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On est en 2016, et il y a encore des gens choqués de voir deux hommes s'embrasser

J'essaie d'imaginer comment deux personnes qui partagent un bref moment d'intimité peuvent inspirer du dégoût. Comment programme-t-on quelqu'un à réagir de la sorte? Surtout, comment peut-on le déprogrammer et, avec lui, notre culture?
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Le simple fait d'exister est toujours un acte radical -et très dangereux- pour les homosexuels.

Des amis et des parents se serrent dans les bras devant le commissariat d'Orlando, en Floride, pendant l'enquête sur le massacre du Pulse, qui a fait une cinquantaine de morts et autant de blessés.

J'ai reçu un coup de fil ce matin d'une connaissance qui m'a réveillé pour me dire qu'un massacre avait eu lieu dans une boîte gaie d'Orlando. Les circonstances étaient - et sont encore - confuses, mais ce qui est certain, c'est qu'un homme d'une vingtaine d'années a tué cinquante personnes et en a blessé au moins cinquante-trois autres.

Sur l'écran de ma télé, une mère sans nouvelles de son fils pleurait sur le trottoir devant la boîte de nuit. Sur mon fil Twitter, des responsables politiques et des célébrités priaient pour les victimes. Certaines demandaient un renforcement des contrôles sur la vente d'armes à feu. D'autres disaient que c'était la faute de l'Islam, ou du politiquement correct.

Bien que le tireur se soit apparemment revendiqué de Daech, son père a déclaré que la religion n'avait joué aucun rôle dans ce crime, mais que le fait d'avoir vu deux hommes s'embrasser il y a quelques mois avait peut-être été l'élément déclencheur.

Nous ne connaissons pas ses motivations exactes, et peut-être ne les connaîtrons-nous jamais.

Ce que nous savons - ce que j'ai toujours su -, c'est qu'il y a encore des gens qui sont choqués quand ils voient deux hommes s'embrasser. Que c'est un acte dangereux, qui suscite de la rage, de la peur et de la violence, et conduit parfois jusqu'au meurtre.

Encore aujourd'hui, alors que je vis à New York, l'une des villes les plus tolérantes au monde, j'ai un moment d'hésitation quand j'ai envie de tenir la main d'un autre homme, ou de poser mes lèvres sur son visage. C'est involontaire, et je m'en veux à chaque fois. Dans ces moments-là, je respire un bon coup et je prends la main du type avec qui je sors. Ou je l'embrasse sur la bouche pour lui dire bonne nuit. C'est un acte simple, éphémère. Pourtant, alors que j'assume mon homosexualité depuis plus de vingt ans, il me terrifie parce que j'ignore ce qu'il pourrait entraîner.

Je n'ai pas envie de me dire que j'ai fait preuve de courage en embrassant un autre homme. Je souhaite simplement profiter de cet instant de connivence avec quelqu'un. Quand je me rends compte qu'aux yeux de certains, ce luxe ne va pas de soi parce que je suis homosexuel, je suis à la fois découragé et furieux. Et je me souviens que, pour les homosexuels, le simple fait d'exister est toujours un acte radical, et que chaque affirmation publique (voire privée) de leur identité est encore révolutionnaire.

Parce que même après toutes les victoires de ces dernières années, l'instauration du mariage pour tous aux États-Unis, la présence de plus en plus assumée des homosexuels au cinéma et dans le sport, nous sommes obligés de constater que certains continuent à ne pas nous comprendre et à vouer une haine pour ce que nous sommes, les personnes que nous aimons ou avec qui nous couchons, et la manière dont nous avons choisi de vivre notre vie.

Tant que certains considèreront que nous valons moins que d'autres, que nous sommes différents, déviants, pervers, immoraux ou nocifs, les lois visant à assurer le respect de nos droits fondamentaux ne serviront à rien.

J'essaie d'imaginer comment deux personnes qui partagent un bref moment d'intimité peuvent inspirer du dégoût. Comment programme-t-on quelqu'un à réagir de la sorte? Surtout, comment peut-on le déprogrammer et, avec lui, notre culture?

Je n'ai pas toutes les réponses. Mais ce n'est pas le moment de trouver des réponses. Ni d'avoir une pensée ou de prier pour les victimes (même si cela aide beaucoup de gens à surmonter la douleur). C'est le moment d'être scandalisé, d'être en colère, et de se souvenir du rôle que ces émotions ont joué dans notre évolution, et dans la manière dont nous en sommes arrivés là.

Nous voici en plein cœur du mois de la fierté gaie, un mois dédié à tous ceux qui nous ont précédés, ceux qui se sont battus pour que nos vies soient moins difficiles que les leurs, que nous puissions aimer plus fort. Face à la haine, il est impératif de poursuivre nos efforts.

Comment? Pendant que j'écris cet article, j'envoie des SMS et des courriels à tous ceux que j'aime, et je vous suggère d'en faire de même. Puis de partager des photos de vous en train d'embrasser la personne que vous aimez (ou que vous appréciez, que vous trouvez sexy, intelligente ou généreuse). Trouvez quelqu'un d'autre à embrasser. Assumez votre homosexualité. C'est absolument indispensable. Dites qui vous êtes, ce que vous avez vécu, à quoi ressemble votre vie. Affirmez la liberté de vivre sa sexualité. Faites-vous entendre. Lisez et partagez les récits de ceux qui vous ont précédé. Faites un don. Donnez votre sang, si vous le pouvez. Dans le cas contraire, dénoncez les lois indignes et obsolètes qui empêchent les homosexuels de le faire dans certains États. Soutenez la population trans. Appelez vos élus, et dites-leur que vous ne vous tairez plus la prochaine fois qu'une loi homophobe sera votée. Apprenez à vos enfants, à leurs amis, et aux enfants de vos voisins, ce qu'est l'homosexualité. Battez-vous contre les projets de loi visant à interdire aux transexuel(le)s l'accès aux toilettes d'un genre différent de celui qui figure sur leur certificat de naissance. Révoltez-vous contre les responsables religieux et politiques qui véhiculent un discours homophobe. Faites l'amour. Soyez un modèle pour un(e) adolescent(e) homosexuel(le). Faites un don à un centre d'accueil pour jeunes sans-abri homosexuels. Si vous êtes hétéro, soutenez-nous et faites-le savoir.

Nous sommes bouleversés. Terrifiés. En deuil. Mais nous ne sommes pas seuls, et nous ne laisserons rien ni personne nous empêcher de continuer la lutte et de nous faire entendre, de nous montrer en public, de demander le respect qui nous est dû et d'être libres.

Ce blogue, publié à l'origine sur le Huffington Post américain, a été traduit par Bamiyan Shiff pour Fast for Word.

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