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Des mandats illimités pour le président Xi Jinping

Devrait-on se montrer outré ou surpris de ce qui se passe en Chine?
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AFP/Getty Images

Les médias chinois rapportaient à la fin février que le Parti communiste chinois (PCC) voulait lever la limite de deux mandats présidentiels (10 ans) à la tête du pays et l'Assemblée du peuple a entériné cette proposition ces derniers jours.

Ce n'est pas une surprise! Pas plus que le concert médiatique qui, en Chine, a accueilli favorablement cette annonce, en droite ligne avec les décisions du congrès de novembre 2017. Je mentionnais cette possibilité dans mon blogue du 27 octobre dernier et ma lecture de divers signes, depuis quelques années, m'ayant amené à cette prédiction.

Un signe des temps

Et si les médias en Chine plaident que l'évolution du pays et du socialisme chinois dicte cette orientation, je dirais que c'est encore plus un signe des temps.

Des ONG comme Human Rights Watch, Freedom House, qui note le pire recul de la démocratie depuis des décennies, ou encore l'Economist Intelligence Unit, ont bien documenté ce recul et la montée des autoritarismes populaires dans leurs plus récents rapports.

Quiconque lit les nouvelles est à même de voir que les libertés, dans le sens où nous les entendons en Occident, battent en retraite partout dans le monde. De nombreux livres (par exemple, Edward Luce, Condoleezza Rice ou un ouvrage collectif) ont été consacrés à ce sujet dernièrement. Est-ce une erreur de croire ces concepts universels et transférables à toutes les sociétés? C'est un autre débat! On y reviendra peut-être dans un autre blogue.

En attendant, les dérives antidémocratiques dans de nombreux pays européens (Espagne, Hongrie, Pologne, etc.) et le glissement vers le totalitarisme d'autres (Russie, Turquie) interdisent aux Européens de se faire donneurs de leçons. Et que dire de la détérioration sociopolitique des États-Unis! Il aurait été surprenant, étant donné le penchant évident du président Trump pour les hommes forts, qu'il se montre outré des nouvelles venant de Chine; d'ailleurs, il a trouvé l'idée de présidence à vie plutôt géniale.

D'ailleurs, devrait-on se montrer outré ou surpris de ce qui se passe en Chine? L'expérience historique nous montre que, dans les endroits où des limites de mandats présidentiels existaient, sur le modèle américain, principalement en Amérique latine, que les régimes soient de droite ou de gauche, la tentation de dépasser les limites constitutionnelles a souvent été présente et que presque tous ces pays ont connu des crises politiques graves (ex. Bolivie, Panama, Venezuela, Honduras, Pérou, Haïti, Équateur, Nicaragua, etc.) à la suite de tentatives visant à abolir celles-ci.

Idem pour l'Afrique où les dictatures à vie ont été monnaie courante et où les détournements constitutionnels semblent souvent un mode de gouvernance. Et que dire du Moyen-Orient où les dictatures se forment et se reforment aussi fréquemment que les dunes du désert.

En général, pour se donner un vernis politique, les régimes ayant tenté de modifier les règles du jeu ont cherché à obtenir l'aval de la population à ces modifications constitutionnelles via des consultations populaires, à valeur démocratique variable, se déroulant, en général, dans des conditions où le résultat était prévisible.

Nos régimes et les limites constitutionnelles aux mandats électifs

Une précision importante s'impose, contrairement à ce qu'ont laissé entendre plusieurs médias occidentaux, il ne s'agit pas formellement d'une « présidence à vie », mais de l'abolition des limites de mandats, lesquels devront être renouvelés dans le cadre des instances du PCC. Certes, il serait surprenant que le Parti désavoue son leader et on peut penser que le président demeurera aux commandes à son bon plaisir.

En revanche, on est parfaitement en droit de s'interroger sur la sagesse des mandats illimités, mais, avant de trop rapidement juger la Chine, réfléchissons un moment sur la longévité dans nos propres régimes politiques.

Dans la plupart des démocraties de type britannique, aucune limite de mandat, à quelque niveau que ce soit, n'est appliquée.

Dans la plupart des démocraties de type britannique, aucune limite de mandat, à quelque niveau que ce soit, n'est appliquée. Et si une certaine alternance se produit au niveau national ou des provinces, certains de nos maires ont eu presque la qualité d'éternels!

Les « politiciens de carrière » en France, incrustés dans le paysage politique depuis des décennies et cumulant les mandats (municipaux, départementaux, régionaux et nationaux) ne se comptent pas. En Allemagne, les Adenauer, Kohl et Merkel n'ont eu aucune gêne à solliciter plusieurs mandats à la chancellerie. D'autres politiciens européens auront duré aussi et même plus longtemps.

Chez nos voisins américains, sauf pour la présidence, et seulement après que Franklin Roosevelt ait été élu quatre fois, les limites de mandats au Congrès et dans les institutions fédérales n'existent pas. Il n'est pas rare de voir des sénateurs ou des représentants siéger pendant des décennies à Washington, où 110 auront eu des carrières politique s'étalant sur 36 à 59 années au total, longévité favorisée, notamment, par le gerrymandering, pratique douteuse, mais bien établie, que je traduirais par « tripotage des limites des circonscriptions ».

Certes, on dira que ces mandats s'obtiennent dans le cadre de régimes démocratiques bien établis. Mais même cet imprimatur n'est pas gage d'un processus sans faille, que l'on pense seulement à l'argent et aux lobbies, plus ou moins occultes, de toutes sortes, qui pervertissent le système politique dans plusieurs démocraties. Et les dirigeants chinois, eux, vous diront que le PCC est une expression de la démocratie populaire, différente des démocraties occidentales, mais convenant mieux au contexte de la Chine. D'ailleurs, sur ce plan, les médias chinois non seulement défendent la ligne officielle, mais, de plus en plus, dénoncent les systèmes démocratiques occidentaux comme menant au chaos.

Dans le fond, la différence tient, non pas au nombre de mandats ou encore à la possibilité de longévité politique, mais, plutôt, au mode d'élection ou de sélection des leaders politiques et au cadre démocratique au sein desquels les sociétés fonctionnent. Et là des différences importantes existent et des améliorations sont souhaitables partout.

Éviter que la démocratie ne se transforme en mirage

Ce que les printemps arabes nous enseignent est que, si la démocratie de type occidental, malgré les imperfections dans son application, peut être un idéal à viser, la mise en place de régimes vraiment démocratiques doit être accompagnée d'institutions fortes (la séparation des pouvoirs, l'État de droit s'appuyant sur un système judiciaire indépendant, une presse libre et une société civile vivace). Surtout, pour éviter la déception qui vient avec les mirages qui s'évanouissent à l'horizon une fois que l'on croit le but atteint, la démocratie doit être un fruit que l'on cueille après l'avoir cultivé et, surtout, l'avoir constamment nourri et avoir entretenu l'arbre qui le porte. Ce qui veut dire qu'elle ne peut s'implanter complètement du jour au lendemain!

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