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Derrière le prix des livres, l'enjeu de la bibliodiversité

L'objectif de la commission sur la réglementation du prix de vente au public des livres neufs est d'étudier la possibilité de recourir à un prix de vente fixe et non libre. Une mesure déjà adoptée par certains pays tels que la France, Israël, le Mexique et envisagée par d'autres comme le Brésil et la Pologne.
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Depuis lundi dernier, siège une commission parlementaire, fort suivie par tout le milieu littéraire. Il s'agit de la Commission parlementaire sur la réglementation du prix de vente au public des livres neufs imprimés et numériques. L'objectif de cette commission est d'étudier la possibilité de recourir à un prix de vente fixe et non libre, mesure déjà adoptée par certains pays tels que la France, Israël, le Mexique et envisagée par d'autres comme le Brésil et la Pologne.

Le sujet a déjà été l'occasion de débats. N'a-t-on pas été, sur un blogue du Huffington Post, jusqu'à qualifier cette possibilité de mesure visant à avantager le cartel des librairies et à comparer explicitement la situation à celle qui prévaut dans l'attribution des contrats municipaux dans le domaine de la construction? Effets rhétoriques un rien outranciers, me semble-t-il.

Depuis, l'Institut économique de Montréal et l'Institut de recherche et d'informations socio-économiques ont tous les deux évoqué la possibilité d'une augmentation du prix des livres. Sauf que, pour l'IEDM, cela se produirait dans un marché où le prix des livres subirait les effets d'une réglementation. Pour l'IRIS, ce serait dans le cas où il n'y aurait pas de réglementation. Pour le néophyte en matière économique, c'est à y perdre son... français! Sauf que, selon Michel A. Lasalle, qui a agi comme consultant pour le compte de l'Association des libraires du Québec, il semblerait bien que la réglementation serait une bonne chose pour l'industrie du livre dans sa totalité, et qu'elle le serait tout autant pour le consommateur.

Disons d'abord une chose; le consensus à l'heure actuelle dans le milieu du livre, est de suggérer qu'au cours des 9 mois suivants la parution d'un livre, les commerçants puissent offrir à leurs clients un rabais maximal de 10% sur le prix de vente suggéré et qu'après ces neuf mois, la liberté de prix (et de rabais) devienne entière. Il ne s'agit donc pas de légiférer sur une augmentation du prix des livres, mais sur une mesure limitant les rabais. Si, théoriquement, les librairies peuvent présentement offrir des rabais plus substantiels, cela ne leur est pas possible dans la pratique, la concurrence étant trop élevée à l'heure actuelle et leur marge de profit, trop exsangue. La faute en revient aux grandes surfaces qui peuvent consentir des réductions importantes sur les livres, quitte à vendre à perte, attirant ainsi des clients qui leur achèteront sans doute d'autres choses sur lequelles elles récupèreront, largement, leur mise.

Or, ce que vendent ces grandes surfaces, ce sont des best-sellers, uniquement. Elles offrent donc un nombre limité de titres, mais une quantité impressionnante de copies de chacun. La librairie, elle, tient de tout: des best-sellers, des nouveautés et une collection de livres de fonds. Mais c'est essentiellement sur la quantité de best-sellers vendus qu'elle tire son profit. Si ce marché lui est contesté par des entreprises pouvant se permettre de faire du dumping, alors son existence devient extrêmement précaire.

Pour le consommateur, cela se traduit en une perte importante de la bibliodiversité. N'en déplaise à l'Institut économique de Montréal, le prix des livres a moins augmenté dans un pays comme la France, qui a adopté des mesures de réglementation qu'en Angleterre qui s'était dotée d'une telle loi pour ensuite l'abandonner. Ainsi, en Grande-Bretagne comme aux États-Unis et en Australie, le marché du livre semble tranquillement évoluer vers une situation de réduction de l'offre, avec la disparition, pour cause de faillite ou de restructuration importante, non seulement de petites librairies, mais de grands groupes éditoriaux aussi.

En Angleterre, le prix des livres a même subi une augmentation supérieure à l'indice des prix à la consommation, les éditeurs ayant résolu, pour compenser, d'augmenter le prix de vente au détail (prix de détail suggéré). On peut aussi supputer ce qu'il adviendrait du prix des livres si le travail de leur édition et de leur mise en marché faisait l'objet d'une certaine concentration dans les mains d'un nombre limité de grandes entreprises ayant financièrement épuisé la concurrence et qui misent sur une rentabilité à court terme.

Si une telle réglementation devenait réalité, est-ce que cela signifierait que les grandes surfaces se retireraient du marché du livre? Là, c'est le cas du Mexique qui est instructif. Suite à l'adoption d'une loi encadrant la vente des livres et leurs coûts, les grandes surfaces ont continué à offrir des livres, même si certains grands supermarchés et hypermarchés étaient défavorables à la Ley de Fomento para la Lectura y el Libro, adoptée en 2008.

Tous ces exemples nous portent à croire qu'il est difficile de prédire une hausse de prix des livres dans le cas où des mesures de réglementation seraient adoptées. Et ça ne prend pas non plus la tête à Papineau pour s'inquiéter du manque de diversité des titres dans le cas où le statu quo serait maintenu.

Il semblerait que non seulement toute l'industrie du livre québécois - qui représente une main-d'œuvre de 12 000 employés et un chiffre d'affaires avoisinant les 800 millions - bénéficierait des effets d'une réglementation, mais qu'à long terme, le consommateur en sortirait lui-même gagnant.

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