Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Québec, qui a fermé ses portes en 2021.

Les contradictions du Qatar

Le laisser-faire d'Obama avait frustré au plus haut point les pays sunnites. Il contraste avec leurs positions tranchées après la visite du président Trump en Arabie.
This post was published on the now-closed HuffPost Contributor platform. Contributors control their own work and posted freely to our site. If you need to flag this entry as abusive, send us an email.

« C'est notre droit de faire du Qatar le pays le plus important du monde. Le problème est que certains pays arabes n'ont pas joué leur rôle adéquatement. Lorsque nous avons assumé le nôtre, certains ont pensé qu'on voulait prendre le leur. » Ainsi s'exprimait le premier ministre qatari Sheikh Hamad bin Jassim. En vérité, beaucoup ont eu de la difficulté à comprendre la cohérence des politiques qataries dont les ambitions s'appuient sur la richesse pétrolière (plusieurs centaines de milliers de dollars d'exportations annuelles d'hydrocarbures par habitant) et se traduisent par un activisme péremptoire.

Les politiques du Qatar ne sont pas à une contradiction près :

Lors de la réunion du GCC regroupant les pays du Golfe dans la capitale qatarie Doha en 2015, les participants furent surpris d'y voir le président iranien Ahmadinejad, invité d'honneur du Qatar.

Bien que le Qatar participe aux côtés de l'Arabie en vue d'évincer l'influence iranienne au Yémen, il a signé un accord de sécurité militaire avec l'Iran.

Le Qatar a décidé que le Hamas était le seul représentant des Palestiniens et se pose en médiateur.

Depuis 1991, le Qatar héberge une des plus grandes bases américaines avec près de 10 000 soldats dans la région. Il a également offert une base aérienne en son territoire à la Turquie. Cela ne l'empêche pas de financer la mouvance syrienne d'Al-Nusra anciennement affiliée à Al-Qaeda, ni même de la présenter comme une faction modérée. Le Qatar envoie des armes en Syrie (3 milliards de dollars en Syrie seulement) et finance des mouvements radicaux en Libye ou, au Mali, tout comme Ansar Dine affilié à l'Al-Qaida au Maghreb.

Par l'entremise de sa chaîne Al-Jazeira, le Qatar fait la promotion des libertés dans le monde arabe. Pourtant, il occupe la 148e place sur le plan des libertés selon Freedom House. Les partis politiques sont bannis au Qatar. Des élections pour un conseil consultatif promises en 2004 sont constamment repoussées. Par ailleurs, bien des critiques sont émises par rapport à la condition des travailleurs étrangers qui constituent 90% de la population qatarie.

Lors de la visite du président Trump en Arabie saoudite, la conférence réunissant une quarantaine de pays musulmans s'est prononcée sans ambages contre la l'ingérence iranienne au Proche-Orient. Pourtant, le cheikh qatari a félicité le président iranien Rouhani pour son élection.

Le levier religieux

Pour augmenter son influence dans la région, le gouvernement qatari soutient les Frères musulmans dont l'objectif est d'islamiser la planète. Ce mouvement se proposait d'y arriver par la violence. Depuis 1997, il préconise d'atteindre le même but par des moyens pacifiques - sauf dans le cas du Hamas. Le gouvernement qatari a offert plusieurs milliards à l'Égypte durant le régime du président Morsi de la mouvance des Frères musulmans et a octroyé des prêts de plusieurs dizaines de milliards de dollars à la Turquie dont le président partage la complaisance envers les Frères musulmans.

Le levier médiatique

Le Qatar offre une plateforme médiatique de premier choix à Al-Qaeda via sa chaîne Al-Jazeira subventionnée annuellement à raison de 650 millions de dollars. La chaîne Al Jazeira fait la promotion des Frères musulmans dont l'idéologue Yusuf al-Qaradawi connu pour ses propos incendiaires y tient une émission hebdomadaire. Ainsi, durant le court régime du président égyptien Morsi et du soulèvement populaire d'une ampleur jamais connue, la chaîne ne présentait que des entrevues avec des membres des Frères musulmans. La méthode d'entrevues sélectives ou de tronçons d'entrevues hors contexte est également utilisée pour attiser le conflit israélo-palestinien sous le couvert d'un semblant de neutralité. La chaîne a longtemps servi à faire connaître les messages d'Al-Qaeda ou de son équivalent syrien Al-Nusra présenté comme une force modérée.

Le levier économique

Avec un PIB de 183 milliards de dollars, les 200 000 citoyens de ce pays ne paient pas de taxes et reçoivent constamment des augmentations de salaire dans des emplois quasi permanents. Le Qatar a créé un fonds d'investissement en Europe de 100 milliards et confié sa direction à l'ex-président français Sarkozy. Un autre fonds d'investissement de 20 milliards de livres sterling a été octroyé à la Grande-Bretagne. Le Qatar finance également plusieurs Think tanks américains, dont l'institution Brookings. Le Qatar compte héberger le prochain mondial du soccer en 2022 et investit 100 milliards de dollars en infrastructure à cette fin.

