonné l'alerte hier soir de manière non équivoque. Un conseil d'administration qui ne reculerait pas sur sa décision, ou ne démissionnerait pas, me ferait penser à un capitaine qui refuserait d'admettre que la bataille est finie et qui s'obstinerait à naviguer dans la direction qu'il souhaitait alors que tous les occupants désertent le bateau.

Le conseil d'administration a laissé entendre qu'il pourrait toujours se soustraire aux résultats du vote d'hier soir. Oui, chers membres du CA, vous êtes le capitaine de notre bateau, et certains de vos arguments ne sont pas fous, mais quand une majorité de vos membres vous dit clairement de cesser de foncer dans telle direction, il faut avoir l'humilité d'abandonner les commandes ou de faire marche arrière avant que tout le monde coule avec vous. Vous n'avez pas besoin de consulter qui que ce soit à fort prix pour ça, c'est seulement du gros bon sens.

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Mai 2017

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