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Est-il encore possible d'annuler la commande?

Elle voulait un bébé. Plus qu'une volonté, c'était un véritable besoin. Cela faisait longtemps qu'ils essayaient, avec son mari, sans y parvenir. Son gynécologue lui annonça que son utérus était trop abîmé: elle ne pourrait jamais être enceinte.
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Elle voulait un bébé. C'était même plus qu'une volonté : un véritable besoin. Cela faisait longtemps qu'ils essayaient, avec son mari, sans y parvenir, et c'était devenu un drame, personnel, intime et tu. Son gynécologue lui annonça que son utérus était trop abîmé : elle ne pourrait jamais être enceinte.

On trouve tout sur le Net. On peut faire ses courses, et tout acheter, fruits, légumes, boissons, mais aussi habits ou chaussures sur la Toile. Et également, un bébé. Un site américain proposait d'acheter un bébé pour 26 000 dollars. C'était à la fois beaucoup et peu. Tout y était détaillé:

Le site énumérait ce qui est inclus dans le prix: "conseil et recrutement de la mère porteuse; préparation de la mère porteuse; habits pour femmes enceintes, cliniques pour le cycle de FIV; médicaments et injections pour la FIV, en fonction du dosage; remboursement de la mère porteuse; chambre et pension pour la mère porteuse pendant 9 mois; travailleurs sociaux; assurance; dépôt pour l'hôpital de livraison et en cas d'urgence, etc.". Plus bas, dans une section intitulée "The West" (L'Occident), le site précisait: "Les lois du gouvernement limitent le nombre d'embryons implantés chez une femme à trois (...) et ils veulent maintenant réduire les embryons à un! (...) En Inde, où l'on peut implanter une moyenne de 4-6 embryons, et plus encore, et le coût est nettement inférieur". Cependant, le site annonçait que si l'on préfère que la donneuse d'ovocyte ne soit pas indienne, on pouvait la choisir sur un catalogue, en fonction de son physique, son origine ou son Q.I.

Dans la section "donneuses d'ovocytes", elle repéra une jolie femme blonde aux yeux bleus, qui faisait ses études à Stanford, Californie, et qui avait un Q.I très élevé. Elle était beaucoup plus chère que les Indiennes ou les Africaines. En un clic, elle sélectionna les ovocytes. Il ne restait plus qu'à trouver la mère : elle choisit une femme indienne, bien moins chère que les Américaines.

Puis elle commanda sur le net des billets pour Anand, en Inde. Ils arrivèrent à la clinique où les femmes enceintes vivent ensemble dans des espaces clos, car il faut surveiller leur alimentation et leurs fréquentations.

Ils rencontrèrent la directrice du centre: "Vous avez frappé à la bonne porte, dit-elle. Ici, nous respectons une certaine éthique. D'autres hôpitaux traitent les femmes différemment. Certaines reçoivent 25 cycles de FIV. Une autre a été forcée d'avoir quatre embryons implantés à la fois. Ici, nous ne faisons pas cela, nous essayons de faire en sorte que les mères porteuses soient bien traitées. Et nous faisons le bien. Un grand nombre de nos mères porteuses ont trois ou quatre enfants qu'elles peuvent élever grâce à des grossesses de substitution." Au fait, se demanda-t-elle, que racontent-elles à leurs enfants concernant celui qu'elle porte ? Qu'elle a vendu son bébé ?

Une autre question la tarauda. Que se passe-t-il si l'enfant a un problème? La mère porteuse n'est pas payée, lui répondit-on. Oui, mais l'enfant ? On en fait quoi ? Sur le net, elle trouva le cas des deux jumeaux, commandés par un couple d'Australiens, dont l'un était trisomique. Ils n'ont pris que celui qui était "normal". Et l'autre est resté chez la mère que l'on dit "porteuse", c'est-à-dire celle qui a accouché de lui. Elle ne voulait pas l'abandonner dans un orphelinat. Que se passe-t-il si plusieurs embryons donnent plusieurs bébés alors que je n'en veux qu'un ? Ces "extra-babies", comme on les appelle, trouvent des repreneurs facilement sur le marché. Ou alors ? On ne sait pas ce qu'ils deviennent.

Quelques jours plus tard, la jeune mère porteuse signa un contrat qui prévoyait sa séparation avec sa famille et ses amis afin d'éviter le risque de relations sexuelles et donc la transmission de maladies.

Le contrat précisait que si la mère était diagnostiquée avec une maladie mortelle à la fin de la grossesse, elle serait maintenue en vie par voie artificielle pour protéger la qualité du fœtus afin d'assurer une naissance en bonne santé pour le compte des parents génétiques.

La jeune femme était prête à entrer au centre et à commencer la stimulation hormonale avant d'être inséminée par le sperme du donneur.

Quelques semaines plus tard, ils apprirent avec émotion qu'elle était enceinte ! Mais à cause de la stimulation et de l'implantation de plusieurs ovocytes pour optimiser le résultat, elle attendait des jumeaux! Des jumeaux, elle n'avait pas prévu cela.

Il ne restait plus qu'à rentrer chez soi, et à attendre les neuf mois pour récupérer les bébés. Neuf mois, c'est un peu long. Ça donnait du temps.

Le temps par exemple d'imaginer, de lire et de se demander de quoi leur vie serait faite, désormais. Le temps aussi de réfléchir à certains détails: qui va s'occuper de ces bébés pendant que je serai au travail? Qui va les nourrir, les langer, s'affoler lorsqu'ils pleurent? Les emmener chez le docteur faire ses vaccins ? Les emmener au judo, à la danse, en vacances? Et le soir? Comment faire pour sortir? Elle se dit tout d'un coup qu'un bébé ne coûtait pas seulement 26 000 dollars. C'était juste le début d'une longue, très longue série de dépenses. Tout cela prenait un temps et un argent fous ! Ils pouvaient aussi bien n'en prendre qu'un et laisser l'autre, «l'extra-baby». Ainsi ils n'en auraient qu'un. Et pourtant, un bébé... C'est déjà beaucoup. Ce bébé imaginaire, elle le voulait tant. Depuis si longtemps, avec tant de force. Elle le voulait tellement qu'elle était prête à payer une autre femme pour le porter. C'était beau. C'était grand. C'était vrai. Même si c'était une autre femme qui le portait, elle savait que c'était son bébé. Peu importent les 26 000 dollars. Un don, en somme. Un don magnifique, magique, éthique, rendu possible par la science. Un don si incommensurable, qu'il en paraissait presque... excessif.

Elle alluma son ordinateur et cliqua sur le site. Est-il encore possible d'annuler la commande ?

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