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Le commerce équitable, ça marche, mais ce n'est pas suffisant

Les consommateurs équitables ne sont pas tous conscients du geste politique qu'ils posent. Éduquer sur les effets pervers de la mondialisation, ça prend du temps et les ressources pour le faire sont beaucoup moins importantes que les budgets de publicité des entreprises multinationales.
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Ce billet est une réponse au blogue de François Doyon, Commerce équitable: une fourberie pour enrichir les riches.

M. Doyon,

Je suis praticien du commerce équitable depuis 14 ans. J'ai dirigé des entreprises de commerce équitable et je m'implique maintenant bénévolement dans l'Association québécoise du commerce équitable. Cette organisation regroupe des entreprises, des organisations non gouvernementales et des citoyens avec pour objectifs de soutenir la commercialisation des produits issus du commerce équitable et d'éduquer à ce que ce commerce tente de réparer.

J'ai lu votre texte argumentatif et je me suis retrouvé rapidement dans un pays que j'ai quitté il y a longtemps, la Théorie.

En Théorie, le marché va tout régler. En Théorie, il n'y a pas de subventions et les agriculteurs de tous les pays sont égaux. En Théorie, tous les problèmes de concentration de la richesse dans des marchés où des firmes dominantes dictent les règles seront résolus par l'innovation et la déréglementation. En Théorie, le respect de l'environnement et des travailleuses est comptabilisable comme des boulons et toutes les entreprises y prêtent attention.

Dans la vraie vie M. Doyon, tout est politique. Dans la vraie vie M. Doyon, tout est complexe. Le déséquilibre des richesses entre le Nord et le Sud est un problème politique complexe. À un problème politique complexe, il n'y a pas qu'une seule solution. Il y a DES solutions.

Prenons un exemple que vous connaissez: la lutte aux changements climatiques. Cet enjeu capital de nos sociétés humaines demande une réponse politique internationale coordonnée. Cela fait-il des initiatives provinciales de réduction des émissions de gaz à effet de serre des coups d'épée dans l'eau? La volonté d'entreprises innovantes de réduire leur empreinte carbone devient-elle totalement inutile? Évidemment, non. Car en attendant les grands changements politiques, un mouvement, ça se construit pierre par pierre. C'est à ça que s'applique le commerce équitable.

À l'Association québécoise du commerce équitable, dont Équiterre par ailleurs fait partie, nous ne sommes pas naïfs, le commerce équitable n'est pas la panacée. Le commerce équitable n'a pas non plus le pouvoir hautement nocif que vous lui attribuez de transformer les pauvres petits agriculteurs en zombies attendant l'aumône de consommateurs bobos ou hipsters qui s'achètent une bonne conscience.

Docteur en philosophie, je me serais attendu à ce que vous sachiez distinguer théorie et pratique. Le commerce équitable pratiqué au quotidien par des milliers de Québécoises et Québécois grâce à des entreprises engagées québécoises ne transformera pas le déséquilibre des échanges commerciaux internationaux dont vous parlez.

«Les consommateurs équitables ne sont pas tous conscients du geste politique qu'ils posent.»

Ce commerce équitable qui a pris forme il y a plus de 30 ans est un geste concret qui unit des millions de consommateurs à des millions de producteurs et leurs familles que des océans et des frontières séparent. Ce geste humble veut dire que ce n'est pas que le prix qui compte. Que les bonnes conditions de travail et le respect de la nature sont des considérations aussi valables que le prix ou la quantité. Mme Duquet de Mercier Ouest, comme Monsieur Wari de Côte-des-Neiges peuvent se payer un café équitable, car ils ont exercé leur pouvoir d'achat en toute liberté. Dans ce cas, leur geste d'achat est un «vote» pour un monde plus juste.

Ce commerce équitable génère de véritables bienfaits et ce, pour des millions de producteurs. Vous citez la part infime des achats qui revient au producteur. En Théorie, je suis sûr que le producteur d'Afrique capte 50% du prix payé par le client final. En réalité, rien n'est plus faux. Par contre, en réalité, lorsque le producteur peut compter sur des entreprises de commerce équitable pour acheter régulièrement une partie de sa production, le complément de revenus et la confiance apportés sont des impacts positifs concrets. Récemment, un rapport étoffé d'Équiterre mettait en lumière les bienfaits du commerce équitable, tout comme ses limites d'ailleurs.

Les consommateurs équitables ne sont pas tous conscients du geste politique qu'ils posent. Éduquer sur les effets pervers de la mondialisation, ça prend du temps et les ressources pour le faire sont beaucoup moins importantes que les budgets de publicité des entreprises multinationales.

Pour régler un problème complexe, les solutions sont multiples: économiques, sociales, politiques, commerciales, culturelles. Elles sont déployées sur le court terme, le moyen terme et, éventuellement, à un niveau systémique. Le commerce équitable est une solution qui, comme toute mesure concrète de lutte à la pauvreté et aux inégalités, ne peut être envisagée seule.

Nous serons des milliers au Forum social mondial du 9 au 14 août, au centre-ville de Montréal, je vous invite : sortez de votre Théorie et découvrez ce que des milliers de personnes font en attendant que la politique s'occupe d'eux.

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Mai 2017

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