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Cuba et les Etats-Unis: histoire d'une petite guerre splendide

Après un demi-siècle de séparation, les deux pays ont aujourd'hui la chance de pouvoir tirer les leçons du passé et refonder leurs relations sur de nouvelles bases.
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Le 17 décembre 2014, Cuba et les États-Unis ont annoncé conjointement la reprise de leurs relations diplomatiques, mettant fin à cinquante-cinq ans d'hostilité réciproque. Après un si long divorce, il est légitime de se demander comment vont pouvoir se renouer les liens entre ces deux États que séparent seulement cent-cinquante kilomètres d'océan.

Pour répondre à cette interrogation, il est utile de comprendre ce qu'a été leur relation avant la révolution de 1959, et tout particulièrement ce qui l'a fondée: la guerre hispano-américaine de 1898, à l'issue de laquelle Cuba s'est trouvée libérée de la tutelle coloniale espagnole.

C'est cet évènement méconnu du public français que j'ai entrepris de faire revivre dans Une splendide petite guerre - Cuba 1898, récit d'histoire publié aux Editions de La Bisquine.

La genèse: une colonie espagnole attirée par son grand voisin

Cuba, où Christophe Colomb a touché pour la première fois le sol des Amériques, est la plus ancienne des colonies espagnoles. Après que les indiens eurent été décimés par les épidémies, les Espagnols en sont devenus les plus anciens habitants. Jusqu'au milieu du XIXe siècle, les élites cubaines se considèrent comme pleinement espagnoles, au point de ne pas s'associer au mouvement général d'émancipation des colonies américaines des années 1820.

L'Espagne n'en est de son côté que plus profondément attachée à Cuba, désormais ultime vestige de sa grandeur passée. Mais en pratique, en proie tout au long du siècle à de permanentes convulsions politiques, elle ne traite sa colonie que comme une vache à lait. Ceci lui aliène les élites créoles, qui vont peu à peu se convertir à l'idée d'indépendance, largement inspirées par l'extraordinaire réussite des États-Unis voisins qui se sont eux-mêmes libérés d'une tutelle coloniale et tissent avec elles des liens économiques toujours plus étroits.

1868 voit un premier soulèvement contre la domination espagnole, début d'une Guerre de Dix Ans qui s'achève par un compromis où l'Espagne s'engage à accorder l'autonomie à Cuba. Sa négligence à exécuter cette promesse conduit en 1895 à un second soulèvement, appuyé sur le Parti Révolutionnaire Cubain fondé par le grand écrivain et penseur José Martí qui, s'il tombera dès le début du conflit, demeurera l'inspirateur de la Cuba moderne.

Ne parvenant pas à avoir raison de la guérilla par des moyens militaires classiques, l'Espagne entreprend de priver les rebelles du terreau où ils s'enracinent par une politique dite de reconcentration, consistant à vider les campagnes en regroupant les paysans autour des villes contrôlées par l'armée. Mais l'impossibilité de les nourrir correctement entraîne une hécatombe. On parlera de deux-cent mille morts, soit un huitième de la population.

1898: l'intervention des États-Unis en faveur de Cuba

C'est un double mouvement d'intérêt et de sympathie qui va conduire les États-Unis à intervenir à Cuba.

Par sa proximité, l'île occupe une position d'autant plus stratégique pour eux qu'ils prévoient de creuser dans la région le canal de Panama et ils s'inquiètent du chaos dans lequel l'enlisement du conflit la plonge.

Mais au-delà de la Realpolitik, c'est portés par une vague d'enthousiasme populaire qu'ils vont s'engager aux côtés des insurgés. Face aux horreurs de la reconcentration, la presse à grand tirage attise l'indignation d'une opinion publique qui voit dans les mambis -surnom des révolutionnaires cubains- le reflet des insurgents de leur propre guerre d'indépendance.

