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Coronavirus: en France, le débat sur la chloroquine a plusieurs effets indésirables

Comme l'expliquent ces soignants au HuffPost France, l'engouement autour du traitement défendu par le professeur Didier Raoult entraîne des effets pervers dans les hôpitaux et sur la recherche.
Il n'y a pas que les effets secondaires de l'hydroxychloroquine qui inquiètent ces soignants
ASSOCIATED PRESS
Il n'y a pas que les effets secondaires de l'hydroxychloroquine qui inquiètent ces soignants

“L’épidémie de coronavirus est en train de disparaître progressivement à Marseille”. C’est en tout cas la dernière déclaration polémique du professeur Didier Raoult. L’infectiologue, célèbre promoteur d’un traitement à la chloroquine pour soigner les malades de la COVID-19, l’affirme dans une vidéo publiée sur les réseaux sociaux mardi 14 avril.

Depuis plusieurs mois, le patron de l’IHU Méditerranée multiplie les vidéos personnelles et autres interventions médiatiques sur le coronavirus. Et à chaque occasion, il vante les mérites de l’hydroxychloroquine, un médicament contre le paludisme, dans le traitement en bi-thérapie de la COVID-19. Études, contestées, parfois à l’appui.

Et malgré une méthodologie critiquée par ses confrères, le professeur a immédiatement reçu l’assentiment de responsables politiques de droite en France, de Christian Estrosi à Bruno Retailleau en passant par l’ancien ministre de la Santé Philippe Douste-Blazy. Jusqu’à ce que le président de la République ne se déplace jusqu’à Marseille pour le rencontrer avant d’affirmer, ce mercredi 15 avril, que le traitement de cette sommité devait être “testé.”

Seulement en attendant les résultats probants - ou non - de nouvelles études scientifiques, l’attrait médiatique et politique autour de la chloroquine provoque déjà des effets sur le terrain. Et ils ne sont pas tous positifs.

La recherche scientifique grippée?

Premier effet pervers de cet engouement: il freine la recherche d’autres traitements. “Il y a un tel tapage irrationnel que certains patients refusent d’être enrôlés dans l’essai Discovery parce qu’ils ne veulent pour traitement que de l’hydroxychloroquine”, s’inquiète par exemple l’infectiologue Xavier Lescure à propos du programme de recherche scientifique européen portant sur plusieurs traitement différents.

Pour ce professeur officiant à l’hôpital Bichat à Paris, comme pour l’urgentiste Mathias Wargon, Didier Raoult fait en réalité “perdre du temps” à la recherche. À cause de sa communication, mais également de ses essais parcellaires.

Contacté par Le HuffPost France, le chef de service des urgences du centre hospitalier de Saint-Denis qualifie de “lamentable” la méthodologie mise en place par le professeur marseillais. “Sa première recherche sur une vingtaine de patients est soit à pleurer de rire, soit très drôle”, cingle l’urgentiste pour qui ces études ont “retardé la conclusion” sur l’efficacité ou non du traitement à l’hydroxychloroquine.

Mêmes reproches du côté de Timothée Abaziou, anesthésiste-réanimateur à l’hôpital de Toulouse. “Didier Raoult semble être convaincu que l’hydroxychloroquine marche. Mais au lieu d’en faire profiter tout le monde, il n’a pas fait l’étape de l’essai clinique. Nous on est bien obligé de se montrer réticent, et de demander des preuves”, explique-t-il au HuffPost.

D’autant plus dommageable pour ces soignants, que l’attitude de l’infectiologue marseillais pourrait avoir des conséquences dans la durée sur la recherche scientifique. Mathias Wargon pointe par exemple la publication récente d’un essai clinique à la méthodologie douteuse -sans groupe de contrôle notamment- dans le New England Journal of Medicine, une des revues scientifiques les plus côtées. “On est parti dans du grand grand n’importe quoi. (...) il y a quelques semaines jamais ça serait paru”, s’inquiète-t-il.

Mais avant même de voir si ces craintes d’une “jurisprudence scientifique” sont fondées, reste que l’engouement autour de l’hydroxychloroquine semble avoir des répercussions dans les hôpitaux, dès maintenant. Les patients souhaitant être soignés avec le protocole du professeur Raoult se multiplient dans les services d’urgence, au grand dam de certains professionnels.

La crainte d’une décridibilisation de la médecine

“Il y a eu des conséquences pour nos rapports aux malades et aux familles, qui nous ont demandé parfois de manière très véhémente de prescrire de l’hydroxychloroquine, en nous menaçant de procès si nous ne le faisons pas”, raconte Damien Barraud, un médecin réanimateur à Metz-Thionville au site La Marseillaise. Et de poursuivre: “entre le stress et la pression, cette polémique a généré une ambiance pesante, dont nous nous serions bien passés tant le climat était déjà difficile.”

Même chose à Toulouse. La situation sanitaire à beau être moins dramatique que dans la région grand-est, l’attrait de l’hydroxychloroquine provoque également des nouveautés. “Les familles demandent à ce que leurs proches soient traités avec le protocole de Didier Raoult. C’est une des premières fois que ça arrive toute pathologie confondue, d’ordinaire les patients ne connaissent pas les traitement”, nous explique Timothée Abaziou.

Un phénomène que Mathias Wargon n’observe pas encore en Seine-Saint-Denis. Mais pour lui, comme pour les professionnels de santé contactés par Le HuffPost, la situation fait courir le risque d’une nouvelle décrédibilisation de la médecine.

Reste qu’il apparaît difficile pour les soignants sur le terrain d’expliquer aux malades pourquoi, en raison d’études parcellaires, ils ne peuvent leur donner de l’hydroxychloroquine malgré l’engouement politique et médiatique autour du traitement.

“On voit que les professionnels de santé ne font pas le poids face aux experts”, regrette Timothée Abaziou: “les gens se disent, Didier Raoult est un expert, il sait. Mais ce qu’il faut comprendre c’est que cet expert est expert dans des pistes de recherches, mais nous, en tant que professionnel de santé on sait lire les preuves.”

Le remède miracle, pour ces soignants? Que les responsables politiques retrouvent le silence qu’ils auraient dû garder à propos de l’efficacité ou non de l’hydroxychloroquine. “Le traitement est médiatisé par des gens qui ne sont pas médecins et qui n’apportent pas les bons conseils aux gens, ça c’est problématique”, juge Justin Breysse de l’intersyndicale des internes. Et Mathias Wargon d’ajouter: “moi je ne vais pas expliquer à un homme politique comment on gagne des élections ou comment on gère l’économie.”

Ce texte a été publié originalement dans le HuffPost France.

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