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Ce que la science dit du nouveau variant de la COVID-19

La nouvelle souche du coronavirus pourrait augmenter la transmission.
L’apparition de cette souche est due à diverses mutations sur le génome du virus.
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L’apparition de cette souche est due à diverses mutations sur le génome du virus.

L’improbable s’est-il finalement produit? Ce dimanche 20 décembre, le Royaume-Uni s’est reconfiné en raison d’une nouvelle souche du coronavirus apparue en Angleterre. Ce nouveau variant du SARS-CoV-2 serait “hors de contrôle”, selon le gouvernement. De nombreux pays, dont le Canada et la France, ont dans la foulée fermé leur frontière avec le Royaume-Uni en attendant d’en savoir plus.

L’apparition de cette souche est due à diverses mutations sur le génome du virus. Il faut rappeler qu’il n’y a encore aucune certitude sur l’impact réel de ces mutations. Mais plusieurs indices laissent penser que cette nouvelle souche anglaise augmenterait la circulation du coronavirus en facilitant sa transmission. Il n’y a par contre pour l’instant aucun élément permettant d’affirmer que la sévérité de la maladie COVID-19 soit augmentée ni que les vaccins en cours de distribution soient moins efficaces.

Une mutation est quelque chose de normal et d’extrêmement courant pour un virus. Et il n’est pas démontré avec certitude que cette nouvelle souche change la donne. Pour bien comprendre pourquoi cette lignée génétique est tant redoutée, il faut aller un peu dans le détail. Voici ce que l’on sait et ce que l’on ignore sur cette variante du SARS-CoV-2.

Qu’est-ce qu’un variant?

Définition du Larousse: Substance qui dérive d’une substance originelle par mutation.

De nombreuses mutations stratégiques

Il faut d’abord rappeler que le coronavirus mute très régulièrement (plus de détail dans notre article dédié) et que ce n’est quasiment jamais un problème. Depuis les premiers jours de l’épidémie de COVID-19, les généticiens du monde entier analysent en détail le génome du coronavirus afin de repérer les nouvelles souches.

Dans l’écrasante majorité des cas, cela ne change absolument rien. Un virus, comme tout organisme, est constitué d’un code génétique (ADN ou ARN) composé de 4 lettres. A, U, G, C, pour le SARS-CoV-2. C’est leurs combinaisons multiples qui vont donner ses propriétés à l’organisme.

Si le coronavirus était un roman, ces quatre lettres seraient son alphabet. Une mutation peut alors être assimilée à une coquille, une faute de frappe au sein du roman. Cela arrive très régulièrement, plusieurs fois par mois. Mais il y a de grandes chances que cette petite coquille ne change pas le sens du mot. Et encore moins celui de la phrase, du chapitre, et encore moins du roman.

Mais alors que s’est-il passé en Angleterre? Le British Medical Journal explique que la nouvelle souche de coronavirus cumule 17 nouvelles mutations. Un vrai coup de malchance que les chercheurs tentent de comprendre. Pire: plusieurs sont présentes sur la “protéine S”, l’une des plus importantes, car elle permet au SARS-CoV-2 de contaminer une cellule humaine.

L’une des mutations les plus surveillées par les épidémiologistes et généticiens s’appelle “N501Y”, un mot qui circule beaucoup dans les médias. Mais ce n’est pas le nom de la souche anglaise: elle s’appelle soit “B.1.1.7″, soit “VUI-202012/01”.

Une transmission élevée, mais un lien qui reste à démontrer

Ces mutations ont été observées depuis mi-septembre en Angleterre. Mais jusque-là, c’était une souche comme une autre. Ce qui a alerté toutes les autorités de santé dans le monde ces derniers jours, c’est l’augmentation importante des cas au Royaume-Uni.

Surtout, les chercheurs ont remarqué une importante hausse de la souche VUI-202012/01 au sein de la population. Le graphique ci-dessous, issu d’une note du Centre européen de prévention et de contrôle des maladies publiée le 20 décembre, montre bien l’explosion. En bleu, la proportion de cette souche par rapport aux autres versions du virus en Angleterre.

En vert, le nombre de séquençages du génome du coronavirus réalisés par semaine en Angleterre. En bleu, la proportion de la nouvelle souche par rapport aux autres variants.
ECDC
En vert, le nombre de séquençages du génome du coronavirus réalisés par semaine en Angleterre. En bleu, la proportion de la nouvelle souche par rapport aux autres variants.

