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Le difficile chemin d’acceptation de Bilal Hassani, «gay totem» malgré lui

La vie du jeune chanteur français n'est pas un long fleuve tranquille, mais elle lui a appris à devenir qui il est aujourd'hui.
Fifou

On ne choisit pas d’être un symbole. Du haut de ses 19 ans, Bilal Hassani a tendance à être érigé comme tel. Son apparence y est pour beaucoup. De la tête aux pieds, celui qui est arrivé 16e à l’Eurovision cultive un look bien à lui, symbole de son identité.

Il a le teint qui rayonne et la mine éblouissante. Il aime le maquillage et reçoit de temps en temps des injections pour masquer la bosse sur son “pif”. Comme pour ses nombreuses perruques, qui font partie intégrante de son personnage de scène, tous ces artifices le mettent en confiance.

Conscient de l’image qu’il renvoie, loin des codes traditionnels liés à la masculinité, le jeune homme, qui a sorti son premier disque au mois d’avril, se définit comme “un électron libre”. Même si l’idée de faire évoluer les mentalités lui plaît, Bilal Hassani n’a aucune envie de faire de son allure androgyne un message politique. “I’m so not political, oh my god, prononce-t-il dans un anglais parfait. Je suis jeune, je ne suis pas assez informé. Je ne suis pas assez responsable pour être le porte-parole de qui que ce soit.”

Une assurance bien rodée

Son style, le YouTubeur aux 970 000 abonnés l’entretient pour lui. Et pour lui seul. Point. Cette assurance n’est pas innée. Elle est le fruit d’un travail entamé depuis son plus jeune âge pour s’accepter, lui et toutes les facettes qui le composent. Bilal Hassani vient d’une famille où les mots “bienveillance” et “respect” règnent.

Ni son frère, ni sa mère – aujourd’hui sa manager – ne l’ont un jour jugé. “Ils ne m’ont jamais donné l’impression d’être bizarre. Et ce, même lorsque je dansais ou portais des chiffons sur la tête”, témoigne celui qui assume haut et fort son côté “efféminé” selon ses mots.

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Se maquiller et se coiffer sont deux des passions qu’il entretient depuis ses plus tendres années. Outre son espoir d’entamer une carrière de pop star, le jeune homme explique avoir toujours rêvé d’une seule chose: de longs cheveux lisses qui flottent dans le vent. “Il fut un temps où je me faisais des brushings, un week-end par mois. J’avais l’impression de ressembler à Claire Chazal, se souvient-t-il des étoiles dans les yeux. J’adorais ça.”

L’impression d’atterrir sur une autre planète

La sécurité du cocon familial n’a pas duré. Comme tous les enfants, il lui a bien fallu faire son entrée à l’école. Pour lui qui pensait que tous les petits garçons aimaient aussi danser et chanter devant leur miroir, c’est la désillusion. Pire, il a l’impression d’être sur une autre planète. Un territoire inconnu où personne ne le comprend.

Conséquence immédiate, il se renferme sur lui-même jusqu’à la fin du collège. C’est “la pire des périodes” pour l’adolescent qu’il a été. Bilal Hassani est gay. Il le sait depuis ses 6 ans, date à laquelle il est tombé amoureux pour la première fois. C’était d’un certain Kevin, un petit garçon “trop mignon”. Il le garde encore pour lui à ce moment-là de sa scolarité.

Ce secret ne l’a pas protégé, ni empêché d’être stigmatisé. “On n’arrêtait pas de me demander si j’étais gay avec dégoût”, se souvient Bilal Hassani. Ces voix résonnent encore dans sa tête. Elles sont intactes. Elles l’ont marqué. Un jour, il décide de leur répondre. “Oui ”, lance-t-il à l’un de ses harceleurs.

Un coming-out contre son gré

Il s’en rappelle comme si c’était hier. “J’avais 12 ans, j’étais en cinquième, se remémore-t-il. Lui, c’était un petit garçon aux cheveux roux. On était à côté du réfectoire. Je lui ai cloué le bec en lui répondant ça. Il n’a pas su quoi dire.”

Petite victoire sur le moment, elle ne l’est pas à ses yeux aujourd’hui. Ça le met en colère. ”Ça n’a pas été libérateur, explique le jeune homme avant d’évoquer avoir eu l’impression de se faire couper l’herbe sous le pied. Moi, je rêvais de quelque chose de plus épique. Comme quoi, on ne choisit pas sa famille, on ne choisit pas non plus son coming-out.”

