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Peut-on à la fois conserver les forêts tropicales et lutter contre la pauvreté?

Comment réussir à concilier la lutte contre la déforestation et l'amélioration des conditions de vie des populations? Cette question est l'une des problématiques principales de ma thèse.
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Ce billet a été publié dans le cadre de l'opération Têtes Chercheuses du HuffPost France, qui permet à des étudiants ou chercheurs de grandes écoles, d'universités ou de centres de recherche partenaires de promouvoir des projets innovants en les rendant accessibles, et ainsi participer au débat public.

Comment réussir à concilier la lutte contre la déforestation et l'amélioration des conditions de vie des populations? Cette question est l'une des problématiques principales de ma thèse. Les forêts tropicales ont en effet ceci de particulier qu'elles se trouvent dans les régions les plus pauvres du monde, et qu'elles sont utilisées -et dégradées- pour les besoins quotidiens de milliers de gens. Comment alors faire en sorte de les protéger sans appauvrir un peu plus ces populations? Mon travail de recherche essaye d'apporter des réponses à cette question.

Interdire n'est pas guérir

Au fil du temps, différents programmes ont été développés pour protéger la forêt tropicale. Jusque dans les années 1970-1980, les États cherchaient surtout à exclure les populations des zones qu'il fallait protéger. Ensuite, on a créé des aires protégées moins strictes, avec des endroits où les familles pouvaient continuer à vivre, à cultiver, ou à collecter du bois pour faire la cuisine.

Cette nouvelle génération d'aires protégées ne permet cependant pas d'apporter des solutions alternatives aux pratiques de déforestation. Dans mon pays d'étude, à Madagascar, les paysans qui vivent en forêt pratiquent l'agriculture d'abattis brûlis, qui consiste à défricher une parcelle de forêt, mettre le feu à la végétation abattue pour fertiliser le sol, et planter du riz. Au bout d'un an ou deux, la fertilité du sol est épuisée, et ils doivent défricher une nouvelle parcelle ; l'ancienne parcelle devient une jachère où la forêt repousse, et qui pourra être ré-exploitée quelques années plus tard. Cette pratique est très efficace lorsque les paysans n'ont pas accès aux moyens de l'agriculture moderne, notamment les engrais.

Marcel Mazoyer, l'abbatis brûlis, une des premières formes d'agriculture:

Le principal problème que j'ai pu constaté à Madagascar c'est l'accroissement démographique : au fur et à mesure qu'il y a de nouveaux venus, le nombre de parcelles à défricher augmente, et les zones prévues pour l'agriculture deviennent insuffisantes.

Famille de paysans malgaches dans la forêt de Beampingaratsy (Sud est de Madagascar)

Crédit: Laura Brimont

C'est simple aidons les paysans à changer de pratique !

Pour remédier à ce problème, les programmes de conservation ont mis en œuvre des activités destinées à modifier les pratiques des paysans. A Madagascar par exemple, j'ai rencontré des agronomes qui essayaient de trouver des techniques alternatives à l'agriculture d'abatis brûlis, l'objectif étant de produire autant, voire plus de nourriture, sur des surfaces plus petites.

Modifier les pratiques de paysans très pauvres en milieu forestier n'est toutefois pas une chose très aisée : parfois, les solutions ne sont pas adaptées aux conditions locales, ou alors elles ne permettent pas d'apporter des bénéfices immédiats, alors que le paysan lui a besoin de nourrir sa famille tout de suite. Certains paysans m'ont dit qu'ils trouvaient ça trop compliqué, ou ils ne parvenaient pas à acheter tous les éléments nécessaires (matériels, engrais, pesticides) pour pratiquer la nouvelle technique.

Lorsque les programmes réussissent, un autre problème de taille peut surgir : en effet, si un paysan arrive à produire plus qu'auparavant, il va pouvoir vendre une partie de sa production, et donc acquérir un peu d'argent. Cet argent peut être réinvesti dans d'autres activités qui peuvent lui rapporter encore plus d'argent, mais qui ne sont pas forcément bénéfiques pour l'environnement. Par exemple, si le paysan décide d'acquérir une tronçonneuse pour faire de l'exploitation commerciale de bois, le résultat pour la forêt n'est pas brillant. L'autre risque du développement économique localisé c'est d'attirer les populations des zones voisines, ce qui augmente la pression sur la ressource forestière.

