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Vers une Charte de la laïcité au Québec

On dit souvent que la politique est devenue trop technique ou politicienne, qu'elle ne parvient plus à départager comme au bon vieux temps du clivage partisan. On a même annoncé la mort des idéologies. Pourtant, les batailles idéologiques existent toujours. Elles font et défont des camps. Même si elles sont parfois plus difficiles à repérer. Notamment quand il s'agit d'arbitrer le cadre commun pour faire société.
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On dit souvent que la politique est devenue trop technique ou politicienne, qu'elle ne parvient plus à départager comme au bon vieux temps du clivage partisan. On a même annoncé la mort des idéologies. Pourtant, les batailles idéologiques existent toujours. Elles font et défont des camps. Même si elles sont parfois plus difficiles à repérer. Notamment quand il s'agit d'arbitrer le cadre commun pour faire société. Il y a les tenants du multiculturalisme angélique, où l'appartenance à une communauté, une culture, une religion est sacralisée au point de parfois déroger à la loi commune. Les tenants, adverses, d'un identitarisme exacerbé, qui n'est jamais que le triomphe d'une communauté dominante sur les autres, plus minoritaires. Et puis ceux qui, à quelques réglages près, cherchent un chemin constructif et inclusif. Sans angélisme vis-à-vis du danger représenté par le communautarisme intégrisme, ni complaisance envers le repli identitaire xénophobe. Bien sûr, tout le monde vous dira qu'il fait partie de ce camp-là. C'est ce qui rend la lecture de cette bataille idéologique parfois si compliquée à décrypter.

Ne pas confondre "laïques" et "musulmanophobes"

Au Québec, où le débat sur la laïcité est vif, les opposants aux dérogations culturelles ou religieuses à la loi commune sont souvent accusés de ne pas accepter le multiculturel et même d'être racistes. Simplement parce qu'une série d'affaires ont profondément choqué les Québécois. Des cas de mariages forcés, de demandes de certificats de virginité, l'assassinat d'une jeune Ontarienne qui refusait de porter le voile, des juifs pratiquants demandant que l'on givre les fenêtres d'une salle de sport pour ne pas voir des femmes en tenues de gym, et bien d'autres.

Cette montée du communautarisme religieux revendiquant des "passe-droits", a abouti à ce que l'on a appelé la crise des "Accommodements raisonnables". Prévus au départ pour permettre aux femmes enceintes de ne pas être discriminées et bénéficier d'une certaine souplesse au travail, la pratique s'est transformée en petits arrangements avec la loi commune sous la pression de certaines communautés religieuses, juives ou musulmanes. On espérait que la commission Bouchard-Taylor, convoquée en 2006 pour mener des auditions et faire des propositions, éclaircisse la règle. Mais au lieu de réaffirmer simplement les droits et les devoirs de chacun, elle a surtout consisté à renvoyer toute inquiétude, même simplement laïque, à de la xénophobie. Quitte à laisser penser que les problèmes se régleraient d'eux-mêmes.

C'était sous le règne du Parti libéral, conservateur et tourné vers le modèle américain... Il a fini par perdre les élections au profit du Parti Québécois, plus social et tourné vers le modèle d'intégration à la française.

La Charte des valeurs du PQ

Peu après son élection, le gouvernement de Pauline Marois a proposé de modifier la Charte québécoise des droits et libertés de la personne pour encadrer les Accommodements raisonnables, prévoir "un devoir de réserve et de neutralité pour le personnel de l'État", "Prohiber le port des signes religieux ostentatoires par le personnel de l'État" et "rendre obligatoire le visage à découvert lorsqu'on donne ou reçoit un service de l'État".

Sitôt annoncé, le projet a soulevé un tollé parmi les tenants du multiculturalisme (non pas le multiculturel, mais cette politique d'accommodements avec la loi commune par respect des cultures et des religions). Les partisans de la Charte ont immédiatement été accusés de racisme. Ce qui n'est pas son esprit, même si on l'a présenté maladroitement comme une "Charte des valeurs". Un terme plus glissant que "laïcité" si l'on veut éviter la confusion avec une posture de domination identitaire.

Autre difficulté, contrairement à la France, le Québec n'est pas réellement laïc. Il existe par exemple toujours un crucifix trônant à l'Assemblée. Comment ne pas donner l'impression d'un "deux poids, deux mesures" si l'on prône la neutralité des signes ostentatoires -et donc l'interdiction du port du voile- par le personnel de l'État, mais qu'on laisse planer un crucifix sur la tête des députés? C'est la question qu'ont posée certains laïcs, partisans de cette Charte.

En réponse, le Parti Québécois prévoit de laisser les députés choisir s'ils veulent ou non enlever ce signe religieux, tout à fait ostentatoire, mais considéré comme patrimonial. Ce qui a peu de chance d'arriver et fragilise donc l'esprit de cette Charte.

Mais ce n'est pas ce qui gêne les tenants d'une vision accommodante du multiculturalisme.

Les opposants au projet

Charles Taylor, l'homme de la commission qui n'a rien réglé, est souvent cité comme l'un des théoriciens majeurs du multiculturalisme. Proche de la droite religieuse américaine (il a même reçu le Prix Templeton), il est ouvertement partisan des signes religieux dans l'espace public. Pour lui, ils ne posent aucun problème, même lorsque les sikhs revendiquent de conduire des motos sans casques. Car le turban fait partie de l'essence même de cette religion... À l'entendre, c'est donc à l'État et non à la religion de s'adapter.

Sa position "essentialiste" est très répandue au sein du monde académique canadien, qui s'est soulevé contre le projet. Au point de former une drôle d'alliance, allant d'ultras libéraux tournés vers le modèle américain à des intégristes musulmans, en passant par quelques communautaristes homosexuels. Tous d'accord pour faire passer la liberté de manifester son appartenance religieuse avant le principe de laïcité. Marc Tanguay du Parti libéral a même déclaré: "Les candidates libérales pourront porter le tchador au prochain scrutin".

Ce qui a achevé d'exaspérer une députée de culture musulmane de son parti. Fatima Houda Pépin vient de démissionner, en se disant sidérée de voir qu'un parti prônant les valeurs de liberté puisse soutenir le voile ou se commettre avec des intégristes contre cette Charte. La première manifestation organisée par le Collectif québécois contre l'islamophobie l'a été à l'initiative d'un imam voulant instaurer une Cour de Justice islamique. Ces excès ont fini par mobiliser en faveur de la Charte de la laïcité...

Vers une majorité pour la laïcité ?

Le projet est soutenu par des féministes d'origine algérienne comme Djemila Benhabib, qui a fui les islamistes pour vivre libre dans un pays comme le Québec. Mais le projet est également porté par de plus en plus de syndicats et d'organisations professionnelles, notamment dans le domaine de la santé et de l'éducation.

Confiante, Pauline Marois a convoqué des élections anticipées pour le 7 avril. Son pari politique s'est avéré payant. Grâce au débat sur la Charte, ses opposants du parti libéral se sont enfoncés dans leurs contradictions. Elle peut espérer élargir sa majorité... En vue de faire adopter la Charte et, qui sait, d'avancer vers un Québec plus indépendant. Le tout grâce à une bataille bien vivante sur la façon de faire société. Décidément, les idéologies ne sont pas mortes.

>Élections 2014: les nouvelles et les blogues du HuffPost sur la campagne.

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