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Entrer illégalement au pays avec la bénédiction des autorités américaines

Entrer illégalement au pays avec la bénédiction des autorités américaines
John Woods/CP

C'est parfois avec la bénédiction d'agents américains que des centaines de demandeurs d'asile dit illégaux entrent au Canada depuis le début de l'année. Sur les médias sociaux, l'information circule sur la façon de contourner l'entente sur les réfugiés entre les États-Unis et le Canada. Les passages clandestins sont connus.

Un texte de Johanne Faucher d’Enquête

Comme des centaines d’autres avant eux, deux hommes, originaires d'Haïti, ont traversé la frontière canadienne le 12 mars dernier.

Ils craignent l’administration de Donald Trump qui a intensifié dernièrement les expulsions, entre autres vers Haïti.

« Mon objectif, c'est de sauvegarder ma vie. Avec l'arrivée de M. Trump, c'est différent. Toutes les choses sont différentes », nous a expliqué l’un d’eux, lorsque nous les avons rencontrés dans un bureau d’avocats à Montréal.

Pour ne pas nuire à leurs demandes de statut de réfugié, nous préservons leur anonymat.

Après avoir fui Haïti il y a trois ans, ils ont demandé l’asile aux États-Unis. Mais en janvier dernier, il est devenu clair qu’ils ne pouvaient rester.

Il y a à peine un mois, ils ont su que des gens qu’ils connaissaient, dans la même situation qu’eux, avaient été arrêtés en pleine rue et expulsés en Haïti sur-le-champ.

Pour leur avocat en droit de l’immigration Stéphane Handfield, leur histoire est typique.

« Ils fuient justement les politiques d’immigration du nouveau président Trump. Ils ont peur d’être arrêtés. Ils ont peur d’être expulsés, malgré qu’ils ont fait des demandes d’asile aux États-Unis », explique-t-il.

Contourner la douane… et la loi

Selon un accord entre les États-Unis et le Canada qui s’appelle « l’entente des tiers pays sûrs », ces deux Haïtiens, comme des centaines d’autres, ne pouvaient pas entrer par les postes frontaliers du Canada.

Voici pourquoi. D’abord, l’entente stipule qu’une personne doit faire sa demande d’asile dans le premier pays où elle arrive.

Si une personne fait une demande d’asile aux États-Unis, par exemple, elle doit attendre de voir sa demande refusée avant de faire une demande au Canada.

Mais cette entente ne s’applique pas si la personne réussit à entrer au Canada sans passer par un poste frontalier. Contourner l’entente est donc possible.

Les deux hommes que nous avons rencontrés le savaient. L’information circule par le bouche-à-oreille et dans les médias sociaux.

Ils connaissaient l’existence de la petite route de campagne en territoire américain, Roxham Road, qui permet d’entrer au Canada.

Du Delaware au Québec

Ils ont donc pris un autobus de l’État du Delaware jusqu’à New York. Et un autre de New York à Plattsburgh, près de la frontière avec le Canada. De là, un taxi jusqu’à Roxham Road.

Jusqu’ici, tout était facile.

Mais en descendant du taxi, ils ont eu vraiment peur. Des agents américains les attendaient.

Ils leur ont demandé leurs papiers d’identité. L’un d’eux n’en avait pas. Pendant quelques minutes, ils ont vu leur rêve du Canada vaciller. Ils ont été d’autant plus surpris de la tournure des événements.

Quand ils ont dit aux agents américains qu’ils voulaient se rendre au Canada, ces derniers leur ont montré par où passer.

Me Handfield résume avec eux ce qui s’est passé : « Les agents américains vous ont arrêtés, vous ont demandé vos papiers, vous ont demandé ce que vous faisiez. Vous leur dites que vous voulez passer au Canada… ils vous laissent aller. C'est l'fun. On s'est débarrassé de vous finalement. »

Me Handfield a déjà entendu ce genre d’histoire d’autres clients qui se sont presque fait dérouler le tapis rouge par les autorités américaines.

Si plusieurs entrent facilement, d’autres le font au péril de leur vie. Deux demandeurs du statut de réfugié ghanéens ont failli mourir de froid en traversant la frontière au Manitoba en décembre dernier. Ils ont souffert d’engelures sévères et ont dû se faire amputer tous les doigts.

Stéphane Handfield s’est joint à des dizaines d’avocats qui demandent au gouvernement canadien d’abolir l’entente « des tiers pays sûrs », qui pousse des demandeurs d’asile à risquer leur vie pour entrer au Canada.

Le Département de droit de la prestigieuse Université Harvard vient de leur donner un appui important.

Dans un récent rapport, le département conclut que « les États-Unis ne sont plus un pays sécuritaire pour ceux qui fuient la persécution et la violence ».

Des avocats canadiens en droit de l’immigration s’apprêtent à contester la constitutionnalité de l’entente si les démarches politiques ne fonctionnent pas.

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