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Les évènements de Cologne et le multiculturalisme

Les évènements de Cologne remettent-ils en question les politiques de multiculturalisme? Poser la question, c'est y répondre. Bien sûr que non et pour plusieurs raisons.
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Pendant la nuit de la St-Sylvestre, de nombreuses agressions sexuelles sont survenues contre des femmes impliquant apparemment des personnes d'origine arabe et aussi quelques Syriens. Les évènements de Cologne remettent-ils en question les politiques de multiculturalisme? Poser la question, c'est y répondre. Bien sûr que non et pour plusieurs raisons.

Tout d'abord, l'Allemagne ne pratique pas le multiculturalisme. Elle ne dispose pas d'une politique de ce genre et Angela Merkel, qui est l'instigatrice de l'accueil de plus d'un million de réfugiés syriens, a même ouvertement critiqué (à tort et à travers) cette politique.

Ensuite, on peut se poser la question: Qui sont les agresseurs? Des «étrangers»? Si la plupart sont des sans-papiers ou des individus dont le statut n'est pas régularisé et donc des personnes non citoyennes, est-ce que le multiculturalisme est en cause? Bien sûr que non. Sur les dizaines de milliers de personnes immigrantes que l'Allemagne accueille, il y a comme dans chaque société des personnages odieux. Ce qui explique ces agressions, ce n'est pas l'origine ethnique, mais plutôt le caractère odieux de certaines personnes.

Les anti-multiculturalistes ont beau jeu de se servir des agressions contre les femmes pour justifier leur position, mais la violence contre les femmes existe aussi dans notre société. Sous le couvert d'une préoccupation envers les femmes, ils s'attaquent à des étrangers et occultent la violence faite aux femmes au sein de notre propre société.

Bien sûr, quand ils s'enflamment, ils s'empressent de préciser qu'ils ne visent pas tous les immigrants, mais cela ne change rien au caractère problématique de la stigmatisation qu'ils effectuent. Car pour justifier cette propension qu'ils ont de pointer du doigt ceux que l'on accueille, selon eux, avec de trop grands bras ouverts, ils brandissent haut et fort nos valeurs: celle de l'égalité entre les hommes et les femmes et, ce faisant, ils absolvent tous les membres de la communauté d'accueil, alors que, comme chacun sait, la violence verbale, le harcèlement, les agressions physiques, l'abus et le viol sont monnaie courante dans nos propres sociétés. Comme l'a fait remarquer Alexa Conradi, nous devrions être un peu plus humbles au lieu de nous croire investis d'une moralité supérieure. Notre machisme patriarcal fait une rude compétition aux machismes des «étrangers».

L'accueil des réfugiés n'est-il pas lié à la politique de multiculturalisme? Bien sûr que non. L'obligation d'accueillir des réfugiés existait avant même que des politiques de multiculturalisme soient mises en place. 147 États sont parties prenantes de la Convention relative au statut des réfugiés de 1951.

Cet accueil des réfugiés, n'est-il pas une négation de notre propre identité nationale? La politique de multiculturalisme n'est-elle pas une politique visant à renverser l'obligation de s'intégrer? Au lieu d'imposer un devoir d'intégration aux immigrants, on demanderait aux membres de la communauté d'accueil de s'adapter aux personnes issues de l'immigration? Bien sûr que non. C'est en fait tout le contraire, autant en théorie qu'en pratique. La théorie du multiculturalisme de Will Kymlicka, par exemple, envisage le multiculturalisme comme un instrument dont l'objectif essentiel et premier est d'assurer l'intégration des nouveaux arrivants. Le même objectif est présent dans les politiques effectives. La politique canadienne du multiculturalisme est elle aussi un instrument d'intégration.

Les anti-multiculturalistes qui se servent des évènements de Cologne pour étaler leur rhétorique abusive se trompent donc radicalement sur toute la ligne: autant dans la compréhension des évènements que dans leur compréhension du multiculturalisme, pour ne pas parler de leur féminisme de pacotille. Ces anti-multiculturalistes ne défendent pas le féminisme. Ils défendent un féminisme de circonstance, un féminisme instumentalisé, un féminisme sélectif.

Ainsi que l'a fait remarquer Aurélie Lanctôt sur les réseaux sociaux, «Nous ne «manquons pas à l'appel», nous ne sommes ni plus, ni moins présentes que d'habitude. La différence étant cependant que vous ne nous écoutez que lorsque nous servons votre agenda.»

D'où provient cette crispation anti-multicultiraliste alors? En plus de l'influence française qui procède du républicanisme jacobin et qui, à bien des égards reste encore braquée dans le refus de reconnaître la spécificité culturelle minoritaire sur son propre territoire, il y a aussi le fait que, depuis le 11 septembre 2001, la montée de l'islamophobie se sert de n'importe quelle occasion pour s'exprimer et se manifester. La critique des politiques de pluralisme culturel, dans le contexte international, sert depuis 2001 à justifier le repli identitaire et à entretenir la peur de l'autre. Et l'Autre est symbolisé par l'Arabe, le musulman, le basané, le Maghrébin.

Il ne faut certes pas être trop complaisant à l'égard de la politique canadienne de multiculturalisme. Elle fut mise en place pour ne pas avoir à reconnaître le peuple québécois. Elle sert bien les impératifs de construction nationale canadienne aussi parce qu'elle a été une façon d'attirer les immigrants dans le but de peupler davantage le Canada. Elle est une politique qui ne devrait pas s'appliquer telle quelle au Québec. Il vaut mieux adopter au Québec une politique d'interculturalisme qui suppose explicitement l'obligation d'intégration linguistique des immigrants à la communauté d'accueil, alors qu'ailleurs au Canada, cette obligation d'intégration s'exprime dans la loi de la citoyenneté en vertu de laquelle il faut, pour être citoyen canadien, manifester des aptitudes à parler français ou anglais.

Bref, soyons nuancés. Peut-on espérer une atténuation de la part de ceux qui vocifèrent sans cesse sur la place publique leur récrimination à l'endroit du multiculturalisme, alors que la France, qui récuse depuis toujours ce modèle, fait face à des problèmes d'intégration qui aboutissent au gâchis le plus total?

Qui est contre les politiques de pluralisme culturel au Québec? La reconnaissance des peuples autochtones doit-elle être rejetée? Bien sûr que non. La reconnaissance des droits consacrés de la minorité anglophone doit-elle être abandonnée? Bien sûr que non. Or, la reconnaissance des communautés issues de l'immigration sous la forme d'une politique d'interculturalisme va dans le même sens. En vertu de cette politique, la reconnaissance des particularismes identitaires linguistiques, institutionnels et patrimoniaux des communautés issues de l'immigration va de pair avec une obligation d'intégration à la communauté d'accueil.

Comment expliquer cette fixation anti-multiculturaliste qui s'est emparée de certains intellectuels et politiciens québécois? En plus de l'influence du modèle français, du ressentiment à l'égard de la politique de multiculturalisme dans sa version canadienne et des évènements qui se sont inscrits dans la foulée du 11 septembre 2001, il y a le repli identitaire qui cherche ses repères dans la vieille France traditionnelle ou dans le Québec des francophones de souche, vanté par les promoteurs décomplexés d'une droite carburant au national-populisme.

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