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Selon les données divulguées en 2010 par la FDA et l'Agence de la santé publique du Canada, environ 80% des antibiotiques administrés en Amérique du Nord en 2009 l'étaient aux animaux d'élevage. Toujours selon la FDA, ce nombre a progressé de 6,7% en 2010. Au Québec, comme ailleurs en Amérique du Nord, il n'existe aucun système de suivi des antibiotiques injectés aux animaux d'élevage
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AP

Le 11 avril, on apprenait la mise à pied de 100 inspecteurs de l'Agence canadienne d'inspection des aliments par le gouvernement Harper. S'il y a pourtant un domaine où le gouvernement devrait protéger les intérêts des citoyens, c'est celui de l'industrie alimentaire. Il semble toutefois qu'il faille encore une fois se tourner vers les tribunaux pour ce faire.

En mars dernier, dans l'affaire Natural Resources Defense Council vs. Food and Drug Administration, le juge Theodore Katz de la Cour fédérale du district sud de New York se rendait aux arguments des associations scientifiques d'intérêt public à l'origine du recours et ordonnait à la Food and Drug Administration (FDA) de réviser sa décision d'approuver l'utilisation de pénicilline et de tétracycline pour des fins non-thérapeutiques dans l'élevage des animaux destinés à l'abattoir. Ce jugement survient alors que la FDA avait annoncé le 22 décembre 2011 qu'elle renonçait à déterminer si cette utilisation est nocive pour la santé publique.

Pour le juge, qui déplore que l'agence gouvernementale n'ait jamais complété l'étude qu'elle avait amorcée à ce sujet en 1977, les compagnies pharmaceutiques ont le fardeau de démontrer qu'un tel usage n'est pas nocif pour la santé publique, sans quoi l'approbation de la FDA doit être retirée. Ce jugement avalise les appréhensions de nombreux scientifiques préoccupés par le fait que l'utilisation systématique des antibiotiques pour stimuler la croissance accélérée des animaux d'élevage entraîne l'évolution de bactéries résistantes susceptibles d'affecter non seulement la santé des animaux eux-mêmes, mais aussi celle des humains qui en consomment la chair.

Les profits avant tout

L'élevage industriel pratiqué depuis les années 1950 se caractérise par le regroupement d'un grand nombre d'individus d'une même espèce dans un même établissement. Afin de maximiser les profits, ces individus sont considérés comme des machines. Ils sont soumis à une croissance accélérée et maintenus captifs dans des espaces exigus et nauséabonds, où ils ne peuvent pas se déplacer et où ils sont entourés d'autres congénères tenus dans les mêmes conditions. Outre l'impact psychologique de ce confinement, qui rend les animaux agressifs et dépressifs, une telle promiscuité favorise évidemment l'échange de virus et de bactéries. Dans cette optique, les éleveurs ont choisi de gaver systématiquement ces animaux d'antibiotiques, d'hormones et de suppléments afin non seulement de prévenir les maladies, mais aussi d'accélérer leur croissance à des rythmes effarants, souvent trois fois supérieurs au rythme normal.

Selon les données divulguées en 2010 par la FDA et l'Agence de la santé publique du Canada, environ 80% des antibiotiques administrés en Amérique du Nord en 2009 l'étaient aux animaux d'élevage. Toujours selon la FDA, ce nombre a progressé de 6,7% en 2010. Au Québec, comme ailleurs en Amérique du Nord, il n'existe aucun système de suivi des antibiotiques injectés aux animaux d'élevage. À chaque fois qu'il est question d'instaurer un système de traçabilité indiquant la façon dont les animaux ont été élevés ou abattus, ou même simplement de se mettre au niveau des normes européennes, l'industrie québécoise se rebiffe, évoquant «des coûts excessifs» et une perte «d'avantage concurrentiel» face aux autres provinces ou aux états américains. Comme on l'a vu dans le tristement célèbre dossier de l'abattage rituel halal (dhabiha), l'industrie de l'élevage préfère l'ombre à la lumière.

Un mode d'élevage qui rend malade

L'élevage industriel ne rend pas que les animaux malades, il affecte aussi les consommateurs qui en mangent les produits. En 2004, des médecins hollandais ont découvert les premières traces du Staphylococcus aureus, une «super-bactérie», dans l'organisme d'un bébé. Cette bactérie, qui peut survivre aux plus puissants antibiotiques avait été transmise par les cochons de la ferme où vivait l'enfant avec ses parents. En dépit des négations de l'industrie, des cas de transmission de cette bactérie des porcs aux humains et des humains aux porcs furent ensuite identifiés au Canada et aux États-Unis en 2007 et 2008. Des traces de S. aureus furent même retrouvées dans le système d'aération d'une porcherie.

Selon une étude de 2010 publiée dans le Clinical Infectious Diseases, 47% des viandes de mammifères et d'oiseaux échantillonnées dans cinq villes américaines ciblées contenaient du S. aureus résistant aux antibiotiques. De l'avis de Kellog Schwab, directeur du John Hopkins Center for Water and Health, près de 90% des bactéries E. Coli retrouvées dans le purin de porcs sont résistantes aux antibiotiques. Or, l'épandage du purin est une pratique validée par les lois canadiennes.

Interdire l'utilisation d'antibiotiques à des fins non-thérapeutiques comme en Europe ne suffit pas, il faut, comme le recommandait en mai 2008 la Pew Commission on Industrial Farm Animal Production, améliorer le suivi de l'usage des antibiotiques dans l'élevage industriel, notamment par l'instauration d'un registre des médicaments vendus par les compagnies pharmaceutiques et d'un répertoire de données gouvernemental sur les antibiotiques insérés dans la nourriture et l'eau servie aux animaux. Surtout, il faut resserrer le contrôle médical sur l'usage des médicaments. Même si ces derniers ne sont en théorie disponibles que sur prescription d'un vétérinaire, ils sont en pratique souvent disponibles par le biais de l'industrie elle-même ou de revendeurs. Finalement, les vétérinaires et les médecins en général doivent être sensibilisés aux conséquences néfastes de prescrire des antibiotiques préventifs lorsque les symptômes ne le justifient pas.

L'élevage industriel constitue une aberration éthique et environnementale. Cette pratique qui bénéficie de l'appui des gouvernements dévoués à sa promotion ne pourra être jugulée que par une implication active des consommateurs qui peuvent à terme dicter les lois du marché. Face à une industrie obsédée par le profit, le seul recours de ce dernier demeure le boycott des aliments produits dans les conditions actuelles. Cessez pendant six mois de manger la viande ou les dérivés de viande en provenance d'élevages industriels et revenez-y. Vous serez surpris de trouver à quel point le goût de ces aliments est insipide et même répugnant lorsqu'on en perd l'habitude. Vous rendrez service à l'environnement et aux animaux, et votre santé ne s'en portera que mieux.

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