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Les amis de la «gauche» se livrent constamment à un jeu funeste, celui de la défonce de la «droite», en particulier du conservatisme. C'est de bonne guerre dira-t-on.
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«Le parti conservateur est, de par sa composition même, le parti le plus stupide.» - John Stuart Mill

Les amis de la «gauche» se livrent constamment à un jeu funeste, celui de la défonce de la «droite», en particulier du conservatisme. C'est de bonne guerre dira-t-on. Le philosophe britannique, John Stuart Mill, député whig (libéral) à la Chambre des communes de Londres, opposé au parti tory (conservateur), a lancé le bal. Il convient toutefois de savoir à quel jeu se livre les adversaires du conservatisme.

Dans son Devoir de philo, paru dans Le Devoir, «Le remède rationaliste de Popper au conservatisme populiste» (15 octobre 2016), Laurent Jodoin, docteur en philosophie des sciences, suit les pas de Mill. Le Devoir de philo de l'auteur n'est qu'une caricature du conservatisme. On connaît le sophisme de la caricature, une argumentation vicieuse visant à exhiber le ridicule d'une position en vue de la rejeter (Exemple: Les femmes ne sont pas les égales des hommes, voyons donc! Avez-vous déjà vu une femme avec de la barbe, du poil sur tout le corps, et un sexe mâle? )

Il en va ainsi de la caricature du conservatisme populiste (à la Donald Trump) que nous offre l'auteur. Tout le monde exècre cette posture en raison de son aberration manifeste. D'ailleurs, le qualificatif «populiste» est déjà nauséabond, «populiste» n'étant qu'un synonyme de «démagogie». C'est ainsi que la version démagogique, ridicule et aberrante du populisme conservateur entache tout le mouvement conservateur tenu dès lors pour l'incarnation de l'«irrationnalisme» achevé, du moins selon l'auteur, lequel s'efforce de nous faire entrer de force sa stratégie vicieuse dans la gorge.

Examinons, d'abord, le rationalisme de Sir Popper. À la différence de Platon, le rationalisme de Popper est qualifié de «critique» ou négatif. Qu'est-ce à dire? Platon, illustre représentant du rationalisme, croyait pouvoir fonder la cité sur la raison absolue. En science, Popper soutient qu'on ne peut justifier une théorie scientifique rationnellement, mais seulement chercher à la réfuter. Une théorie scientifique irréfutable n'en serait pas une. D'où le fameux critère de démarcation popperien entre science et non-science: une science, au sens propre du terme, est réfutable. La science est dite falsifiable, pas la religion ni la métaphysique.

Pour Popper, la démocratie est négative ou critique au sens où elle constituerait une espèce de tribunal populaire permettant de critiquer, voire de destituer ses dirigeants.

Le rationalisme critique de Popper est également à l'œuvre en politique. Selon lui, la démocratie n'est pas rationnellement justifiable en elle-même. En d'autres termes, il n'y aurait pas, comme le croyait par exemple Jean-Jacques Rousseau, quelque chose comme la volonté générale d'un ensemble de citoyens qui constituerait le fondement rationnel de la démocratie. Ainsi entendue, la démocratie ne serait qu'une dictature déguisée de la majorité, ce qu'on appelle la tyrannie de la majorité vis-à-vis la minorité.

Pour Popper, la démocratie est négative ou critique au sens où elle constituerait une espèce de tribunal populaire permettant de critiquer, voire de destituer ses dirigeants. Dans une démocratie négative, il est du devoir de chaque citoyen d'être vigilant et critique. En somme, une démocratie au sens plénier du terme, toujours selon Popper, résulte du jugement du peuple. Ce n'est pas le pouvoir du peuple, par le peuple, selon le mot fameux d'Abraham Lincoln.

Cela dit, toujours selon Popper, une société qui ne résulte pas du jugement du peuple, est une caricature de société. C'est une société fermée. Une société ouverte, au contraire, résulte du jugement de ses citoyens. Une telle société est une société progressiste. Elle appelle le progrès en faisant appel à la raison critique des citoyens. Or, le conservatisme, comme son label l'indique, serait une société fermée. Dans une société fermée, c'est-à-dire conservatrice, on en appelle principalement à la tradition séculaire. Or, qui dit tradition, dit pratiques ne passant pas par le crible de la raison. Donc, un rationalisme critique ne peut endosser par principe le conservatisme.

