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Commerces vacants: quand la spéculation tue le commerce

Pourquoi des affiches «À louer» prennent-elles la poussière depuis des mois ou des années sur certaines artères?

L’économie roule à fond, le taux de chômage atteint des planchers historiques, le marché immobilier surchauffe, bref tout va bien à Montréal… si ce n’est des artères commerciales qui semblent vouloir raconter une autre histoire. Un peu partout, les locaux vacants pointent leur nez au milieu de rues autrement grouillantes de vie.

Dans les vitrines de certains commerces, des affiches À louer prennent la poussière depuis des mois ou des années, alors que d’autres ne semblent même pas chercher de locataire. Que se passe-t-il avec nos artères commerciales?

Tout d’abord, insiste Caroline Tessier, directrice générale de l’Association des Sociétés de développement commercial de Montréal (ASDC), la situation des commerces vacants Montréal n’est pas aussi mauvaise que l’état de certaines artères - quelqu’un a dit rue Saint-Denis? - peut le laisser croire.

«Le taux d’inoccupation moyen à Montréal se situe entre 9% et 10%. C’est assez stable. Certaines artères voient leur achalandage diminuer alors qu’il augmente pour d’autres.»

Et quand on se compare, on se console, renchérit Glenn Castanheira, consultant en planification et développement commercial chez Brique & Mortier, pour qui un taux d’inoccupation normal dans le commercial se situe entre 3% et 4%: «À Laval, le taux d’inoccupation est de 30%. À Sherbrooke, c’est 20%.»

Ce qui ne veut pas dire que la situation du commerce de détail à Montréal ne soit pas inquiétante, met en garde M. Castanheira. «Quand on marche sur une rue et qu’on voit un commerce vide, on ne voit que ce commerce vide, même s’il n’y en a qu’un sur dix. Ça donne l’impression d’une artère dévitalisée».

Changement des habitudes de consommation

Internet est souvent pointé du doigt pour expliquer la baisse parfois massive d’achalandage que vivent certaines artères commerciales. Sans renier l’impact du commerce en ligne, Jean-Philippe Meloche, professeur à l’école d’urbanisme et d’architecture de paysage de l’Université de Montréal, attribue davantage les déboires des grandes artères centrales à une «redistribution dans l’espace des espaces commerciaux».

Si, historiquement on convergeait vers le centre-ville pour magasiner, assister à un spectacle ou boire et manger, le développement d’une offre commerciale de qualité dans les banlieues de Montréal (DIX30, Place Bell à Laval) et les quartiers périphériques (rue Wellington, promenade Masson, rue Jarry, etc.) a rendu de moins en moins nécessaires ces déplacements. Et «ces transformations vont continuer dans les prochaines années», prévient Jean-Philippe Meloche.

Pour Caroline Tessier, il est de plus en plus difficile pour les commerçants de tirer un profit de leur activité. «Les loyers, les taxes, les salaires, les coûts augmentent, mais l’achalandage ne monte pas lui», s’exaspère la directrice générale de l’ASDC.

“Les entreprises qui coûtent cher à la société devraient payer plus que celles qui ne coûtent pas cher.”

- Caroline Tessier, directrice générale de l'ASDC

Année après année, les taxes foncières municipales demeurent en tête des principales doléances des commerçants montréalais. Selon une étude réalisée pour le compte de l’Institut de développement urbain du Québec, le taux de taxation des locaux commerciaux était près de quatre fois plus élevé que le taux résidentiel en 2018. Les commerçants ont ainsi payé la moitié des taxes foncières de la ville en 2018, alors qu’ils n’ont utilisé que le quart des services, conclut l’étude.

De plus, victime du succès économique de la métropole, les taxes ne cessent d’augmenter, en accord avec l’augmentation foncière. La rue Sainte-Catherine, la plus touchée, a vu la moyenne de ses taxes foncières augmenter de 34% entre 2016 et 2019, selon l’étude. Et puisque les propriétaires refilent souvent le paiement des taxes municipales à leur locataire commercial, ce sont ces derniers qui encaissent le choc… et ferment parfois.

«Il y a aussi un déséquilibre à l’intérieur du secteur commercial lui-même, ajoute Caroline Tessier. La grosse entreprise (Walmart et compagnie) installée en périphérie paiera des taxes moins élevées [qu’un commerçant installé sur une artère commerciale] pour un commerce qui utilise pas mal de services, de grands stationnements, demandent l’utilisation de la voiture, etc. [...] Les entreprises qui coûtent cher à la société devraient payer plus que celles qui ne coûtent pas cher.»

«Une boîte de Pandore»

Citant entre autres la rigidité du zonage, la spéculation immobilière, l’absence de loi pour encadrer les baux commerciaux et le nombre élevé d’espaces commerciaux disponibles, les experts sondés s’entendent pour dire que les problèmes sont multiples et qu’il n’existe aucune solution magique pour régler le problème des commerces vacants à Montréal.

«Peu importe ce qu’on fait [pour s’attaquer au problème], c’est une boîte de Pandore qu’on ouvre. Il faut une solution sur plusieurs fronts. En ce moment, il n’y a pas de vision, de stratégie d’ensemble. C’est un peu n’importe quoi qui se fait», explique Caroline Tessier.

En vidéo: Comment régler le problème?

Il n’existe présentement aucune stratégie globale de développement commerciale dans la région de Montréal ni aucun organisme qui supervise le développement commercial.

La venue du projet Royalmount est une des conséquences de cette absence de vision de stratégie d’ensemble. La municipalité de Ville de Mont-Royal, qui représente 1% de la population de l’île, vient à elle seule d’autoriser ce projet immobilier monstre qui s’ajoutera à un marché métropolitain que plusieurs considèrent déjà saturé.

«Il faut commencer à faire une planification commerciale, en hiérarchisant les besoins», analyse Glenn Castanheira, en prenant l’exemple de l’Allemagne où «la loi interdit le développement de nouveaux pôles commerciaux si cela va nuire aux pôles existants».

Du côté de la Ville de Montréal, la Commission sur le développement économique et urbain et l’habitation a été chargée d’étudier la question des commerces vacants et d’explorer les différentes pistes de solution. Espérons que l’exercice portera ses fruits.

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