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«Dimanche napalm»: poutine et désillusions

J'aime beaucoup ce que fait Sébastien David. Deux de ses récentes pièces m'ont enchantée et je trouve dans cette voix originale et singulière quelque chose de riche et de rassurant pour le jeune théâtre québécois. J'attendais donc beaucoup de, présenté au Théâtre d'Aujourd'hui.
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J'aime beaucoup ce que fait Sébastien David, Les Morb(y)des et Les haut-parleurs, deux de ses récentes pièces, m'ont enchantée et je trouve dans cette voix originale et singulière quelque chose de riche et de rassurant pour le jeune théâtre québécois. J'attendais donc beaucoup de Dimanche napalm, présenté au Théâtre d'Aujourd'hui qu'il a écrit et mis en scène.

Un jeune homme en chaise roulante avec les deux jambes dans le plâtre sur une scène nue, si ce n'est des éclats de vitre tombés de cette fenêtre qui occupe tout le mur du fond, fenêtre d'où il se serait jeté lors d'une crise de désespoir. De retour chez ses parents, dans une banlieue ordinaire où le paraître est plus important que l'être, où la maison, la voiture et le centre commercial représentent le summum de l'expression de l'identité, le jeune homme (Alex Bergeron) ne dira pas un mot de toute la pièce. À 24 ans, après avoir vécu de façon intense le Printemps érable, après avoir cru que les choses allaient changer suite à cette révolte étudiante, il s'est retrouvé dans le même univers émaillé des mêmes discours, de la même corruption et du même statu quo. Sa révolte s'est emmurée dans ce silence radio.

Son père, sa mère, sa sœur, sa grand-mère et son ex-blonde, Kim, vont et viennent dans sa chambre, pas tellement intéressés à le sortir de son mutisme ou à connaître ses motivations, mais plutôt désireux d'exprimer leur malaise et les failles de leur propre vie. Dans cette suite de monologues, le drame de l'ex-étudiant est évacué et ce qui aurait pu être une réflexion sur la fin et les moyens d'exprimer ses revendications au sein d'une démocratie devient accessoire, le banal prenant le dessus sur l'essentiel.

Comme dans la vie, souvent d'ailleurs: les rêves caressés sont souvent victimes de considérations bassement matérielles et le fait de manger de la poutine le dimanche apparaît comme le sommet des attentes. Après avoir étudié les Sciences politiques, la Philosophie, l'Histoire et le Cinéma, sautant d'un programme à l'autre et toujours sans diplôme, le jeune homme se retrouve avec une dette de quarante- deux mille dollars. Autour de lui sa sœur ado (merveilleuse Geneviève Schmidt à qui reviennent les répliques les plus drôles et les plus percutantes) est toujours en butte à de l'intimidation à cause de son poids à l'école privée où elle va. Son père (un Henri Chassé qui semble un peu décalé par rapport aux autres) vit sa crise de la cinquantaine en prenant une maîtresse. Sa mère (Sylvie Léonard jouant les petites bourgeoises pragmatiques de façon convaincante) veut l'amener à penser que la vie vaut la peine d'être vécue. Sa grand-mère (Louison Danis que l'on ne voit pas assez souvent au théâtre) attend la mort dans sa résidence pour personnes âgées et Kim (une très bonne Cynthia Wu-Maheux) trouve le salut dans le magasinage et dans un avenir formaté.

Mais ça n'a pas fonctionné pour moi. J'avais l'impression d'avoir entendu ce discours des millions de fois, cette critique du monde dans lequel nous vivons, ces reproches à la génération des parents pour qui tout a été facile et qui ont abandonné leurs enfants dans un no man's land idéologique, sans repères et sans outils pour opérer des changements dans le mécanisme d'une société étouffante. Il y a aussi cette allusion, censée être le fil conducteur, à la photo de Nick Ut datant de 1972 de la petite Vietnamienne brûlée par du napalm et qui court sur la route. Bien sûr, nos insupportables souffrances semblent bien légères si on les compare à ce qu'implique cette photo, et aussi au destin des réfugiés syriens, et aux camps de concentration, et au génocide arménien. Et je comprends ce que Sébastien David voulait nous dire, que nous savons déjà d'ailleurs, mais le procédé rempli de lourdeur et de digressions perd de son impact.

Et ce parti-pris du no future dans un contexte qui ne propose rien d'autre sinon la continuité dans ce confort et dans cette indifférence, qui se vautre dans la désillusion et dans le pessimisme tout en souhaitant retrouver le fameux Dimanche Poutine m'est apparu stérile : un exercice dans le nihilisme sans aucune possibilité de lumière. Le tout lié par la glu mortifère de ce fils plâtré et muré dans son silence.

Dimanche napalm : Une création de La Bataille en coproduction avec le Théâtre d'Aujourd'hui, au Théâtre d'Aujourd'hui jusqu'au 26 novembre 2016.

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