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Un petit coup de main pour commencer ma carrière d'enseignant

ENSEIGNER AU 21e SIÈCLE - J'ai commencé et j'enseigne encore à des jeunes aux prises avec un trouble du comportement. Et depuis, en dépit des crises, les murs ont été épargnés. Heureusement, avec la moisissure, les souris, l'amiante...
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J'ai commencé à enseigner il y a neuf ans.

Quand le film de ma première année complète d'enseignement commence à défiler, je me plais à revenir en arrière, durant le mois de juin précédent. Revenir à mon tout premier contrat: 24 jours. Revenir absolument, par nostalgie, pour revoir mes véritables débuts, bien campé à l'avant d'une classe intimidante, à ma deuxième semaine, dans un groupe d'ISPMT, un ancien programme d'insertion sociale et de préparation au marché du travail, pour des jeunes de 15 - 16 ans ayant accumulé un très grand retard scolaire.

À chaque fois, la scène commence au même moment. J'aperçois un bonhomme avec qui j'avais rapidement développé une complicité inexpliquée, un bonhomme vif d'esprit qui se lève subitement, après une courte altercation avec un autre élève, qui se lève plein de colère et qui perce le mur à ses côtés avec son poing, juste avant de s'éclipser. Les yeux écarquillés, je réagis en bougeant vers l'avant, par réflexe, mais les élèves se sont déjà levés, pour bloquer l'autre qui l'a provoqué. Jamais je n'avais imaginé qu'on pouvait trouer un mur du poing en pleine classe. Mais, je me suis dit, mieux vaut le mur que le visage de l'autre, non? Le plus perturbant a été le fait que pour les autres élèves, c'était presque banal. Même lui semblait habitué, car quand je suis allé lui demander s'il était blessé, visiblement, ma question était ridicule.

Bien que c'était du placoplatre, assez fragile merci, à l'époque, j'étais impressionné. Et quand j'y repense, je le suis encore, car j'ai vu des outils faire ça, mais jamais une main.

La semaine suivante, mon bonhomme revenait rencontrer la direction pour réintégrer la classe. On a échangé un sourire entendu, mais il était gêné, presque honteux. Il a terminé notre échange visuel en regardant le sol. J'aurais voulu lui dire quelque chose, mais quoi? J'étais jeune, je commençais et je comprenais à peine ce qui se passait. Alors je l'ai quitté, pour entendre, quelques minutes plus tard, la vitre de la porte d'entrée voler en éclats. Son retour s'était mal passé.

Je ne l'ai jamais revu. Pourtant, ce jeune, qui m'avait adopté comme 3e remplaçant immédiatement, qui m'avait accordé ma chance et qui me supportait ouvertement, m'avait permis d'affronter une classe qui m'effrayait. Son acceptation avait poussé les autres à faire de même. Alors, quand je le revois dans mon film et qu'il baisse son regard, juste avant de démolir la porte d'entrée, près du secrétariat, je lui dis merci. Je lui dis à chaque fois.

«Ils continuent de se lever, tous les matins, malgré des échecs répétés. Des échecs qui très souvent, ne sont que l'incontournable résultat de décisions tant administratives que budgétaires qui ne prenaient pas en compte leurs véritables besoins.»

Et très franchement, je souhaite que tu sois encore en vie, parce que tu m'as aidé à devenir l'enseignant que je suis aujourd'hui. La confiance instantanée que tu m'as accordée est inestimable et je la conserve précieusement. Elle m'a poussé dans le dos et m'a permis de quitter la berge pour voguer chaque année dans cet océan captivant que sont les élèves en trouble du comportement. Je dis captivant, car en les côtoyant, on comprend à quel point la vie n'est pas tendre parfois, mais on voit quotidiennement à quel point ils sont souvent l'exemple même de la persévérance. Ironique, étant donné que près de 85% d'entre eux vont décrocher.

Pourtant, traverser les années en étant différent, en se sachant différent parce qu'on a un plan d'intervention ou parce qu'on est dans une classe spécialisée, et faire avec, des fois avec le peu d'outils qu'on a pour accepter la réalité, c'est admirable. Ils continuent de se lever, tous les matins, malgré des échecs répétés. Des échecs qui très souvent, ne sont que l'incontournable résultat de décisions tant administratives que budgétaires qui ne prenaient pas en compte leurs véritables besoins. Ce sont ces mêmes décisions qui, après les avoir placés devant un mur, continuent de leur répéter: faut pas lâcher. Vous irez loin. Car derrière plusieurs troubles du comportement se cache une autre difficulté, tant langagière qu'intellectuelle, neurologique, affective ou autre, qui n'a pas été supportée ou identifiée assez tôt, assez adéquatement. Alors, pour survivre dans la jungle scolaire et bâtir, comme les autres, leur estime, ils ont développé des outils et des habitudes inadéquates.

J'ai commencé et j'enseigne encore à des jeunes aux prises avec un trouble du comportement. Et depuis, en dépit des crises, les murs ont été épargnés. Heureusement, avec la moisissure, les souris, l'amiante...

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