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L'échec du gouvernement grec n'est pas la victoire de l'Europe

Le résultat des élections grecques était porteur d'un double message. Le gouvernement d'Alexis Tsipras déclarait révolue l'ère de l'austérité imposée par l'étranger. Il adressait un défi aux hérauts de la pensée orthodoxe au sein de l'Eurozone. Un mois plus tard, la réalité rend un verdict cruel.
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Le résultat des élections grecques du 25 janvier était porteur d'un double message. Le gouvernement d'Alexis Tsipras déclarait révolue l'ère de l'humiliation et de l'austérité imposée par l'étranger. Il adressait un défi aux hérauts de la pensée orthodoxe au sein de l'Eurozone. Un mois plus tard, la réalité rend un verdict cruel. La Grèce n'atteint aucun de ses objectifs stratégiques. Son échec n'est cependant pas la victoire d'une Europe qui manque une opportunité de donner un nouvel élan à son action économique et politique.

L'échec du gouvernement grec repose sur quatre facteurs principaux

  • 1. L'impuissance à résoudre des contradictions irréductibles : Vouloir rester dans l'Eurozone et laisser filer les déficits publics; afficher un programme d'extrême gauche et demeurer circonspect vis-à-vis de l'oligarchie économique et religieuse.
  • 2. La très grande vulnérabilité à court terme de son maillon faible : un système bancaire totalement dépendant de la liquidité offerte par la BCE. La BCE est et sera le partenaire le plus exigeant de la Grèce, car elle est une institution régie par un mandat strict et des traités qui ont veillé à la rendre inaccessible à des compromis politiques.
  • 3. Une stratégie de négociation inepte : La Grèce arrivait à la table de négociation avec une main faible : de multiples vulnérabilités financières à très court et moyen terme; une équipe gouvernementale inexpérimentée. Ses négociateurs ont pourtant accumulé les imprudences : provocations et décrédibilisation d'un ministre des Finances finalement écarté des discussions décisives; communications désastreuses avec les médias; insultes répétées à l'égard d'une Allemagne détentrice des clefs de la négociation; très tardive présentation du programme de dynamisation de l'économie grecque.
  • 4. L'opposition unanime et prévisible des autres pays de l'Eurozone : En dehors même d'une exaspération commune vis‐à-vis des méthodes du gouvernement Tsipras, l'Allemagne, la France, l'Espagne et la Slovaquie ont rejeté les prétentions grecques pour des raisons fondamentales, même si elles étaient différentes (orthodoxie générale, protection des finances publiques, refus de créer un précédent politique, pauvreté relative par rapport à la Grèce). Au total, les prétentions grecques étaient immorales pour les pays du nord, coûteuses et politiquement dangereuses pour les pays du sud, injustes pour les pays ayant déjà consenti à des sacrifices et inexplicables pour les pays de l'est européen

Le retour aux réalités est le ferment de nouvelles turbulences politiques en Grèce

Le discours d'Alexis Tsipas était un appel à la fierté grecque et, à certains égards une évocation des vertus mythologiques : une esthétique du combat, la recherche de la gloire et le courage devant l'adversité et un ennemi supérieur en nombre. Le gouvernement pourra certes se prévaloir de l'abandon de la sémantique acceptée par ses prédécesseurs. La Troika disparaît au profit "des institutions", le "mémorandum" est remplacé par une liste de réformes "librement" décidées par les Grecs. Mais les termes figurant dans la "lettre grecque" sont très précis et très durs. Au-delà des promesses toujours spéculatives de nouvelles rentrées fiscales, ils évoquent une réforme de la taxe européenne sur la valeur ajoutée et des retraites, une réduction des dépenses publiques, le maintien des privatisations déjà engagées, des modifications structurelles du droit du travail, de la concurrence et du système judiciaire. Une loi Macron en très grand, en somme. Le gouvernement maintient son programme "humanitaire", mais il se donne les moyens de le financer.

Il serait imprudent de considérer que ce texte n'engage pas la Grèce. D'abord parce que le financement européen ne sera pas versé avant avril et parce que l'extension du programme ne porte que sur 4 mois. Il cessera donc avant le "mur des remboursements" de l'été. Ensuite parce que le système bancaire grec demeure chaque jour dépendant d'une BCE qui a accueilli assez fraîchement, comme le FMI, la déclaration grecque.

Ce programme sera très mal accueilli par une partie de Syriza. Il ne rompt pas fondamentalement avec le statu quo ante. Il donnera lieu à des accusations de traîtrise et il est le ferment de turbulences politiques importantes au sein d'une société brutalisée par une longue récession, la démagogie et les extrémismes.

L'Eurozone sauve l'essentiel, mais elle ne se donne aucune perspective politique

La négociation grecque est un succès pour l'Eurozone : elle a parlé d'une seule voix, a montré sa solidarité à l'égard de la Grèce et a évité un Grexit (sortie de la Grèce de la zone euro) catastrophique. La zone euro peut techniquement vivre sans la Grèce, mais elle ne survivrait pas à la prochaine crise. Une monnaie n'est pas un outil technique. Elle est un attribut de souveraineté et la manifestation d'un projet politique. C'est d'ailleurs ce qu'ont très bien compris les ennemis de la monnaie unique. L'éjection d'un membre de l'Eurozone, fût‐il turbulent et exaspérant, aurait envoyé un message très clair aux marchés financiers : l'euro n'est pas irréversible. Des accidents économiques ou politiques en Espagne, au Portugal, en France entraîneraient des réactions de défiance. La dette de ces pays serait vendue, les spreads monteraient, les fameuses déclarations de Mario Draghi en juin 2012, la volonté de défendre l'euro "whatever it takes" deviendraient caduques. La première crise grecque était d'abord une crise du système bancaire européen. La seconde crise grecque est d'abord une crise de l'euro.

Malgré ce succès, la zone euro demeure confrontée à son incapacité à donner des perspectives économiques et politiques à son action collective. Le continent demeure miné par la déflation. La croissance est anémique. Le problème de la dette ne peut être résolu sans croissance. Les réformes structurelles et les politiques orthodoxes de remise en ordre sont nécessaires : le statu quo protège les rentes et crée un fossé entre générations. Mais elles sont insuffisantes à un double titre :

  • 1. Quelle que soit leur réussite sur le plan des paramètres économiques, leur coût politique crée des situations dangereuses. L'échec grec ne fera pas nécessairement reculer les autres partis populistes qui progressent en Europe sur la frustration, l'humiliation, la rancœur et le sentiment de trahison des élites. Autant de moteurs politiques qui n'ont pas besoin d'exemples étrangers pour prospérer.
  • 2. Elles ne résorbent pas les déséquilibres économiques au sein de la zone euro. Nous devons trouver les mécanismes institutionnels d'un recyclage efficace et productif des excédents du Nord vers le Sud. Mutatis mutandis, notre continent a besoin d'un plan Marshall intraeuropéen. Le plan Juncker en fournit une esquisse, qu'il faut considérablement renforcer en libérant la ressource rare de l'Europe, le capital.

L'Europe doit accepter des révisions déchirantes pour continuer de porter son message de paix et de prospérité économique. 2015 offre précisément une fenêtre de tir puisque nous bénéficions d'un environnement unique avec la baisse de l'euro, des prix de l'énergie et des taux d'intérêt. Ne la ratons pas!

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