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Commission Charbonneau: « J'avais peur de gâcher l'emploi que j'aimais », dit l'ex-DG de Laval

Commission Charbonneau: « J'avais peur de gâcher l'emploi que j'aimais », dit l'ex-DG de Laval
Capture d'écran

Claude Asselin admet que l'ex-maire de Laval Gilles Vaillancourt lui a demandé à de multiples reprises de s'arranger pour que des contrats lancés en appels d'offres aboutissent entre les mains des entrepreneurs qu'il avait choisis. Il soutient n'avoir sinon jamais été témoin de cas de collusion entre firmes de génie et se défend d'avoir fait de l'aveuglement volontaire.

Un texte de Bernard Leduc

Les travaux de la commission sont ajournés jusqu'au 3 septembre prochain. Mais les enquêtes, elles, se poursuivent...

L'ex-directeur général de la Ville de Laval (1988-2006) a expliqué que le maire faisait toujours sa demande lors de rencontres en tête-à-tête dans son bureau de l'hôtel de ville, à l'image de sa première demande en 1996-1997.

Il la transmettait alors verbalement au directeur du service de l'ingénierie Claude Deguise : « J'ai eu une demande de monsieur le maire pour un tel projet, vois si c'est possible... »

M. Asselin soutient que M. Deguise ne lui a jamais expliqué comment il se débrouillait pour truquer les appels d'offres et qu'il a appris quelle était sa méthode en écoutant la commission Charbonneau. Lui-même dit qu'il n'a jamais cherché à savoir et que ni le maire ni M. Deguise ne discutaient davantage de ces demandes avec lui, ou de leur résultat.

Il ne croit pas qu'il aurait perdu son emploi s'il avait refusé les demandes du maire mais, ajoute-t-il : « J'avais peur de gâcher l'emploi que j'aimais ».

MM. Asselin, Deguise et Vaillancourt sont aujourd'hui accusés de gangstérisme.

L'ex-directeur général de la Ville précise que la fréquence des demandes variait dans le temps, parfois trois une année, dix la suivante, aucune en 2005. « Par rapport au nombre total de contrats de Laval, c'était une fraction », a-t-il plaidé.

Il estime que c'est lorsque la Ville lançait moins d'appels d'offres que le maire intervenait pour orienter leur octroi, tandis que dans les périodes d'abondance, tous les entrepreneurs de Laval y trouvaient leur compte. Tous les contrats, a-t-il tenu à préciser, n'étaient donc pas truqués.

« D'après moi, c'est toutes les entreprises qui ont fait affaire à Laval, à un moment ou à un autre [...] une quinzaine d'entreprises », qui ont bénéficié de contrats truqués, soutient M. Asselin.

Celles qui en ont le plus profité sont Simard Beaudry et Poly- Excavation, sinon Sintra, Nepcon, Valmont-Nadon, Louisbourg, Jocelyn Dufresne Inc., J. Dufresne Asphlate, Timberstone, Giuliani,... soit toutes des entreprises visées par l'UPAC dans le cadre de l'opération Honorer (voir tableau ci-dessous)

« D'après moi, le comité exécutif ignorait tout de ça », a avancé M. Asselin. Les rencontres avec le maire se déroulaient toujours après des séances du comité exécutif où le lancement d'appels d'offres avait été autorisé.

Selon Claude Asselin, jamais le représentant d'une firme de génie ni un entrepreneur en construction n'a discuté de contrats en sa présence et celle du maire.

Asselin estime que la lutte contre la collusion ne faisait pas partie de ses fonctions

Claude Asselin dit n'avoir jamais entendu parler de collusion entre firmes de génie après l'entrée en vigueur de la loi 106, en 2002, alors que les contrats de plus de 25 000 $ étaient désormais octroyés en appel d'offres et non plus de gré à gré.

« Peut-être ça s'est fait, mais ça ne passait pas par mon bureau. » — Claude Asselin

Le procureur Paul Crépeau a alors confronté l'ex-directeur général à des dizaines de contrats accordés par la Ville en 2001, 2004 et 2005 à des entrepreneurs dans le cadre du programme de conservation des chaussées, soit tant avant qu'après l'adoption de la loi 106.

Me Crépeau a d'abord exposé que c'est la firme CIMA+ qui, à tout coup, était choisie par la Ville pour faire l'estimation des travaux.

Surtout, il apparaît, selon les tableaux présentés par la commission, que le plus bas soumissionnaire conforme pour ces contrats de réfection parvenait toujours à soumissionner tout près de l'estimé préparé par CIMA+, tant avant qu'après la loi 106. Le procureur a même mis en relief un cas, en 2004, où Sintra l'avait emporté avec une soumission à 83 cents près de l'estimé.

Le procureur fait l'hypothèse que la variation minime entre le coût estimé et le coût accordé indique que la firme transmettait à l'entrepreneur son estimé pour faire sa soumission, et qu'il y avait donc collusion.

Claude Asselin admet qu'à la vue de ces tableaux, « on peut penser qu'il y a eu collusion », tout en réitérant qu'il n'a pas participé à ça.

Il insiste cependant sur le fait qu'il est, selon lui, normal que les soumissions des entrepreneurs soient proches de l'estimé. Il affirme en outre n'avoir jamais procédé à de telles comparaisons entre contrats, et n'avoir donc jamais été confronté à ces coïncidences troublantes qu'illustrent les tableaux.

En fait, a-t-il dit à plusieurs reprises, ce n'était pas « son rôle », en tant que directeur général, de s'attaquer à la collusion, sinon à tenter d'en déceler l'existence.

