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Culpabilité et mobilité des francophones du Canada

À l’ère des technologies et du virtuel, l’attachement au territoire ou aux régions souches doit s’accommoder des identités modernes fluides.
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Parc national de la Jacques-Cartier au Québec
Olivier Richard
Parc national de la Jacques-Cartier au Québec

Au regard des petites communautés francophones du Canada, chaque geste identitaire a une valeur plus grande qu'en milieu majoritaire. Le contexte minoritaire balise la vie des individus et l'éventail des choix qui s'offrent à eux pour s'épanouir. Le francophone minoritaire est souvent tiraillé entre la réalisation de soi et la contribution à la vitalité de sa communauté.

Pourtant, les choix personnels ou égoïstes ne sont pas tous ou toujours délétères pour la communauté. Pourquoi donc culpabiliser le minoritaire?

La prise de conscience de son appartenance à une collectivité est un parcours identitaire propre à chacun. En milieu minoritaire, on reconnaît instinctivement que l'identité francophone est comme une fleur: belle, mais fragile.

Les choix que font les décideurs publics, l'indifférence de la majorité et les actions des minoritaires eux-mêmes peuvent avoir raison de l'identité francophone.

Pédagogie de la conscientisation

Les pédagogues en milieu minoritaire qui côtoient les jeunes francophones ont déjà compris les effets contraignants du milieu anglicisant et la force d'attraction de la culture majoritaire. En réponse, plusieurs chercheurs et enseignants pratiquent une pédagogie de la conscientisation.

Au lieu de transmettre la matière comme un cursus figé ou une vérité absolue, on explique aux élèves les facteurs contextuels qui influencent le milieu minoritaire et l'identité individuelle. On enseigne les outils contextuels qui alimenteront leur propre réflexion. Ainsi, l'élève prend conscience de son identité et se l'approprie.

D'aucuns le disent: l'avenir appartient à la jeunesse. Cependant, faut-il tenir les jeunes responsables de tous les maux qui risquent d'affliger certaines communautés francophones? Certains discours donnent l'impression que l'avenir de la communauté francophone ne dépend que de l'insouciance fatale ou du militantisme salutaire de la nouvelle génération. Il n'en est rien.

La stagnation et le déclin démographique, s'il y a lieu, s'expliquent selon les facteurs propres à une communauté ou son contexte: la natalité, la transmission linguistique, la mobilité, l'immigration, souvent favorable à la majorité, et bien d'autres variables.

Les jeunes ne sont pas les seuls responsables des indices inquiétants, pas plus que les adultes qui déménagent vers de nouvelles communautés francophones pour le travail ou autre.

Fuite des cerveaux et culpabilité

La fameuse fuite des cerveaux francophones en milieu minoritaire n'est pas un phénomène nouveau. Autant les baby boomers que la génération X ou Y ont fait face au même dilemme.

Les jeunes francophones, toutes générations confondues, se butent au problème de la mobilité et de l'épanouissement. «Devrais-je partir ou bien rester», se demandait Jean Leloup. Chaque jeune devra tôt ou tard y répondre. Va-t-il (elle) oser faire un choix personnel sans se soucier des conséquences possiblement néfastes pour sa communauté?

Manifestants s'opposant aux coupures du gouvernement conservateur de Doug Ford en Ontario. Hôtel-de-Ville d'Ottawa, 1er décembre 2018.
Ricky G. Richard
Manifestants s'opposant aux coupures du gouvernement conservateur de Doug Ford en Ontario. Hôtel-de-Ville d'Ottawa, 1er décembre 2018.

Mais la culpabilisation du francophone minoritaire est un faux débat. Les communautés, comme les jeunes en devenir, sont beaucoup plus résilientes qu'on le pense d'emblée. Il ne faudrait pas tenir en otage les jeunes qui souhaitent s'épanouir en dehors de leur communauté d'origine, que ce soit pour les études, le travail ou l'aventure. Au contraire, il y a plusieurs raisons de militer en faveur d'une mobilité accrue des jeunes francophones du Canada.

Pour la mobilité

Tout d'abord, nous vivons au sein de sociétés libres, ouvertes et démocratiques. La liberté de choisir pour soi selon sa conscience individuelle est un droit fondamental dont il faut prendre la pleine mesure.

Les identités collectives ne devraient pas être représentées comme des entités immuables qui répriment l'identité individuelle. Au contraire, la mouvance et la fragilité identitaires des francophones minoritaires sont ce qui lui confère son charme, son espoir et sa beauté.

Le métissage des origines, le contact linguistique et l'échange interculturel sont des signes d'une communauté en santé ou en plein essor.

Ceux qui veulent figer la communauté ou déplorent la fuite des cerveaux s'accommodent mal de la fluidité des identités modernes. Pourtant, c'est le lot des communautés minoritaires d'aujourd'hui.

Les francophones qui décident de quitter leur milieu minoritaire ne vont pas nécessairement perdre leur identité ou cesser de contribuer à la vitalité collective pour autant. En effet, s'ils sont convaincus ou bien conscientisés, ils le seront tout autant dans leur nouveau milieu. Ce que certains leaders perçoivent comme une perte peut très bien devenir un gain pour la communauté francophone voisine.

Même si temporairement une communauté ne bénéficie pas de l'apport des jeunes qui quittent, la francophonie canadienne est gagnante. L'identité personnelle et la fierté francophone vont tout simplement s'exprimer ailleurs.

Pourquoi donc maugréer le dynamisme de la francophonie qui résulte de la mobilité des jeunes ou des personnes ambitieuses?

Découvrir un autre milieu peut ouvrir l'esprit ou renforcer l'identité francophone. En se comparant à d'autres milieux francophones, minoritaires ou majoritaires, les jeunes se forgeront leur propre identité.

Les artistes francophones qui lèvent l'ancre peuvent très bien s'épanouir, améliorer leur savoir-faire ou trouver leur voix artistique ailleurs. Leur intention artistique peut rejoindre la francophonie canadienne indépendamment du lieu où ils résident ou voyagent.

Les francophones des maritimes qui vont travailler en Alberta ou dans le Nord canadien peuvent tout à fait contribuer à la vitalité de leurs communautés d'adoption, notamment lorsqu'ils inscrivent leurs enfants à l'école ou se prévalent de leurs droits linguistiques. Les Fransaskois ou Franco-Ténois qui vont étudier en français en Ontario contribuent toujours à l'essor de la francophonie canadienne.

À l'ère des technologies et du virtuel, l'attachement au territoire ou aux régions souches doit s'accommoder des identités modernes fluides. L'ancrage géographique nécessaire de jadis compte moins que la conscientisation réussie de l'identité francophone.

En s'inspirant de la pédagogie critique de Freire, les pédagogues de la francophonie minoritaire veulent que les jeunes prennent conscience de leur milieu, reconnaissent les relations de pouvoir et prennent des actions constructives en conséquence.

Les pédagogues en milieu minoritaire s'inspirent aussi des théories «expérientielles» de Kolb.

Références et liens utiles:

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