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De l’immigration et de l’identité québécoise

Quand les nationalistes identitaires craignent que l'immigration entraîne la disparition de l'identité québécoise, de quoi parlent-ils?
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oscarcalero via Getty Images

Mathieu Bock-Côté, comme de nombreux nationalistes, se méfie de l'immigration. À la suite d'une étude du CIRANO nous apprenant que près de la moitié des Québécois associe l'immigration à «un grand ou très grand risque», il nous rappelle que «si jamais les Québécois francophones ne devenaient plus, à terme, qu'une communauté parmi d'autres, cela entraînerait la disparition de l'identité québécoise».

Commençons par nuancer l'étude. Voici ce qui est écrit à la page 27 du document: «Comment les Québécois perçoivent l'immigration? Sont-ils favorables? Plus de la moitié (59 %) de la population se montre favorable à l'immigration et 68 % voit des bénéfices associés à celle-ci». Somme toute, notre perception est plus positive que négative.

Par ailleurs, le risque n'est pas seulement relié à la disparition de l'identité québécoise dont parle Mathieu Bock-Côté. Les femmes craignent plus l'immigration que les hommes. Pourtant, il me semble que les nationalistes identitaires sont majoritairement des hommes. Les personnes âgées ont plus peur que les jeunes. Or, «on constate que plus les Québécois sont préoccupés par les risques reliés à la sécurité, plus le niveau de risque perçu pour l'immigration augmente», peut-on lire dans le document du CIRANO.

Plus on est scolarisé, plus la perception des risques pour l'immigration diminue. Même chose quand on occupe un emploi spécialisé. Autrement dit, quand on travaille dans un domaine qui exige de nombreuses années d'études, on craint moins de perdre son emploi et, corollairement, on a moins tendance à croire que les immigrants pourraient être des voleurs de jobs.

La moitié des francophones perçoivent un risque grand ou très grand pour l'immigration. Voilà pourquoi Mathieu Bock-Côté fait un lien avec le risque de disparition de l'identité québécoise. Pourtant, le tiers des non-francophones a la même perception. Faudrait-il en conclure que beaucoup d'anglophones et d'allophones ont peur, eux aussi, de perdre leur identité québécoise?

Mathieu Bock-Côté prétend, comme beaucoup d'autres nationalistes, que l'intégration des immigrants sera impossible tant que le Canada reste multiculturel. Oublierait-il que c'est à cause des francophones (ou grâce à eux, dépendant du point de vue) que le Canada est devenu multiculturel? Il est évident que ce pays serait unilingue et assimilateur s'il n'y avait pas eu d'irréductibles français pour l'empêcher. Le multiculturalisme est le fruit des batailles que nous avons menées pour rester en vie. C'est du sable dans l'engrenage de l'assimilation.

Un Québec indépendant, affranchi du multiculturalisme canadien, serait-il capable d'intégrer les immigrants? On peut supposer que oui, mais j'ai émis l'hypothèse, dans un précédent billet, qu'un Québec indépendant deviendrait vite officiellement bilingue dans le but d'amadouer ses voisins et que cela risquerait d'accélérer la disparition de l'identité québecoise chère à Mathieu Bock-Côté. Je ne serais pas étonné non plus qu'un Québec indépendant adopte le multiculturalisme pour attirer des immigrants et les garder. Nous sommes historiquement et géographiquement piégés. Nous devons choisir entre rester une province unilingue francophone comme maintenant ou devenir un pays bilingue et, probablement, multiculturel.

Les risques liés à l'immigration ne sont pas propres au Québec. Presque partout, en Occident, on se méfie des immigrants. On se méfie surtout des revendicateurs de statut de réfugié, au point où ils sont carrément réputés illégaux par de nombreux gouvernements, à commencer par la Maison-Blanche aux États-Unis.

Au sens de la Convention de 1951, « le terme "réfugié" s'appliquera à toute personne qui, craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n'a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle [...], ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

Tous ces gens, qui traversent les frontières et demandent le droit d'asile, ne sont certainement pas des illégaux. Ils le seraient s'ils ne revendiquaient pas le statut de réfugié. Il faut donc les accueillir correctement et leur donner la chance de démontrer qu'ils sont des réfugiés au sens de la Convention. Les traiter comme des criminels et séparer les enfants des parents est un abus de pouvoir abominable.

Quand les nationalistes identitaires craignent que l'immigration entraîne la disparition de l'identité québécoise, de quoi parlent-ils? Comme si notre identité était exclusivement francophone... À vue de nez, il y a beaucoup d'anglophones au Québec et cela ne date pas d'hier. Ils vivent en anglais même s'ils peuvent presque tous parler français. Quant aux allophones, ils sont multilingues et le français n'est qu'une des langues qu'ils utilisent. Faut-il déduire qu'ils n'ont pas d'identité québécoise?

Une personne qui parle deux ou trois langues ne peut pas avoir les mêmes intérêts que celle qui a toujours vécu sa vie en français. Je trouve normal dans ce contexte qu'un anglophone ou un allophone vivent autrement. Est-ce à dire pour autant qu'ils n'ont pas d'identité québécoise?

La culture, c'est comme la langue. C'est vivant parmi les vivants. Ça évolue dans le temps et dans l'espace. Il faut arrêter d'avoir peur du changement. Il est inéluctable. Les immigrants vont changer la face de ce pays comme nous l'avons fait avant eux.

La culture francophone disparaîtra-t-elle? Je n'en sais rien et Mathieu Bock-Côté non plus, malgré ses affirmations péremptoires. Par contre, je sais que la culture d'aujourd'hui n'est pas celle de la révolution tranquille, ni celle de la colonisation des pays d'en haut, encore moins celle d'avant la bataille des plaines d'Abraham. Pierre Lapointe n'est pas Claude Léveillé qui n'était pas la Bolduc. Patrick Sénécal n'est pas Réjean Ducharme qui n'était pas Jean Narrache.

Si notre identité québécoise n'évolue pas, c'est qu'elle est morte. Nous ne sommes plus les colons qui ont conquis ce territoire en tassant ceux qui l'habitaient depuis des siècles. Nous ne sommes plus les habitants que Lord Durham aurait voulu civiliser en les assimilant. Nous ne sommes plus les révoltés qu'on a pendu au Pied-du-Courant. Nous ne sommes plus les Canadiens-français qui ont connu la Loi du cadenas. Nous ne sommes plus les Québécois qui ont fait la révolution tranquille et voté la Loi 101.

Je regarde en arrière, je vois que nous avons beaucoup changé et cela me semble pour le mieux. Personne ne me fera accroire que notre identité culturelle était moins menacée à l'époque du FLQ, ou celle de la grande noirceur, ou celle des coureurs des bois. On ne me convaincra pas qu'elle ne le serait plus dans un Québec indépendant puisque l'immigration perçue comme un risque n'est pas un problème local. C'est un problème occidental, voire mondial. Surtout, ne me dites pas que Trump, Salvini et Orban ont trouvé la solution.

Compte tenu du chemin parcouru depuis Champlain et de Maisonneuve, nos descendants devraient eux aussi être capables de se débrouiller, quitte à ne plus ressembler du tout à ce que nous sommes.

À condition qu'entre-temps les humains ne bousillent pas stupidement la planète... Juste pour dire que si l'immigration est un risque, il y en a de plus importants. C'est d'ailleurs l'avis d'une majorité de Québécois. Dans l'étude du CIRANO, les risques liés au système de santé, à la vie privée, à la corruption, au vieillissement, au coût de la vie, aux changements climatiques, et même aux nids de poule sont nettement plus préoccupants.

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