Dans une analyse du 18 décembre rendue publique deux jours plus tard, le Nervtag, un groupe de scientifiques qui conseille le gouvernement britannique, a réalisé quatre modélisations pour essayer de comprendre ce que cela voulait dire. Et leurs conclusions ont de quoi alerter.

Au vu de la croissance ci-dessus, ce variant pourrait être 70% plus transmissible. Le R, le fameux taux de reproduction du virus (le nombre moyen de personnes infectées par un individu contaminé) augmente de 0,4 à 0,9 avec cette souche par rapport aux autres. La mutation N501Y rendrait également la charge virale (le nombre de virus présent dans l’organisme) 50% plus importante.

Attention: aucun lien direct n’a été démontré entre la mutation et la transmission pour le moment, ont rappelé les autorités de santé ainsi que de nombreux chercheurs sur Twitter. C’est une simple corrélation pour le moment, et des études à venir, avec notamment des expériences en laboratoires, permettront de dire si, oui ou non, ce nouveau variant est plus infectieux.

“Le variant est associé à une propagation rapide du coronavirus. De plus, la lignée britannique a plus de mutations qu’escompté. Il y a une crainte que ces mutations entraînent cette transmission plus importante, mais nous ne le savons pas pour l’instant”, résume ainsi l’épidémiologiste Kristian Anderson sur Twitter.

Le précédent “D614G”

“Pour le moment, rien ne permet d’affirmer scientifiquement que ces mutations confèrent au virus une meilleure capacité à se propager, d’autant plus que l’épidémie outre-Manche est en croissance”, confirme au HuffPost France Samuel Alizon, directeur de Recherche au CNRS, spécialiste de la modélisation des maladies infectieuses. “Par conséquent, la fixation de ces mutations pourrait être le fait du hasard”.

Il y a un précédent à noter. Dans les premiers mois de la pandémie de COVID-19, une souche s’est imposée face aux autres: D614G. Elle est l’ancêtre commun de la plupart des coronavirus qui circulent dans le monde aujourd’hui, comme le montre ce graphique d’Emma Hodcroft, chercheuse à l’université de Bâle, spécialiste de la génétique des virus.

Beaucoup de chercheurs ont travaillé sur cette mutation particulière. On sait depuis qu’elle est plus infectieuse que la souche originelle apparue en Chine fin 2019, mais “même pour la mutation D614G les effets restent
limités”, rappelle Samuel Alizon.

Souche nouvelle, mutations connues

Il faut également préciser que si la souche VUI-202012/01 est nouvelle et semble s’être développée en Angleterre, ses différentes mutations ne le sont pas entièrement.

Dans une note mise en ligne le 19 décembre sur le site Virological, des chercheurs expliquent ainsi que trois des mutations situées sur la protéine S pourraient changer le fonctionnement biologique du virus. Ils précisent également qu’elles ont déjà été observées ailleurs. C’est la combinaison de ces mutations qui est nouvelle.

Ainsi, on entend beaucoup parler d’une souche découverte en Afrique du Sud, portant la même mutation clé, N501Y. Mais comme l’explique sur Twitter Emma Hodcroft, les lignées britanniques et sud-africaines ne sont pas les mêmes. Il y a une mutation spécifique que l’on retrouve dans les deux, mais elles semblent avoir émergé indépendamment. Sur le graphique ci-dessous, le variant découvert en Angleterre est en vert. Les gros points jaunes en bas du graphique représentent celui découvert en Afrique du Sud.

L'arbre phylogénétique du coronavirus SARS-CoV-2. En vert, la souche découverte en Angleterre. Les gros points jaunes, en bas du graphique, sont ceux relatifs à la souche découverte en Afrique du Sud.
Emma Hodcroft/Nextstrain
L'arbre phylogénétique du coronavirus SARS-CoV-2. En vert, la souche découverte en Angleterre. Les gros points jaunes, en bas du graphique, sont ceux relatifs à la souche découverte en Afrique du Sud.

La souche peut-elle être confinée en Angleterre?

Cela ne veut pas dire que la souche anglaise est bloquée au Royaume-Uni. En effet, la lignée britannique a été séquencée une fois au moins en Australie et plusieurs fois au Danemark, rappelle la chercheuse. Un cas a également été détecté en Italie.