Le rationalisme critique carbure au progrès. Il en appelle à la raison instrumentale visant à transformer la société en une société ouverte au changement, principalement concernant l'urgence de l'aplanissement des inégalités. La raison doit chercher à transformer le monde et la société vers moins d'inégalités.

Le philosophe finlandais, Georg Henrik von Wright montre, dans Le Mythe du progrès (1987), que la société progressiste, qu'appelle de ses vœux le rationalisme critique ou autre, n'est qu'un mythe. Elle repose essentiellement sur la raison instrumentale. Celle-ci s'oppose à la raison intrinsèque à l'œuvre chez Platon, entre autres. La raison instrumentale se définit beaucoup plus comme une possession que comme une acquisition. Il n'était jamais venu à l'esprit de Platon que la société doive suivre un parcours linéaire et cumulatif, comme c'est désormais le cas à partir du Siècle des Lumières. Au contraire, Platon fut obsédé par l'idée que la société devait se prémunir contre toute déstabilisation ou dégénérescence. D'où le recours à la raison intrinsèque, c'est-à-dire aux fameuses idées ou essences immuables.

Ce que von Wright a montré, c'est que la vision platonicienne de la société fermée avec son mythe de l'immuabilité, ainsi que celle «ouverte» des modernes, visant le progrès, basé sur la raison instrumentale, sont toutes deux des vues de l'esprit - des mythes. Associer la vision ancienne ou traditionnelle de la société au conservatisme est lui aussi une pure vue de l'esprit. On nage dans les eaux vives du mythe. Sir Popper, tout comme bien d'autres avant et après lui, sont de grands mythomanes déguisés en philosophe. Le rationalisme critique de Popper n'est qu'un moteur propulsant vers l'avant le mythe du progrès.

Tout cela, le philosophe britannique de la politique Michael Oakeshott (1901-1990), l'avait bien compris dans son fameux essai «Le rationalisme en politique» (1947). «Par une voie ou une autre », lit-on, «par conviction, du fait de son caractère considéré comme inévitable, par son succès prétendu, et même de manière tout à fait irréfléchie, presque toute politique est aujourd'hui devenue rationaliste ou quasi rationaliste.» Dès lors, la tradition devint suspecte; source d'aliénation, d'oppression, dont il faut évidemment se prémunir. De source de sagesse qu'elle était, la tradition est aujourd'hui rejetée.

Au rationalisme abstrait, Oakeshott oppose un sain scepticisme. Pour Oakeshott, toute philosophie politique n'est que rationalisation à rebours d'une tradition préexistante. Le «conservatisme» que défend Oakeshott est celui de pratiques préexistantes.

Prenons le cas de la fameuse notion de contrat social, si chère à la pensée du libéralisme politique. On la trouve partout chez les penseurs modernes, notamment chez Jean-Jacques Rousseau, auteur d'un classique de philosophie politique, Du contrat social (1762), ainsi que, plus près de nous, chez John Rawls dans sa fameuse position originelle sous le voile d'ignorance. À l'évidence, l'idée que, après les débuts de l'humanité, les hommes, vivant isolés, mais libres, les uns des autres, se soient regroupés pour passer entre eux, toujours librement, un pacte social, relève manifestement de la fable. Pourtant, il est capital, pour la pensée libérale, que l'obéissance que nous devons à l'État libéral provienne d'un serment libre consenti de respecter le contrat social. Voilà, sur un exemple parmi plusieurs, comment le rationalisme réifie la sacro-sainte valeur libérale, la liberté. La pratique traditionnelle des contrats est depuis lors projetée à l'avant-scène de la pensée politique. Le rationalisme réifie cette pratique par l'abstraction en un dogme infaillible.

Le penseur progressiste carbure à la pensée abstraite, rationalisante. Il nage en pleine abstraction en nous y plongeant à notre tour. Il rationalise une pratique libertaire qui avait cours en Europe à partir de la Renaissance. Ce qui nous voudra la fameuse Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. Les droits et libertés deviennent dès lors des hypostases dans le monde merveilleux de la raison. Le penseur conservateur à la Oakeshott n'est pas dupe du stratagème rationaliste. N'est-ce pas là la voie de la sagesse?

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