Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Québec, qui a fermé ses portes en 2021.

Commerce équitable et autonomisation des femmes Wayuu en Colombie

L'apprentissage du tissage par la femme est une conditionde l'appartenance au corps social et fait l'objet d'une transmission toute particulière.
This post was published on the now-closed HuffPost Contributor platform. Contributors control their own work and posted freely to our site. If you need to flag this entry as abusive, send us an email.

Ce billet du blogue Un seul monde, une initiative de l'AQOCI et du CIRDIS, a été écrit par Marlyatou Dosso, étudiante au DESS en gestion et développement durable à HEC et stagiaire à FEM International.

Selon la légende Wayuu, peuple vivant à la frontière de la Colombie et du Venezuela, l'art de tisser et de vivre du tissage aurait été transmis par une araignée-entrepreneure. Véritable art de vie, le tissage est un trait d'union, retranscrivant à travers les motifs complexes (kanaas) le « aujourd'hui », le quotidien, et le « hier », les traditions.

« Le travail de tisserande est un des plus valorisés. C'est un des marqueurs de l'identité́ culturelle et on estime dans la Guajira [province colombienne] qu'une femme qui ne sait pas tisser n'est pas une femme Wayuu ».

Conséquemment, l'apprentissage du tissage par la femme est une condition sine qua non de l'appartenance au corps social et fait l'objet d'une transmission toute particulière. C'est en effet lors du rite d'initiation de l'adolescente à l'âge adulte que s'opère le transfert intergénérationnel de l'art de tisser.

L'impulsion du tourisme et l'accroissement de la demande pour les produits artisanaux dans les marchés occidentaux ont transformé en profondeur la pratique du tissage. Aujourd'hui, ce n'est pas moins de 3 000 femmes Wayuu qui tirent principalement leurs revenus de cette activité.

Cependant, l'intégration sur le marché mondial conventionnel ne se fait pas sans conséquence. Les artisanes, devant se plier aux exigences de productivité et de compétitivité, en viennent progressivement à perdre l'authenticité, pourtant à la source de leur succès.

Les effets pervers de la commercialisation traditionnelle

Des années durant, toutes sortes d'intermédiaires dominaient le marché de l'artisanat Wayuu : acheteurs occasionnels ou réguliers, revendeurs, grandes entreprises exportatrices impartissant leurs productions auprès des tisserandes, etc.

Unique point de contact entre les artisanes et les consommateurs, l'intermédiaire se positionne alors comme détenteur de l'information et dépositaire du savoir-faire. Il devient à la fois le marché et le client. Cette position monopolistique lui permet non seulement d'établir les politiques de prix, tant auprès des artisanes que des consommateurs, mais aussi de s'approprier la création de la valeur ajoutée.

Par ailleurs, en ayant la mainmise sur l'ensemble de la chaîne de distribution, l'intermédiaire rend en quelque sorte les tisserandes « invisibles ». D'une part, en s'imposant comme unique interlocuteur, l'intermédiaire ostracise davantage les artisanes. D'autre part, il centralise et conserve toutes les informations clés du marché (taille, potentiel, acheteur type), maintenant ainsi les tisserandes dans une relation de dépendance.

La relation avec l'intermédiaire est également à tout point aléatoire, et n'offre que très peu d'assurance de stabilité aux tisserandes. Répondant au marché saisonnier du tourisme, les demandes peuvent affluer ou se raréfier. Dans le premier cas, les tisserandes sont soumises à un impératif de productivité et de compétitivité qui, tout en dénaturant l'essence artisanale, impose des conditions de travail abusives. Dans le second, elles sont laissées sans travail ni revenus.

Régi par les règles du marché, il va sans dire que ce type de commerce est profondément inégalitaire et précarisant. Profitant du manque de connaissances et de la vulnérabilité des femmes artisanes, le marché conventionnel (re)produit un rapport de domination et ne permet pas à ces dernières de sortir de l'économie de subsistance.

L'approche alternative : création d'un cercle vertueux

L'approche alternative à la commercialisation s'ancre dans le commerce équitable et l'entrepreneuriat social et vise aussi bien l'efficience sur le plan de la rentabilité que la poursuite d'objectifs de durabilité sociale et environnementale. Trois principes fondamentaux sous-tendent cette approche : le développement économique, le progrès social et la préservation de l'environnement.

L'autonomisation est l'aspect fondamental du développement économique. Dans le contexte de la commercialisation, cela se manifeste par l'élimination des différents paliers d'intermédiaires et l'accroissement du contrôle des artisanes de la production à la distribution. De cela découlent trois principaux bienfaits :

  1. L'établissement du lien jusque-là inexistant entre les artisanes et les consommateurs, qui permet aux premières de connaître leur marché, et aux seconds d'acheter un produit plus authentique et éthique ;

  2. L'accroissement des connaissances du marché, qui place les tisserandes à l'abri de la dégradation de la valeur de leurs créations et des pertes subséquentes en limitant la surproduction artisanale ;
  3. L'établissement de prix plus justes pour tous et toutes, déjouant ainsi l'expropriation des producteurs et des consommateurs par les intermédiaires qui achètent aux premiers à moindre coût pour revendre aux seconds à prix forts.

C'est dans le souci de stimuler le progrès social et de sensibiliser aux problématiques environnementales que FEM International a institué, en partenariat avec le SENA (organisme gouvernemental colombien de soutien à la formation technique et professionnelle), un projet d'accès au marché équitable pour l'artisanat Wayuu.

Il va sans dire que la durabilité de l'artisanat Wayuu dépend du renforcement des connaissances entrepreneuriales et environnementales, et du maintien de l'attractivité du métier de tisserande. À cet effet, c'est plus de 300 artisanes Wayuu qui suivront une série de formations dans le cadre de ce projet, et qui porteront à terme les valeurs de développement durable et de préservation-valorisation du savoir-faire dans leur communauté.

Ces deux volets du projet sont d'autant plus importants que les conséquences du manque d'action sont déjà visibles. D'une part, La Guajira connaît depuis quelques années une sécheresse ayant des effets dévastateurs et les enfants en sont les premières victimes. D'autre part, la nouvelle génération délaisse progressivement l'activité du tissage en raison du peu de débouchés.

L'accès au marché équitable permet d'améliorer la situation économique et la qualité de vie des tisserandes Wayuu et de leurs communautés, tout en pérennisant une richesse culturelle. Mais la synergie des efforts des acteurs locaux et globaux et l'avènement d'un consommateur responsable, un « consom'acteur », sont également essentiels.

N'hésitez pas à contacter Charles Saliba-Couture, fondateur et coordonnateur du blogue Un seul monde, pour en savoir davantage sur le blogue ou connaître le processus de soumission d'articles. Les articles publiés ne reflètent pas nécessairement les points de vue de l'AQOCI, du CIRDIS ainsi que de leurs membres et partenaires respectifs.

> Lire d'autres articles du blogue Un seul monde

> Suivre le blogue Un seul monde sur Facebook

VOIR AUSSI SUR LE HUFFPOST:

Mai 2017

Les billets de blogue les plus lus sur le HuffPost

Close
Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Canada, qui ont fermé en 2021. Si vous avez des questions ou des préoccupations, veuillez consulter notre FAQ ou contacter support@huffpost.com.