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Ce câlin dont mamie avait tant besoin

Tu lui as permis de regagner l’énergie qui lui manquait pour continuer.
Aldo Murillo via Getty Images

Parce que tu as vu dans ses yeux ce besoin vital d’un câlin.

Pis t’as dis ok.

Pis tu regrettes pas.

Quand elle est montée sur ton grand patio pour venir te saluer, t’avais déjà installé des chaises à une certaine distance pour respecter les nouvelles convenances. Ça fait tellement longtemps que ta mère est pas passée chez toi. Les enfants étaient restés à la maison pour l’après-midi, question de saluer mamie.

Quand t’as entendu sa voix dans la cour, t’étais tellement contente qu’elle soit là. T’avais déjà coupé la menthe pour cette limonade maison dont elle raffole tant, t’avais prévu un endroit à l’ombre, t’avais hâte de lui raconter de vive voix tout ce qui s’est passé dans les derniers mois.

“T’as vu dans ses yeux le poids de la distance, celui de l’isolement.”

Quand elle est montée sur la dernière marche, elle t’a regardé comme si elle retrouvait quelqu’un qui avait été absent longtemps. T’as vu dans ses yeux le poids de la distance, celui de l’isolement. C’est comme si soudainement, elle retrouvait la lumière après un séjour trop long dans une caverne. T’avais l’impression qu’elle respirait plus librement.

Quand elle a vu les enfants, l’ennui a pesé plus fort, se dirigeant spontanément vers eux, elle a tendu les bras pour les prendre contre elle, puis son élan s’est arrêté et elle a reculé, la tête basse, honteuse d’avoir oublié la consigne. Elle s’est excusée en disant qu’à son âge, on oubliait des fois, elle a dit qu’elle voudrait tellement les serrer dans ses bras, que ça faisait si longtemps.

Toi t’étais là, témoin d’une scène que t’aimais pas, complice contre ton gré d’un éloignement affectif. Le temps d’une fraction de seconde, le rationnel est revenu dans ta tête. Pas de symptômes, aucun cas dans l’entourage, t’as dit, vas-y mamie, tu peux les coller.

“C’est là que t’as compris toute la lourdeur qui ne se sentait pas dans les appels, cet ennui silencieux qui s’est camouflé, te laissant croire que tout allait parfaitement bien.”

C’est drette là que t’as vu l’impact de l’isolement, mais plus encore, celui de l’absence de contact physique, celui du manque de cet amour qui se touche, qui se porte, l’amour qu’on enfile comme un lainage quand il fait froid, l’amour léger comme une dentelle quand c’est trop chaud. Ta décision de permettre à ta mère d’assouvir ce besoin essentiel de serrer dans ses bras ses petits enfants, même s’ils sont rendus beaucoup plus grands qu’elle, venait de tout changer.

T’as senti l’émotion se libérer de ses chaînes et se diffuser dans tout le quartier, comme si enfin elle pouvait s’exprimer sans censure, sans interdit. T’as vu l’étreinte se resserrer, la fusion si parfaite qu’il était presqu’impossible de les distinguer. C’est là que t’as compris toute la lourdeur qui ne se sentait pas dans les appels, cet ennui silencieux qui s’est camouflé, te laissant croire que tout allait parfaitement bien.

D’un seul coup, sous le parasol à l’ombre, mamie retrouvait l’odeur de ce petit parfum vanillé, la douceur de la peau, l’arôme fruité qui se dégage d’une tresse quand le vent se soulève. Mamie, blottit entre leurs bras, récupérait enfin des mois d’absence, comme si elle retrouvait toutes ces secondes de bonheur qu’on lui avait volées, à cette période de la vie où chacun d’eux peut basculer pour devenir le dernier.

T’as pensé dans ta tête, tu t’es dit: «Si jamais, s’il fallait...» T’as entendu la petite voix qui te disait d’être prudente, de prendre aucune chance. Tu t’es rappelé les règles, mais tu les as transgressées. T’as choisi de rester sourde à la voix du rationnel et d’écouter celle qui venait du cœur. T’as choisi de miser sur ce sixième sens qui t’indiquait que c’était la bonne chose à faire, incapable de te résigner à craindre un câlin, une caresse, une étreinte.

“T’as permis l’étreinte malgré l’interdit, mais t’as donné beaucoup plus que ça.”

Instantanément, mamie a retrouvé ce point d’ancrage qui s’était dissipé, elle a reconnu le chemin qui menait à la maison comme quand on part longtemps et qu’à notre retour tout le quartier a changé. Dans ce nouvel environnement, mamie venait de retrouver le petit sentier caché sous les arbres, celui qu’on suit jusqu’à ce qu’on se retrouve chez soi.

T’as permis l’étreinte malgré l’interdit, mais t’as donné beaucoup plus que ça. T’as voulu reprendre le contrôle, en oubliant un instant ce qui se passe dans l’actualité. T’as voulu faire confiance à ce sixième sens auquel tu t’es fiée pendant tant d’années.

Le cœur rempli d’amour, mamie s’est détachée rapidement, consciente qu’il valait mieux en prendre un petit peu à la fois, craignant que si elle en prenne trop, tu lui refuses la prochaine fois, comme un enfant à qui on interdit un gâteau parce qu’il en a trop mangé.

Tu lui as permis de regagner l’énergie qui lui manquait pour continuer. Tu lui as confirmé que la menace ne gagnerait pas sur l’amour maternel, qu’une petite trêve était possible et combien curative dans un mal potentiel.

Sous le parasol, la limonade était fraîche, la brise était douce et le poids de l’isolement s’est dissipé, le temps de gravir le petit sentier qui nous ramenait tous à la maison, comme s’il n’y avait qu’un seul chemin à suivre pour vraiment se retrouver.

Toi, t’as fait ce choix de contrevenir aux indications, mais pour, d’autres ce n’est pas négociable. J’te laisse là-dessus, ma mère s’en vient. Câlin ou pas câlin? Là est la question...

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