Un discours lourd de conséquences

Le discours du dirigeant qatari Sheikh Tamim Al-Thani, au lendemain de la visite du président Trump en Arabie a semé la zizanie entre le Qatar et les autres états du Proche-Orient. Ce discours a paru dans les médias qataris avant d'être enlevé sous prétexte de piratage malveillant. Le Sheikh y disait qu'il n'était guère sage d'escalader les tensions avec l'Iran, affirmait sa « compréhension » envers le Hamas et le Hezbollah et prédisait une présidence de Trump écourtée. Le vrai danger résiderait dans le comportement de certains gouvernements (l'Arabie) qui entretiennent une version extrémiste de l'islam. Le Qatar a d'ailleurs été accusé d'avoir négocié une libération d'otages de la famille royale avec le Hezbollah irakien et l'Iran au coût de 1 milliard de dollars ; les autres pays sunnites considèrent que c'est une façon indirecte de financer les agissements de l'Iran. Depuis ce discours, une campagne de dénigrement du Qatar fait rage dans l'ensemble des pays du Golfe.

La chaîne Al-Jazeira a été bloquée en Arabie, dans les Émirats arabes unis, au Bahreïn et en Égypte. Ces pays exigent du Qatar qu'il rompe ses relations militaires avec l'Iran, qu'il abroge les accords passés avec ce pays au sujet de la Syrie et de l'Iraq et qu'il cesse d'abriter les Frères musulmans, le Hezbollah et le Hamas. Ces pays et plusieurs autres ont rompu les relations diplomatiques avec le Qatar : le Bahreïn, le Yémen, la Mauritanie et le gouvernement de l'Est de la Libye. Le Qatar a été exclu de la coalition des pays sunnites combattant la mouvance houttie d'obédience iranienne au Yémen. Entre-temps, les vols à destination du Qatar ont été interrompus et l'espace aérien égyptien, saoudien et émirati a été interdit aux avions qataris qui doivent de ce fait contourner ces pays. Il ne fait aucun doute que le trafic aérien de 50 millions de passagers par an s'en ressentira.

Le laisser-faire d'Obama avait frustré au plus haut point les pays sunnites. Il contraste avec leurs positions tranchées après la visite du président Trump en Arabie.

Le laisser-faire d'Obama avait frustré au plus haut point les pays sunnites. Il contraste avec leurs positions tranchées après la visite du président Trump en Arabie.

L'enjeu énergétique

L'enjeu majeur est ailleurs. Le Qatar est une presqu'île rattachée à l'Arabie dont les champs gaziers maritimes sont partagés avec l'Iran. Le Qatar est le plus grand exportateur de gaz liquéfié : ses méthaniers transportent 80 millions de tonnes annuellement. L'Iran développe également sa capacité de production. Ces pays et la Russie peuvent détenir un monopole mondial du gaz. Pour ces pays, ce gaz devrait idéalement être acheminé par pipeline à la Méditerranée. L'Iran a besoin du Qatar pour écouler son gaz à l'Ouest. La Russie ne voit pas la chose d'un mauvais œil, d'autant plus qu'elle pourra contrôler le robinet de ce pipeline à son aboutissement.

C'est pour cette raison que les milices chiites cherchent à s'installer la frontière syro-irakienne. L'Iran prévoit y faire passer un rail et un pipeline lequel aboutira non loin de la base militaire russe de Tartous en Méditerranée. L'État islamique est en recul. Les forces kurdes syriennes attaquent Raqqah par le Nord et pourraient avancer vers le Sud. Pour les gêner, la Russie a placé des unités militaires au sud-ouest de Raqqah. Les États-Unis ont armé les rebelles syriens dans le Sud de la Syrie pour faire entrave à l'Iran et bombardent les milices chiites qui convergent dans cette région.

En outre, le fait que le Qatar cherche à acquérir les champs pétrolifères au Mali, pays riche en gisements d'uranium, a de quoi semer la panique parmi les pays sunnites en raison de la connivence qui prévaut entre l'Iran et le Qatar.

La confrontation dans le Sud-est syrien va déterminer le devenir du pipeline de gaz qataro-iranien. Ce projet de pipeline changerait la donne de la distribution de gaz liquéfié alors même que l'Australie et les États-Unis s'apprêtent à écouler des quantités grandissantes de gaz sur le marché. Les pays sunnites ne veulent pas d'un tel pipeline qui renforcerait l'Iran. Cette région désertique devient un foyer de contention aux conséquences imprévisibles.

VOIR AUSSI SUR LE HUFFPOST

Close
Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Canada, qui ont fermé en 2021. Si vous avez des questions ou des préoccupations, veuillez consulter notre FAQ ou contacter support@huffpost.com.