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«Je n'aurai plus d'enfant», une phrase que j'ai eu du mal à écrire

Je cherche la force de tourner cette page de ma vie pour pouvoir commencer un autre chapitre.
nadia_bormotova via Getty Images

Après avoir parlé de mes matrescences, je crois qu’il est temps de parler de ma «matropause».

En suivant la logique linguistique de la «matrescence», qui est la contraction de maternité et adolescence pour parler des chamboulements qui surviennent lorsqu’on devient maman, la «matropause» est la contraction de maternité et ménopause, pour parler de cette période où l’on décide que faire des enfants appartient au passé, des années (parfois décennies) avant que notre horloge biologique stoppe sa mécanique.

Je voulais trois enfants

C’était quelque chose d’ancré très profondément en moi, qui s’est réaffirmé à moi quand nous avons eu confirmation que BébéSourire - notre deuxième enfant - était un garçon et que mon conjoint a vu son désir de fille balayé par la vie. C’était aussi un désir profond confirmé par la naissance de BébéSourire qui fut magique. «Rien que pour l’accouchement, c’est sûr, on en fera un troisième et dernier», affirmait-on le jour même de sa naissance. Et la petite touche mignonne, c’est que ce désir était partagé par MiniCaptain - notre premier enfant - qui se rêvait grand frère de plus d’un petit frère.

Et puis vint la COVID-19

Une pandémie et deux mois de confinement plus tard, les cartes ont été redistribuées. Entre tous les congés envolés, le chômage partiel prononcé et mon congé parental, la perspective d’un avenir avec un n°3 était tout d’un coup moins évidente. Plus de fonds pour faire les travaux d’aménagement nécessaires à la venue d’un nouvel enfant. Plus de petit matelas pour amortir un autre congé maternité, encore moins un congé parental. Sans compter que juste avant le confinement, nous avons décidé de prendre en charge financièrement un membre de ma famille pour lui permettre de rester à son domicile en autonomie…

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Tout ça cumulé a rendu la perspective d’un troisième enfant beaucoup moins réjouissante et beaucoup plus angoissante sur le plan autant matériel qu’émotionnel.

Et puis le TDAH de MiniCaptain

Et être parents d’un enfant TDAH, c’est… épuisant. Vraiment. On parle d’un enfant qui a déjà dû être déscolarisé, a un suivi hebdomadaire avec une psychologue spécialisée, a fait un bilan psychomoteur, un bilan ophtalmique, un bilan auditif, est en attente d’un bilan et suivi orthophonique, en plus des cours de judo qui l’aident énormément, cours pour l’instant hebdomadaires et qui devaient devenir bihebdomadaires… Sans parler du suivi pour nous, parents d’enfants TDAH.

Et juste avant le confinement, une amie assistante sociale commençait doucement à me parler de démarches pour avoir droit, en tant que parent, à un aménagement de temps de travail (quand je reprendrai à l’issue de mon congé parental) pour pouvoir assurer la continuité de sa prise en charge. Il y a donc dans notre avenir familial proche, une prise en charge qui va s’intensifier, un diagnostic qui va s’affiner, une incertitude sur comment l’évolution de tout ça va se faire… et les avertissements précautionneux de mon amie nous font dire qu’un troisième petit bonheur ajouté au tableau ne serait peut être pas très juste.

Et puis nous

L’arrivée de MiniCaptain et la dépression post-partum qui s’en est suivie ont failli nous faire exploser. L’arrivée de BébéSourire nous a fait fusionner. Nous a complétés, équilibrés, comblés. C’est un sentiment d’équilibre si parfait et si juste que rajouter une troisième inconnue dans cette chimie du bonheur enfin stabilisée, c’est aussi prendre le risque de déséquilibrer cette harmonie qui grandit chaque jour plus brillante.

“Je n’ai rien savouré en tant que «dernières fois». Dernier accouchement. Dernier allaitement. Dernières premières fois de bébé…”

Mais le cœur…

… lutte contre toutes ces bonnes raisons listées ci-dessus. Évidemment. Sinon ce serait trop simple. Un troisième. Un dernier. C’est ce qu’on s’était dit. J’ai la sensation de ne pas avoir profité suffisamment de ma dernière grossesse puisque je n’avais pas conscience que c’était la dernière. Puisque c’était censé être la grossesse «du deuxième» et non pas «du dernier». Du coup, je n’ai rien savouré en tant que «dernières fois». Dernier accouchement. Dernier allaitement. Dernières premières fois de bébé…

Bref, je n’étais pas prête à ce que BébéSourire soit mon dernier enfant et une partie de moi n’arrive pas à s’y résoudre.

Alors, la matropause…

… m’est un peu tombée dessus, sans que je ne m’y attende. Et me voilà dans les limbes, entre bonheur maternel de voir MiniCaptain aller de mieux en mieux et BébéSourire grandir si facilement et sereinement, et deuil de toutes ces choses qui n’arriveront plus.

La plupart du temps, pour être honnête, je n’y pense pas. Je profite simplement de la partie «bonheurs maternels» sans songer à la partie «deuil» de la maternité.

Et pourtant, il y a ces moments où ça me frappe brutalement. Comme quand j’ai rendu visite à ma première filleule d’allaitement à la maternité et que je me suis retrouvée face à sa toute petite fille fraîchement née alors que mon BébéSourire allait avoir un an. Comme quand j’ai fait le tri dans les vêtements taille naissance et un mois pour donner à une maman. Comme quand ma lactation est passée en autocrine. Comme quand j’ai du passer BébéSourire à la taille 36, car le 24 devenait trop court. Comme…

Je n’aurai plus d’enfants

C’est une phrase que j’ai mis des semaines à écrire. Ce que vous lisez est un texte qui m’a pris des mois à mûrir. J’embrasse en pleine conscience ma chance d’avoir pu porter la vie quatre fois et d’avoir pu mener deux de ces quatre grossesses à terme. Je remercie infiniment la vie de m’avoir offert mes deux garçons. Je maudis mes règles qui m’apparaissent désormais comme un rappel bien cruellement inutile de ce qui ne sera plus jamais.

Si je pouvais, je ferais don de mon utérus à une maman qui n’arrive pas à tomber enceinte. Je chemine encore pour faire le deuil de cet enfant qui ne naîtra jamais, un peu comme j’ai cheminé pour faire le deuil de ceux qui n’ont pas pu naître.

Je cherche la force de tourner cette page de ma vie pour pouvoir commencer un autre chapitre, et poser des mots sur tout ça, l’écriture cathartique, m’y aide énormément. Pour le moment, j’en suis à reprendre à chaque cycle la décision de renoncer.

Ce texte a initialement été publié sur le HuffPost France.

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