Asselin se défend d'avoir fait de l'aveuglement volontaire

Le procureur Crépeau s'est plutôt montré surpris qu'il n'ait jamais pensé que les ingénieurs parlaient aux entrepreneurs, alors que lui-même jouait un rôle semblable entre le maire et Claude Deguise pour favoriser des entrepreneurs.

Il lui a tout aussi fait remarquer qu'il a lui-même dit avoir chaque fois indiqué à M. Deguise, lorsqu'il lui demandait de truquer un contrat pour un entrepreneur, de s'assurer que le budget ne soit pas dépassé, ce qui est plus facile à réussir lorsque l'entrepreneur a en main l'estimé de l'ingénieur.

L'ex-directeur général se défend d'avoir fait de l'aveuglement volontaire. « C'est une question de contexte », a-t-il soutenu, expliquant qu'il aurait peut-être été plus vigilant si l'escouade Marteau avait alors existé. Mais il reconnaît n'avoir rien fait pour arrêter quoi que ce soit.

« Je n'ai pas de raison de penser que les prix » étaient plus élevés qu'ailleurs à cause de la collusion, soutient-il : « ce n'était pas évident ».

Plusieurs témoins ont admis à la commission que Claude Deguise s'occupait de partager les contrats entre entrepreneurs et firmes de génie, contre ristourne de 2 %, après 2002.

M. Asselin a incidemment nié avoir rencontré Roger Desbois en 2002 pour lui demander de prendre en charge la collecte des ristournes auprès des firmes d'ingénieurs collusionnaires, comme ce dernier l'a soutenu devant la commission. L'ex-dirigeant de Tecsult avait alors dit que M. Asselin l'avait alors averti que s'il refusait de jouer le jeu comme Marc Gendron, sa firme, qui jusqu'ici obtenait 25 % des contrats de la Ville, pourrait voir ce pourcentage diminuer à 15 %.

L'ex-directeur général avait expliqué hier qu'avant l'adoption de la loi 106, le maire pouvait en toute légalité partager à sa guise les contrats entre firmes de génie, ce qu'il ne se privait pas de faire. M. Asselin transmettait les choix du maire au directeur de l'ingénierie pour qu'il s'assure de la mise en oeuvre du partage, soit Claude Deguise à partir de 1997.

Le maire, dit-il, ne lui a rien demandé du genre après la loi 106, tout en reconnaissant avoir eu, à quatre reprises, des demandes de Gilles Vaillancourt pour qu'une firme précise soit choisie pour des contrats en maîtrise d'oeuvre privée (MOP).

Le malaise de Turbide...

Claude Asselin s'est dit surpris d'apprendre, de la bouche du procureur Paul Crépeau, que son successeur à la direction générale, Gaétan Turbide, avait renvoyé Claude Deguise. Il nie tout autant être intervenu auprès de M. Turbide, à la demande de Tony Accurso ou du maire Vaillancourt, pour qu'il le maintienne en poste, à l'hiver 2007.

Le procureur avance aussi que Gaétan Turbide, l'adjoint de M. Asselin de 2004 à 2006, se serait plaint que M. Deguise, son subordonné, refuse de le rencontrer alors qu'eux se rencontraient en tête-à-tête, à porte fermée, mais M. Asselin dit ne pas se souvenir de ça.

Il a par ailleurs fait l'apologie de M. Deguise, que plusieurs témoins ont décrit comme ayant mauvais caractère, à l'origine d'un climat de travail tendu dans son département. Il se peut qu'il y ait eu « des tensions », concède Asselin. Il dit sinon qu'il n'a jamais remarqué que Me Deguise recevait un nombre élevé de visites d'entrepreneurs, ou encore que M. Turbide s'en soit plaint.

Claude Asselin a affirmé lundi qu'il avait demandé dès 1996 ou 1997 au directeur de l'ingénierie de la Ville, Claude Deguise, à la demande de Gilles Vaillancourt, de truquer un appel d'offres public afin qu'un entrepreneur en construction que voulait favoriser le maire l'emporte.

Asselin, ami d'Accurso

Claude Asselin a par ailleurs dit qu'il considérait l'entrepreneur en construction Tony Accurso comme un ami. Il a admis qu'il avait déjà mangé « quelques fois » avec lui au restaurant, en présence de leur conjointe, et qu'il avait même fait un voyage avec lui aux îles Vierge, sur un bateau qu'ils avaient loué.

Il a d'ailleurs souligné que sa conjointe et celle de M. Accurso étaient toutes deux homéopathes, et que son fils avait déjà travaillé pour l'une de ses compagnies, qu'il avait des travaux de jardinage à la résidence d'été de l'entrepreneur, où il a d'ailleurs déjà habité pour l'occasion.

Claude Asselin a aussi dit qu'il était un ami de l'entrepreneur et promoteur immobilier Valmont Nadon.

Le procureur Paul Crépeau a d'ailleurs posé plusieurs aux questions au sujet du contrat « excessivement payant » que l'entrepreneur Nadon a obtenu pour exploiter la carrière Lagacé, aussi connue sous le nom de carré Laval », mais le témoin ne s'est pas compromis à ce sujet.

Claude Asselin a affirmé n'avoir jamais obtenus de cadeaux ou bénéficié d'avantages indus entre 1997 et 2006, sinon des cadeaux de courtoisie, comme des bouteilles de vin, des livres. Mais, précise-t-il : « pas des grosses affaires, pas d'argent ». Il ne se souvient pas avoir eu de cadeaux de Paolo Catania, précisément.

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