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En Grande-Bretagne, Jeremy Corbyn ou la tentation du gauchisme

INTERNATIONAL - Que se passe-t-il dans le Royaume d'Angleterre? Voici qu'après les années flamboyantes du «blairisme», même dans sa version apaisée de Gordon Brown qui lui succéda à la fin de l'ère du New Labour en qualité de premier ministre, les syndicats, les militants et les sympathisants du parti travailliste viennent d'élire à pratiquement 60% Jérémy Corbyn leader du parti travailliste.
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INTERNATIONAL - Que se passe-t-il dans le Royaume d'Angleterre? Voici qu'après les années flamboyantes du "blairisme", même dans sa version apaisée de Gordon Brown qui lui succéda à la fin de l'ère du New Labour en qualité de premier ministre, les syndicats, les militants et les sympathisants du parti travailliste viennent d'élire à pratiquement 60% Jérémy Corbyn leader du parti travailliste.

Cette élection constitue à bien des égards une énigme à défaut de constituer une réelle surprise tant la montée en puissance de cet homme était devenue évidente ces dernières semaines.

Le parti travailliste en manque de leadership

La direction du parti travailliste par Ed Miliband avait été terne. Il était évident que face à l'absence de charisme du personnage, il était difficilement envisageable de gagner le 10 Downing Street. La défaite fut cinglante; humiliation extrême, le parti nationaliste écossais raflait la quasi-totalité des sièges -sauf un- en Écosse, pour entrer en force à Westminster faute pour Ed Miliband d'avoir simplement pu envoyer un message clair aux électeurs écossais.

À la suite de cette monumentale déconvenue, on aurait pu s'attendre à ce que le parti travailliste, dont on savait déjà qu'il n'était pas en phase avec la société britannique et les électeurs, se redressât et prît le temps de se chercher un nouveau chef plus moderne et apte à faire preuve d'autorité, pour conduire ses troupes à une victoire en 2020 au plus tard.

C'est exactement le contraire qui vient de se passer. Jeremy Corbyn, un briscard de la politique britannique élu de l'aile gauche du parti travailliste depuis 1983, back bencher qui n'a jamais exercé la moindre responsabilité ministérielle, de surcroît âgé de 66 ans, vient de ravir sans coup férir la direction du parti travailliste à tous ses rivaux, y compris les deux femmes qui prétendaient représenter une plus grande modernité...

La montée du gauchisme institutionnel

La victoire de M. Corbyn trouve probablement sa cause dans la montée du gauchisme institutionnel qui vient de marquer l'Europe ces derniers mois. La victoire de Syriza en Grèce au mois de janvier 2015, que son dirigeant espère renouveler lors du scrutin du week-end prochain, a constitué une secousse qui a eu des effets probablement plus importants que l'on pouvait penser, y compris dans le pays du capitalisme anglo-saxon où le dynamisme économique et financier s'est accompagné d'une montée considérable des inégalités au cours de ces dernières années, phénomène auquel le New Labour de Tony Blair n'est pas étranger.

La concentration de la fortune nationale entre les mains de quelques familles, la montée en puissance des contrats dénommés "contrats 0 heure" dont sont titulaires plus d'un million et demi de travailleurs, ont fait de la société britannique l'une des plus inégalitaires en Europe.

La victoire écrasante d'Alexis Tsipras en Grèce au mois de janvier dernier, même s'il pourrait ne pas renouveler l'exploit dimanche prochain, complété par les prises de plusieurs grandes municipalités par Podemos en Espagne (dont Madrid) a eu un effet d'entraînement et a montré même provisoirement- qu'une autre voix existait qu'il fallait tenter.

La victoire de Jeremy Corbyn s'inscrit clairement dans cette conviction. L'homme est ce que l'on appelle typiquement dans les partis de gauche modérée un gauchiste en ce sens qu'il est hostile au discours dominant de partis traditionnellement sociaux-démocrates qui se caractérisent, une fois arrivés au pouvoir, par une gestion prudente et au final favorable au "grand capitalisme", au grand dam des salariés modestes qui finissent souvent désenchantés par l'abandon des idées qui avaient porté leur parti au pouvoir.

Corbyn ou l'anti-Blair

Corbyn, c'est aussi l'anti-Blair (qu'il déteste), l'homme qui a tenté de donner un nouveau visage au travaillisme anglais mais qui est aujourd'hui en grande partie rejeté par l'opinion publique pour avoir menti à son peuple lors de la participation, aux côtés de George W. Bush, à la guerre en Irak. Le chef du parti travailliste a ainsi déclaré que s'il arrivait un jour à devenir premier ministre, il présenterait les excuses officielles du peuple britannique pour ce mensonge d'Etat.

Mais parviendra-t-il un jour à franchir les portes du 10 Downing Street? Rien n'est moins sûr! Son message économique est confus ou plutôt inquiétant. Devenu premier ministre, il procèderait à une vague de nationalisations, en premier lieu les transports publics. Il faut dire que là aussi, le coût extrêmement élevé des transports britanniques, qui ont été privatisés sous l'ère Tchatcher sans pour autant faire preuve d'un meilleur service, a joué en sa faveur...

Il instaurerait un "salaire maximum", comme si cela était réaliste dans une économie de marché. Cela rappelle le communisme soviétique. Il créerait un service civique sur le mode du National Heath Service...

Une menace pour la sécurité nationale?

Sur le plan de la politique étrangère, il semblerait que l'inexpérience de Jeremy Corbyn frise l'inconscience et l'amateurisme. Pacifiste convaincu, il rejette en bloc l'OTAN, l'alliance avec les Américains ainsi que la dissuasion nucléaire (les sous-marins Trident). Il souhaite associer ses "amis" le Hamas et le Hezbollah, à la résolution du conflit israélo-palestinien...

Les conservateurs de David Cameron ont ainsi pu évoquer, sans crainte d'être démentis, que l'arrivée de cet homme au pouvoir constituerait un risque pour la sécurité nationale!

Des parlementaires du parti travailliste ne s'y sont pas trompés: plusieurs d'entre eux ont, dès l'annonce de la victoire de Jeremy Corbyn, démissionné de leurs fonctions au sein du shadow cabinet (gouvernement fantôme chargé de suivre chacune des politiques ministérielles).

Agé de soixante-six ans, il pourrait envisager d'arriver au pouvoir à l'âge de soixante-dix... Toutefois, il n'est pas certain qu'il se maintienne jusqu'en 2020 à la tête de son parti. Soit il persistera dans ses convictions sectaires et dépassées (il semble être un adepte du gouvernement Callaghan qui fut renversé par le parti conservateur dirigé alors par Margaret Thatcher en 1979 et perdit les élections en raison d'une situation sociale bloquée par des grèves à répétition), soit il devra changer radicalement, de la même façon dont Tsipras est passé de l'anti-austérité à l'acceptation totale du plan de sauvetage de la Grèce... Dans un cas comme dans l'autre, cela n'augure rien de bon pour le parti travailliste qui pourrait courir le risque, pour la première fois de son histoire, d'imploser, laissant au parti conservateur la voie libre pour de nombreuses années...

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