Pourquoi ne pas conditionner les aides au respect de la forêt?

Les chercheurs qui travaillent sur l'environnement ont proposé un autre type d'outil qui permettrait de résoudre le problème de l'effet pervers du développement économique : les paiements pour services environnementaux (PSE). Le principe d'un paiement pour services environnementaux c'est de payer un individu pour qu'il arrête ses activités destructrices pour l'environnement. Si l'individu ne respecte pas son engagement, le paiement s'arrête. A Madagascar, on pourrait donc imaginer de payer les paysans en échange de l'arrêt des pratiques d'abatis brûlis, et en échange leur donner du riz pour leurs besoins quotidiens.

Bonne idée me direz vous, mais qui paye ? L'idée des chercheurs est que le financement proviendrait des bénéficiaires des services environnementaux. Par exemple, j'estime que conserver les forêts pour sauvegarder les lémuriens de Madagascar est quelque chose qui me tient à cœur, et j'accepte de payer les paysans malgaches pour qu'ils arrêtent la défriche. Oui, mais, j'accepte de payer jusque quand ? Si j'arrête, le paysan risque de recommencer... Est-ce qu'on va pouvoir trouver des gens qui acceptent de payer indéfiniment ?

Lémurien dans le parc de l'Ankarana (Madagascar) - Crédit: Laura Brimont

Pour répondre à cette question, l'équipe avec laquelle je travaille à Madagascar a imaginé de coupler les paiements avec les activités de soutien à l'agriculture. Comme ça, une fois que le paysan aura assimilé des techniques agricoles sans défriche, il n'aura plus intérêt à revenir à ses anciennes pratiques. Le souci c'est qu'on retrouve la même difficulté que précédemment : en s'enrichissant, le paysan peut faire de nouvelles activités -l'exploitation commerciale de bois- qui lui rapportent plus que les paiements pour services environnementaux. À part augmenter le niveau des paiements, je me suis rendue compte que c'était le serpent qui se mordait la queue...

Mais on fait quoi alors?

Concilier la conservation de la forêt et la lutte contre la pauvreté n'est donc pas un problème facile à résoudre (si c'était le cas, ça fait longtemps que la question serait réglée). A l'heure actuelle, je dirai que la réponse la plus appropriée est qu'il faut essayer de mettre en œuvre les différentes solutions en même temps, avec des priorités différentes selon les étapes du programme.

Je pense que si l'on commence par proposer aux paysans malgaches des paiements pour services environnementaux, on peut réduire la déforestation rapidement sans que les paysans souffrent trop. Par la suite, on peut proposer aux paysans des solutions pour changer leurs pratiques agricoles. Ce que je trouve intéressant, c'est que comme les paysans ont un « filet de sécurité » avec les paiements, ils seront sans doute plus motivés pour tester d'autres techniques agraires. Dans le même temps, l'État malgache ou les ONG environnementales peuvent commencer à informer les populations sur le projet de créer une aire protégée ; ainsi, les paysans pourront intégrer dans leur stratégie les futures interdictions. Lorsque les activités agricoles auront permis d'augmenter les revenus des paysans, il sera plus facile de mettre en œuvre les interdictions.

Mon travail de recherche montre donc que combiner compensations, investissement et interdiction semble être la stratégie la plus adéquate pour concilier environnement et lutte contre la pauvreté. Reste à trouver les moyens financiers de long terme pour mettre en œuvre ce programme. Plus facile à dire qu'à faire.

POUR ALLER PLUS LOIN: LIRE L'ÉTUDE

2013-10-31-logagrotech_ABL_RVB.jpgAgroParisTech est un des principaux établissements de formation et de recherche européens en sciences du vivant et de l'environnement. Il forme des ingénieurs, masters, docteurs et professionnels pour répondre aux enjeux de l'agriculture, de la forêt, de l'alimentation et du développement durable.

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