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«Champion» pour renouveler l’art de l’opéra

Tout allait bien pour le champion de boxe Emile Griffith, jusqu'au jour où son adversaire, Benny Paret, révéla son homosexualité devant les quelque 14 millions de téléspectateurs du match.
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«Si je tue un homme, le monde me pardonne, mais si j'aime un homme, le monde veut me tuer».
Yves Renaud
«Si je tue un homme, le monde me pardonne, mais si j'aime un homme, le monde veut me tuer».

Que l'art de l'opéra se renouvelle en conservant ses composantes traditionnelles fondamentales, voilà qui devrait réjouir les amateurs de cet art, et attirer tous ceux qui ne l'apprécient peut-être pas encore à sa juste valeur.

Champion a été créé en 2016. Selon le créateur de sa musique, le célèbre Terence Blanchard, c'est un «opéra en jazz» et non un «opéra jazz». La différence? Probablement le fait que pour un opéra, contrairement à une comédie musicale du type Broadway, le spectateur recherche davantage la musicalité et la beauté des voix que les mélodies dont on se souvient immédiatement.

Orchestre symphonique, chœurs, registre vocal déterminé des chanteurs selon leurs rôles: tout l'aspect musical est aussi porté par le livret du prolifique Michael Cristofer et la mise en scène de James Robinson. Et sous ces deux aspects aussi, Champion renouvelle l'opéra tout en conservant sa tradition.

«Art total», dit-on de l'opéra, et c'est le cas. Sur scène, des chanteurs aux voix superbes sont capables de jouer la comédie dans des décors où, comme on le voit de plus en plus souvent au théâtre, la vidéo et les documents d'archives sont présents et portent un récit tragique qui, pour Champion, se base sur une histoire vraie.

Dans les années 60 aux États-Unis, le boxeur Emile Griffith remportait combat sur combat. C'est que ce jeune homme pauvre, originaire de Saint-Thomas dans les îles Vierges des États-Unis, avait décidé de courir sa chance à New York pour retrouver sa mère qui l'avait abandonné, et faire fortune en fabriquant des chapeaux (son métier) ou en jouant au baseball, voire en chantant... Mais c'est son corps d'athlète qui fut remarqué par un homme du milieu de la boxe, Howard Albert, et c'est le métier de boxeur qu'il choisit.

Tout allait bien pour le champion de boxe Emile Griffith, du moins semblait-il, jusqu'au jour où au moment de la pesée médiatisée des athlètes précédant son match contre Benny Paret, ce dernier insulta son adversaire en le traitant de «maricon» et en dévoilant l'homosexualité de Griffith devant les quelque 14 millions de téléspectateurs du match. Le combat eut lieu.

Emile Griffith asséna 17 coups de poing à Benny Paret. Il remporta la victoire et laissa son adversaire non seulement KO, mais dans un coma dont il ne survécut pas.

La mort de Paret hanta le champion toute sa vie. C'est que sa bisexualité n'était pas conforme au métier de boxeur ni à son milieu d'origine où, dans son enfance déjà, on pensait que le diable était en lui. Toujours est-il que la culpabilité de Griffith à l'égard de Paret qu'il laissa sans vie le poursuivit jusqu'à sa mort, en dépit du pardon du public de la boxe et du fils de Paret lui-même.

Dans un maillage très bien réalisé, toute l'histoire de ce champion est racontée avec une quarantaine de chanteurs sur la scène et bien d'autres artistes dans la fosse, des vidéos, des décors (peut-être un peu limités, ce serait pour moi le seul bémol), des flashbacks, et la présence de Griffith à trois âges de sa vie, celui de champion (avec la belle voix du basse-bariton Aubrey Allicok, celui d'enfant (avec le merveilleux soprano de neuf ans Nathan Dibula) et celui de vieillard émouvant, mais sénile à cause de toutes les commotions cérébrales qu'il encaissa sur les rings (l'excellent basse Arthur Woodley). Les autres voix sont très belles aussi. Le ténor qui interprète Benny Paret, le ténor Victor Ryan Robertson est capable de chanter tout en s'entrainant en sautant à la corde... C'est dire que les chanteurs sont aussi des acteurs impeccables.

Certains moments du spectacle réunissent des chœurs sur scène et une joyeuse foule dans une boite de nuit ou lors d'un carnaval particulièrement réussi dans les îles Vierges.

Les dialogues ont aussi un aspect très actuel, utilisant le langage courant, voire vulgaire, avec des phrases qui donnent beaucoup à réfléchir, comme cette pensée qu'a Emile Griffith à la fin de sa vie: «Si je tue un homme, le monde me pardonne, mais si j'aime un homme, le monde veut me tuer».

La victoire d'Emile Griffith marqua le début de sa défaite et de sa déchéance. La boxe est un curieux sport où l'on admire que les concurrents se blessent et encaissent des coups qui les mènent à la mort ou à la sénilité.

Cet article a aussi été publié sur pieuvre.ca

Champion, du 26 janvier au 2 février 2019 à la salle Wilfried Pelletier de la Place des Arts.

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