Quelques années plus tard, il en parle à son frère, puis à sa mère. Tous les deux réagissent très bien malgré quelques maladresses. “Elle m’a proposé d’aller faire du shopping deux jours plus tard”, s’amuse-t-il. La vraie libération a lieu le 23 juin 2017, la veille de la pride parisienne. Ce jour-là, il publie sur YouTube une ballade intitulée “Hold Your Hand”, dans laquelle il parle ouvertement de son homosexualité. Elle fait un carton. Bilal n’a alors que 17 ans. Et déjà, Internet sait qui il est.

“Je ne suis tranquille nulle part”

Rançon du succès, Bilal Hassani est régulièrement la cible de propos racistes et homophobes, sur les réseaux sociaux comme dans la vraie vie. “J’essaye de rester positif”, confie ce dernier en recoiffant de ses doigts les boucles ondulées de sa perruque blonde. Il ne prend plus les transports en commun et se déplace uniquement en taxi. Mais pas en Uber. Les chauffeurs ne veulent plus le prendre. La cause? Une moyenne trop basse imputée à son apparence, “alors que je suis la personne la plus aimable, regrette le garçon. Je ne suis tranquille nulle part.”

Au mois de novembre dernier, le cyberharcèlement a pris une tout autre ampleur. Après la publication d’une vidéo où il interprétait “Djadja” d’Aya Nakamura, il reçoit une vague de commentaires haineux et des messages allant jusqu’à souhaiter sa mort. Les références aux attentats terroristes survenus à Orlando, en 2016 dans une boîte gay, et au Bataclan, en 2015, interpellent les députés Raphaël Gérard et Gabriel Serville. Ils exigent de Twitter plus de vigilance.

Ne jamais baisser la garde

Bilal, lui, porte plainte. Il est heurté. Sa mère, aussi. Après avoir remporté son billet pour représenter la France lors du concours de l’Eurovision, il est de nouveau la cible d’insultes violentes. En seulement quelques jours, il aurait reçu pas moins de 1500 tweets haineux, note Urgence Homophobie.

Cette fois, Amina Hassani prend le micro et s’exprime sur Europe 1. Elle alerte les parents d’enfants victimes d’homophobie: “L’amour, c’est l’accepter comme il est et ne pas vouloir faire de lui ce que nous sommes. C’est tout. C’est l’observer, l’accepter et l’aider à s’accepter.” Sa voix tremble. Bilal, lui-même, est ému. “Elle n’a pas à subir ça”, concède-t-il plein de colère.

Il est rare, très rare de le voir dans cet état. Baisser la garde n’est pas dans ses habitudes. Cela ne veut pas dire pour autant qu’il n’est jamais triste. “Bilal la ‘drama queen’, ça existe aussi, assure-t-il. Il n’y a qu’avec ma mère qu’il n’y a pas de filtre. Il n’y a qu’avec elle, et parfois mon copain, que j’ai ces moments de vulnérabilité. Je n’ai pas envie de le montrer à qui que ce soit d’autre.”

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Soucieux de ne pas importuner ses proches, il préfère garder ses problèmes pour lui. Écrire des chansons le libère de sa colère. Ça lui permet d’extérioriser. C’est au lendemain de “Destination Eurovision” que l’idée lui est venue de composer son titre “Jaloux”, un morceau fort dont les paroles énumèrent toutes les remarques qu’il se prend en pleine tête. “J’aimerais te voir mourir, tu ne mérites pas d’être bien”, chante le jeune interprète formé dans une école de comédie musicale parisienne.

Faire évoluer les mentalités sans être un “gay totem”

Heureusement, ses abonnés sont là pour lui. La relation singulière qu’il entretient avec eux le soulage. Les retours et le soutien inconditionnel de ses fans lui font comprendre qu’il ne fait pas tout ça pour rien. “It’s worth it”, lâche l’anglophone, touché par le rassemblement qui s’opère autour de lui. Il en est fier. Même si d’après lui, cette unité a des limites.

Car au sein même de la communauté LGBT la division règne. Il est lui-même victime de propos haineux de la part d’autres hommes homosexuels. On lui reproche d’atteindre à l’image des gays. “Regardez monsieur l’hétéro, moi aussi je déteste la tafiole, lance-t-il pour les imiter. Il y a tellement de problématiques, comme la biphobie, la transphobie et la misogynie qu’il faut régler entre nous.”

Bilal va plus loin: “Il faut que les voix changent et évoluent. Certains veulent faire de moi leur ‘gay totem’. Je ne veux pas l’être.” Ce qu’il veut, c’est participer au changement entouré des siens. Il conclut: “J’ai confiance en notre jeunesse. On est une France nouvelle qui a faim, qui a soif, qui a envie de faire évoluer les choses.” Même s’il ne le dit pas, Bilal Hassani est prêt pour la bataille.

Ce texte a été publié originalement dans le HuffPost France.

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