Mais notre vision est ici très, très partielle. Pour suivre à la trace les variants génétiques du coronavirus, il est nécessaire de séquencer le génome du SARS-CoV-2. Dans un monde idéal, chaque test PCR positif serait analysé. C’est loin d’être le cas. Ce qui veut donc dire que la souche VUI-202012/01 est peut-être présente dans de nombreux pays, dont la France.

Surtout que le Royaume-Uni est le pays qui fait le plus de séquençage de génome du virus au monde, de très, très loin. 38% de la totalité des séquences proviennent d’outre-Manche; ce graphique, réalisé par l’équipe de Samuel Alizon, le montre bien. “Les Anglais ont séquencé plus de 120 000 génomes, en France on en a 2500”, précise-t-il.

Le Royaume-Uni analyse beaucoup plus de génomes du coronavirus que ses voisins européens (échelle logarithmique)
Samuel Alizon/Équipe ETE
Le Royaume-Uni analyse beaucoup plus de génomes du coronavirus que ses voisins européens (échelle logarithmique)

Quel impact sur le vaccin?

S’il s’avère que cette nouvelle souche est plus infectieuse que les précédentes, cela sera évidemment une mauvaise nouvelle sur le front de la lutte contre la pandémie de coronavirus. Pour autant, même une hausse de la transmission de 70% ne changerait pas radicalement la donne.

En effet, mutation ou pas, le virus se propage toujours de la même manière. Il entre dans le corps par la bouche et le nez, s’y réplique, avant de descendre vers les poumons et de développer la maladie Covid-19. Les moyens de se protéger sont donc les mêmes. Éviter les rassemblements, notamment à plusieurs, dans des lieux clos et mal ventilés, surtout si l’on ne porte pas de masque et que l’on discute ou mange. Respecter la distanciation physique et les gestes barrière. S’isoler en cas de symptômes ou de contacts connus avec une personne positive.

Une souche plus contaminante serait un coup dur, mais ne changerait pas le paradigme. La vraie crainte des chercheurs concernant les mutations du SARS-CoV-2 est ailleurs. Ce qu’ils redoutent, c’est une transformation biologique du virus rendant les vaccins inopérants. Si le coronavirus était encore une fois un roman, imaginons que le vaccin soit capable de le retrouver dans une énorme bibliothèque en recherchant un paragraphe bien particulier. Ce que redoutent les chercheurs, c’est que de multiples mutations viennent rendre illisible ce paragraphe clé.

Car une fois que la majorité de la population sera immunisée, la sélection naturelle va entrer en jeu. Seules survivront les formes du coronavirus permettant d’infecter quelqu’un d’immunisé.

L’exemple des papillons anglais

Le cas des papillons anglais est un classique permettant de le comprendre. Ils étaient majoritairement blancs jusqu’au début du XIXe siècle. Certaines mutations pouvaient rendre leurs ailes noires, mais cela n’était pas un avantage: les papillons étaient alors très visibles quand ils se reposaient sur un tronc de bouleau. Mais la pollution engendrée par la révolution industrielle a noirci les troncs. En quelques décennies, les papillons noirs sont devenus majoritaires.

Ce que redoutent à terme les chercheurs, c’est que le vaccin provoque une situation similaire pour le coronavirus. Mais pas besoin de s’inquiéter pour le moment. Comme le rappelle Trevor Bedford, chercheur spécialiste de l’évolution des virus, on sait que des mutations permettent au virus de la grippe d’échapper à l’immunité humaine. De même pour les coronavirus saisonniers classiques, provoquant un simple rhume. Mais cela prend des années pour que de telles mutations finissent, par hasard et par la sélection naturelle, par s’imposer.

Le spécialiste rappelle que “les mutations uniques auront généralement un faible impact sur les réponses immunitaires et la forte réponse immunitaire aux vaccins à ARNm suggérerait qu’un changement antigénique important serait nécessaire pour réduire significativement l’efficacité”.

Ewan Birney, directeur adjoint du Laboratoire européen de biologie moléculaire, précise également sur Twitter que les essais cliniques des vaccins ont eu lieu alors que de nombreuses mutations existaient et qu’il n’y a pas eu d’impact notable. Il y a donc de bonnes raisons de penser que les vaccins seront toujours efficaces face à une hégémonie de cette nouvelle souche.

C’est, de manière générale l’avis de la plupart des scientifiques sur la question, même si des tests en laboratoires sont évidemment nécessaires pour s’en assurer.

Ce texte a été publié originalement sur le HuffPost France.

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