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Départs en vacances: pourquoi sommes-nous autant attachés à nos congés estivaux?

Qu'est-ce que tu fais pour les vacances?
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Pourquoi sommes-nous aussi attachés aux
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VACANCES - Souvenez-vous, c'était en 1988. David et Jonathan se demandaient ce que nous avions prévu pour la période estivale, nous rappelant au passage qu'ils n'avaient pas déménagé depuis l'année précédente. Le duo était alors sacrément attaché à sa routine, comme les millions de Français qui partent chaque année sur l'autoroute du soleil en juillet et en août.

Les grandes vacances en France sont une institution. Vous avez remarqué? Bien souvent, on ne vous demande pas si vous partez en vacances mais plutôt quand et où. Pourtant, de nombreux Français ne peuvent pas se permettre de partir quand d'autres plus chanceux préfèrent partir hors saison.

Cette année encore, les départs des Français pour leur lieu de villégiature sont à l'origine de gigantesques bouchons. Dans l'imaginaire commun, les "grandes vacances" sont un pèlerinage, un passage obligé, même si ce n'est que le temps d'un long week-end.

Les congés payés de 1936 presque aussi importants que la Révolution de 1789

À l'origine des vacances, il y a les vendanges et les travaux à la ferme. Le concept de loisirs n'existe pas. L'école s'arrête quinze jours pour que les bras des adolescents puissent prêter main forte à leurs parents. Les vacances sont fixées par le préfet en fonction des impératifs agricoles. Ce sont les aristocrates anglais qui au XVIII et surtout XIXe siècle mettent à la mode la cure thermale dans la Manche et sur les bords de l'Atlantique, avant d'investir la Côte d'Azur.

"Ils exploitent la tradition aristocratique de se cultiver soi-même, explique André Rauch, auteur de la Paresse, Histoire d'un péché capital interrogé par Le HuffPost. Les vacances deviennent un idéal de rentier." Un idéal qui va en 1936 devenir réalité grâce à la généralisation des congés payés à tous les employés français. "Dans l'imaginaire commun, les congés payés de 1936 sont presque aussi importants que la Révolution de 1789" analyse André Rauch.

Un bienfait dont les écoliers bénéficient aussi. Ils étaient à l'époque en vacances le 1er août. Les congés payés commençant mi juillet, ils quittent l'école au même moment que leurs parents et gagnent ainsi 15 jours de plus. Dans les autres pays européens par exemple, il n'existe pas une date comme 1936, les négociations se sont faites progressivement. À l'époque, ce n'est pas une ruée vers les plages mais vers la campagne la plus proche. Peu de Français profitent des billets de train à tarif réduit pour traverser l'Hexagone et aller voir la mer.

On part en vacances avec des personnes qui nous ressemblent

Il faut attendre les années 50. À mesure que les Français investissent dans leurs vacances estivales, les installations et les infrastructures de transports se développent. L'heure est au tourisme de masse. Les modèles de voitures deviennent plus accessibles, les autoroutes fleurissent et avec elles, les embouteillages si redoutés. En 1950, 57 % des départs en vacances s'effectuent désormais en voiture. C'est l'heure des premiers "chassés-croisés des juillettistes et des aoûtiens". Avant de devenir un simple trajet, le voyage en voiture est d'abord une aventure et fait partie à part entière des vacances.

Les villages vacances et clubs se lancent avec succès, comme le Club Med en 1950. Les Français recherchent alors l'entre-soi plus que l'exotisme: "On choisit ce genre de formules pour se retrouver avec des gens qui nous ressemblent politiquement et socialement et qui partagent les mêmes centres d'intérêt", explique André Rauch. Les départs massifs début juillet et début août continueront ainsi pendant une trentaine d'années avant que les vacanciers se mettent à fuir la foule estivale.

Les vacances, une pause pour la majorité

Progressivement, les congés se répartissent différemment sur l'année. On fractionne ses vacances, on cherche à se différencier de ses voisins. "Jusqu'à la fin des années 80, il existait un certain plaisir à partir tous en même temps, certes, il y avait du monde sur la route, mais nous y étions tous ensemble", constate André Rauch. En 1967, le sociologue Claude Goguel estimait que lors de la première semaine d'août, pas moins de 10 millions de Français partaient en vacances en même temps, une chose "impensable dans d'autres pays", écrivait-il à l'époque dans un article paru dans la revue spécialisée Persée. Dans les années 90, alors que les billets d'avion deviennent accessibles, les destinations se diversifient. On recherche l'exotisme.

Mais les grandes vacances ne perdent pas de leur ADN pour autant, elles restent un pèlerinage pour de nombreux français qui profitent de l'été pour retourner dans leur famille dans une autre région ou un autre pays, en particulier les pays du sud de l'Europe comme l'Espagne, le Portugal et l'Italie ou les pays du Maghreb. Outre la détente, ces vacances sont aussi l'occasion de retrouvailles, "les vacances d'été créent de vrais lieux de parole", affirme André Rauch. Entre générations, entre cultures, les Français se redécouvrent pendant cette période.

Un impératif social que tout le monde ne peut pas s'offrir, surtout en temps de crise. Mais alors que se passe-t-il lorsqu'on ne part pas en vacances faute de moyens? Perd-on un peu de son identité française en chemin? "Ne pas partir l'été est un vrai handicap en France. C'est un vrai facteur d'exclusion sociale", déplore André Rauch. C'est Gaston Defferre, maire de Marseille et ministre de l'Intérieur qui le premier a compris ce que cela pouvait représenter. "Il a pris le problème en main en organisant une journée à la mer pour les enfants dont les parents ne pouvaient partir en vacances", se souvient André Rauch. Une opération qui est renouvelée chaque année à l'échelle locale par différentes associations. Le Secours Populaire par exemple organise pour 50.000 enfants par saison depuis 1999 les journées des Oubliés des vacances.

Malgré ce genre d'initiatives, il semblerait que nos chères grandes vacances soient en danger. Deux raisons au moins pour expliquer ce phénomène. C'est de l'école que pourrait venir le danger: en février 2014, alors qu'il était encore ministre de l'Education nationale, Vincent Peillon avait lancé l'idée de raccourcir les vacances de deux semaines. Cette annonce s'inscrivait dans une réforme plus large des rythmes de scolaire. Si la proposition avait été assez mal reçue, elle revient à intervalle régulier, surtout depuis l'intérêt grandissant pour la chronobiologie, une science qui étudie les rythmes biologiques.

La faute ensuite au monde du travail qui accroît la pression sur les salariés. "Les États-Unis sont notre triste futur en matière de vacances", estime André Rauch. La durée des vacances se réduit peu à peu, elles deviennent moins systématiques. Les Américains ont bien moins de semaines de congés payés que nous, ils préfèrent pour garder leur emploi, partir en vacances le moins possible. Nous sommes encore très loin de ce modèle, les chassés-croisés des juillettistes et des aoûtiens ont encore de beaux kilomètres d'embouteillages devant eux.

Ce texte a été publié originalement dans le HuffPost France.

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