Deux grands patrons de presse, Joseph Pulitzer et William Randolph Hearst -qui inspirera Citizen Kane, le célèbre film d'Orson Welles-, ont en effet révolutionné la presse quotidienne, jusque là réservée à l'élite cultivée, pour la mettre à la portée du grand public. Bien que devenus de féroces concurrents, ils poussent conjointement à la guerre en n'hésitant pas à manipuler l'opinion.

L'explosion inexpliquée du cuirassé américain Maine en rade de La Havane en février 1898 - sans doute accidentelle, mais qui offre à la presse l'occasion de dénoncer un attentat espagnol -, va rendre inéluctable l'entrée en guerre des États-Unis contre l'Espagne.

Concentré sur les mois de juin et juillet 1898 autour de la ville de Santiago, le conflit est bref. Marqué par le sacrifice délibéré de la flotte espagnole face à l'US Navy, il se conclut sur la défaite de l'Espagne, qui renonce définitivement à Cuba. Le secrétaire d'État John Hay le qualifiera de splendide petite guerre, alors que pour l'Espagne il sera le Désastre de 1898.

Ce conflit marque un tournant décisif dans l'histoire des États-Unis, en les propulsant au statut de puissance mondiale. Au-delà de Cuba, ce sont en effet tous les vestiges de l'empire espagnol qui tombent sous leur coupe, avec Porto Rico, Guam et les Philippines. Leur nouvelle politique impériale va s'incarner dans la personne du président Théodore Roosevelt, lequel a d'ailleurs personnellement combattu à Cuba.

1902: l'indépendance cubaine confisquée

C'est avec des sentiments mitigés que les insurgés cubains ont accueilli les Américains. Avant même l'affaire du Maine, Madrid avait renoncé à la reconcentration et accordé enfin l'autonomie à Cuba et ce recul espagnol les avait convaincus que leur victoire était certaine. Dès lors, le seul intérêt de l'intervention des États-Unis était d'accélérer la fin du conflit.

Or, doutant de la capacité des Cubains à se gouverner eux-mêmes, les Américains sont résolus à exercer durablement une tutelle sur Cuba. Dès la fin des hostilités, leur refus de laisser entrer les guérilleros cubains dans Santiago conquise sera ressenti par ces derniers comme une profonde humiliation, que rappellera Fidel Castro lorsqu'il entrera lui-même dans la ville en 1958.

A l'issue du conflit, les Américains exercent tout d'abord un protectorat qui permet à l'île ravagée par les années de guerre civile de reprendre souffle et retrouver une vie normale. Puis, en 1902, ils accordent aux Cubains ce pour quoi ils se sont battus: l'indépendance.

Mais celle-ci s'avère n'être qu'une liberté surveillée: le Congrès américain a en effet imposé d'intégrer dans la constitution cubaine l'amendement Platt, du nom du sénateur qui l'a présenté. Ce texte autorise les États-Unis à intervenir à Cuba "pour la préservation de l'indépendance cubaine et le maintien d'un gouvernement capable de protéger la vie, la propriété, et la liberté individuelle". Il justifiera quatre interventions militaires avant d'être aboli en 1934, date à laquelle le futur adversaire de Fidel Castro, Batista, deviendra l'homme fort du pays.

2014: un nouveau départ?

La guerre de 1898 a ainsi engendré une relation «d'amour-haine» entre Cuba et les États-Unis, les Cubains oscillant entre l'admiration pour la réussite des seconds et la défiance envers leur volonté de domination, les Américains entre la sympathie pour ce que les Espagnols appelaient la Perle des Antilles et la crainte de voir celle-ci faire de sa liberté un usage qui leur nuise. Sa conclusion fut le divorce de 1960.

Après un demi-siècle de séparation, les deux pays ont aujourd'hui la chance de pouvoir tirer les leçons du passé et refonder leurs relations sur de nouvelles bases, s'ils savent mutuellement faire preuve de cette vertu si rare... la sagesse.

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Une splendide petite guerre - Cuba 1898 - Editions de la Bisquine

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